L art

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{draw:frame} Pourquoi existe-t-il un seul mot pour deux concepts? L’analyse de cette particularite du langage permet de degager une analyse de l’art de l’artiste qui remonte a Platon et Aristote. Aristote propose l’analyse suivante des activites de connaissance: Nous remarquons que l’analyse d’Aristote ne degage pas un domaine specifique qui serait celui de l’artiste. L’artiste n’est pas fondamentalement distingue du technicien. Ainsi l’artiste est un homme qui fait son metier, comme le boulanger ou le bottier.

Cela suppose que la tache de l’artiste soit bien definie.  » Des l’enfance, les hommes ont, inscrites dans leur nature, a la fois une tendance a representer [… ] et une tendance a trouver du plaisir aux representations.  » (Aristote, Poietique, 4b5). La tache de l’artiste consiste donc a representer le monde et nos emotions. Le plaisir vient, selon Aristote, lorsque l’on reconnait dans la representation ce que nous experimentons par ailleurs. Aujourd’hui, l’artiste a un tout autre statut. On le distingue strictement de l’homme de metier.

La multiplication des courants esthetiques et des discours explicatifs savant montre que l’artiste d’aujourd’hui s’efforce de definir une tache qui a perdu son evidence. Pendant longtemps (de Platon jusqu’au XVIIIe siecle) la question pour l’artiste etait: comment etre un bon

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artiste, comment bien faire sa tache? Aujourd’hui, la question est: qu’est-ce que l’art? En definissant la tache de l’artiste comme une activite de representation de la realite qui procure un plaisir au public, les grecs nous livrent trois contenus clef du debat: la REPRESENTATION, le REEL, le PLAISIR.

On peut distinguer trois directions suivant le contenu auquel on donne la primaute. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} A – LA CONCEPTION CLASSIQUE Rappelons deux hypotheses connues: Une oeuvre d’art appartient au monde immediat de l’apparaitre: elle est saisie par les sens et la sensibilite. Une bonne action est belle, et la verite provoque chez qui la contemple un sentiment de beaute. Tirons-en les consequences: Ainsi par exemple, Platon et Aristote donnent a la musique un role educatif. La musique, en effet, serait une imitation des sentiments.

Une selection stricte parmi les musiques est donc necessaire.  » Ces deux harmonies, l’une violente, l’autre libre, faites pour imiter le plus fidelement [… ] la voix des sages et celle des vaillants, ces harmonies laisse-les subsister!  » (Platon, Republique, 399c). Se pose un probleme: l’artiste copie un modele (paysage, sentiment, etc. ) qui peut n’etre lui-meme qu’un apparaitre. Reproduire fidelement ce qu’on percoit immediatement, ce n’est pas reproduire le reel mais son apparence. L’artiste serait alors, comme le fait remarquer Platon en une analyse celebre,  » au troisieme rang en partant de la verite (Republique X). La mission de l’artiste {draw:frame} D’ou l’exigence de regles de la production esthetique: savoir selectionner le bon modele, ou ce qui revient au meme, savoir saisir le reel dans le modele. De la vient l’idee d’une science du gout artistique. C’est pourquoi le mot d’ordre de l’esthetique classique est  » d’imiter la belle Nature « . Tout le probleme est de distinguer la nature (simple apparaitre) de la belle Nature (un modele qui serait le plus proche possible du reel). L’artiste aura alors recours a l’invention.

Voici comment un maitre de peinture du XVIIe siecle la definit:  » quand le peintre s’est determine a quelque sujet (une realite qu’il veut representer) il est oblige d’y proportionner le choix des figures et de tout ce qui les accompagne « . La belle nature est composee a partir du reel que l’on veut exprimer. Ainsi M. Jourdain n’est pas l’imitation meticuleuse d’un M. Jourdain particulier que connaissait Moliere, mais de la realite generale de bourgeois ridicule. Il y a donc deux manieres de faire de l’art: l’art noble qui cherche a nous representer la realite des choses, l’art vil qui s’amuse de la copie de l’experience immediate.

Platon denonce ici l’art du trompe-l’oeil, aujourd’hui il denoncerait le gout pour les effets speciaux en tant que pure imitation de l’experience immediate. L’art noble ne cherche pas a tromper nos sens pour provoquer en nous la peur, l’excitation, l’angoisse, etc. , il ne cherche pas a se substituer a l’experience immediate, et a jouer des effets de cette tromperie. De meme le spectateur vil est celui qui ne sait pas voir derriere ce M. Jourdain sur la scene du theatre la realite sociale generale.

On appelle gout3 la capacite a distinguer parmi les oeuvres celles qui representent une realite, et celle qui jouent des effets de trompe-l’oeil. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} L’histoire de l’art est agitee de querelles en matiere de regles esthetiques. Le XVIIIe siecle va etre un moment de rupture avec le surgissement du romantisme et la substitution du souffle passionnel au respect rigoureux des regles. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} B – POURQUOI UNE SCIENCE DE L’ESTHETIQUE EST-ELLE IMPOSSIBLE? Une telle hypothese est bien difficile a admettre.

Elle porterait au rang d’oeuvre d’art n’importe quelle chose nee du hasard. Or l’emotion esthetique peut-elle naitre de n’importe quoi? Notre experience nous dit fermement non. Alors comment concilier l’impossibilite d’etablir un canon esthetique definitif avec l’exigence de signification de l’oeuvre d’art? Nous avons vu que l’oeuvre d’art authentique (qu’on distingue de l’imitation de l’experience empirique immediate) dans la conception classique, a pour signification de devoiler le reel. Ce mode de devoilement du reel est tres imparfait par rapport au mode scientifique, ais il a, nous l’avons vu, des vertus sociales (education – catharsis). Cette conception classique de l’oeuvre d’art repose sur une hypothese metaphysique (parmi d’autres) signalee dans l’articulation: le reel, l’etre serait immuable, fixe, eternel, et donc disponible a la formulation en lois et concepts fixes. Le reel peut donc etre exprime en concepts scientifiques enseignables. Et si le reel etait incompatible avec la rationalite scientifique qui exige des regles immuables et des concepts definitifs? Et si le reel etait au contraire mouvant, changeant, insaisissable par les systemes scientifiques figes?

Alors nous aurions repondu a notre probleme: l’art est hostile a la normalisation precisement parce que il devoile authentiquement l’etre qui ne se laisse pas traduire par des regles figees. Nous avons la la grande hypothese romantique: L’art n’est pas le  » n’importe quoi « . L’art a pour tache (heritee du classicisme) de devoiler le reel. Et comme le reel n’est pas ce que montre la raison, l’art prend la primaute sur la science. L’art, c’est l’irrationnel avant l’etre. Que faut-il entendre par  » irrationnel « ? C’est la que cette conceptio c globalement appelee  » romantique « , prend des formes divergentes.

En ce sens la conception romantique signifie que le reel peut etre percu directement par l’experience sensible, sans prealable intellectuel. Cette conception contredit la conception classique. Boileau (1636 – 1711) l’enonce en des vers celebres de  » L’art poetique « :  » Ce qui se concoit bien s’enonce clairement / Et les mots pour le dire viennent aisement « . La clarte intellectuelle doit preceder l’expression artistique. Tout au contraire, l’art, au sens romantique, montrerait l’etre directement. C’est cette conception (dont on se rappellera le fondement metaphysique: l’atre n’est pas fixe mais en mouvement) que developpe Hegel (1770 – 1831).

En voici une consequence: l’art authentique est accessible, c’est a dire que sa signification, le reel qu’il devoile, est perceptible sans prealables intellectuels:  » Ce qui importe avant tout, c’est que l’oeuvre soit telle qu’elle puisse etre immediatement comprise, et toutes les nations ont toujours exige d’une oeuvre qu’elle leur soit familiere, qu’elle soit vivante, qu’elle leur donne l’impression qu’en la lisant ou en assistant a sa representation elles retrouvent des choses depuis longtemps connues, bien que representees d’une certaine facon « . _Introduction a l’esthetique_, chapitre III, III, 3, page 346, edition Flammarion). L’artiste est celui qui fait effort contre ses tendances rationalisantes pour acceder a l’expression du reel. De la vient la figure eminemment romantique de l’artiste marginal, rejetant toute rigidite, tout ordre, donc en particulier l’ordre social, pour mieux liberer sa sensibilite et livrer le reel. L’artiste doit s’arracher a sa condition premiere d’individu ordonne et rationnel pour atteindre l’etre. C’est pourquoi on parle de romantisme mystique.

Le mystique est celui qui veut s’arracher a ce qu’il est pour se fondre dans un ideal, un absolu, etc. Cette conception de l’art se trouve par exemple dans une lettre tres celebre de Rimbaud4 a son ami Paul Demeny (datee du 15 mai 1871).  » Je dis qu’il faut etre voyant, se faire voyant. Le poete se fait voyant par un long, immense et raisonne dereglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-meme, il epuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.

Ineffable torture ou il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, ou il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, – et le supreme Savant!  » (les mots sont soulignes par Rimbaud). Contrairement a la conception hegelienne, il faut * » se faire* voyant « . Briser l’ordre, le regulier, le legal, cultiver l’exces. Alors seulement l’artiste voit le reel, mieux que tout autre. Il est le  » supreme Savant « . Le contenu social de cette conception de l’art n’est donc plus la representation (classicisme), mais le reel (romantisme). On peut expliquer ainsi la naissance au XVIIIe siecle du musee.

L’oeuvre d’art prend en effet une valeur que le classicisme ne lui reconnaissait pas. Il faut conserver precieusement les oeuvres comme autant de points de contact avec le reel. La conception classique ne pouvait justifier la conservation des oeuvres que par leur efficacite pedagogique au cathartique. L’oeuvre n’est pas le fruit d’un hasard aveugle, le  » n’importe quoi « . Nous avons vu le surrealisme buter sur cette limite irreductible. Meme l’artiste travaille en liberant au maximum sa spontaneite, son geste irreflechi, opere ensuite des choix sur les resultats: il ne garde pas tout.

L’oeuvre est donc guidee par un projet, certes obscur, mais un projet. Le classicisme a cru pouvoir clarifier et normaliser le projet qui guide l’artiste, mais n’a su depasser le principe general et vague du devoilement du reel. La conception romantique de l’art prend acte de l’impossibilite en concepts clairs le projet qui conduit l’artiste dans ses choix, selections, corrections. Nous pourrions simplement dire ceci: puisque l’oeuvre est l’etre et non sa representation, alors le projet de l’artiste est de faire l’etre. L’acte de l’artiste sera donc une CREATION.

La conception romantique de l’art fait de l’artiste un CREATEUR et de l’oeuvre une CREATION (ce que la conception classique ne saurait accepter). La copie n’est pas une creation, et c’est ce qui apercu par le spectateur. (Rappelons que l’on peut jouir des effets de trompe-l’oeil, en admirant la prouesse technique, ou en appreciant les effets qu’il provoque sur nous: peur, tristesse, excitation, joie, etc. Ces plaisirs ne sont donc pas des plaisirs esthetiques, lies a la perception d’une creation). Nous ne reconnaissons pas comme une oeuvre d’art une juxtaposition d’elements a laquelle nous n’associons aucune signification.

Une CREATION au contraire fait sentir une unite, c’est a dire un esprit qui domine la diversite des elements de l’oeuvre. Cette unite, cette signification reste seulement sentie, puisqu’il s’agit d’une oeuvre esthetique et non theorique. D’ou notre difficulte a exprimer ce que l’oeuvre signifie. Mais un produit insignifiant, sans unite, ou une juxtaposition d’images, d’objets, de sons qui s’unifient mal, ne nous donnent rein ou peu a sentir du point de vue esthetique. Nous avons soit le sentiment du  » n’importe quoi « , soit le sentiment d’une oeuvre maladroite. [L’oeuvre d’art] est la creation propre d’un esprit qui ne glane pas les elements de son oeuvre au-dehors, pour ensuite les reunir n’importe comment, mais produit d’une seule coulee, pour ainsi dire, et dans un seul ton d’ensemble dont les elements ont realise leur union, leur fusion intime dans les profondeurs de son moi createur.  » (Hegel, Introduction a l’esthetique, chapitre II, C, 3, c page 371). La conception romantique de l’art va donner ses lettres de noblesse a une faculte decriee par le classicisme: l’imagination.

Classiquement, l’imagination productive est jugee divaguante. Le monde qu’elle produit, monde imaginaire, est chaotique, absurde, sans interet pour nous. Il n’est que la consequence du hasard des mecanismes du corps abandonnes a eux-memes. Seule l’attention permet de reprendre les renes des mecanismes du corps et nous replacer face au reel. Etrangere au reel, n’exprimant que les effets dans la conscience des mecanismes du corps sans controle central (abandon a la reverie, ou au reve), elle est selon l’expression de Malebranche, la  » Folle du logis « .

Nous vivons aujourd’hui toujours sous l’influence de la conception romantique. C’est pourquoi ce rejet radical de l’imagination nous parait etrange. Nous valorisons plutot l’imagination, et l’imaginaire ne nous parait pas denue d’interet. Rappelons le fondement metaphysique de la conception romantique: l’irrationnel devoile l’etre. La reverie, l’imaginaire ne sont donc pas insenses, mais au contraire un devoilement du reel. Mais a cette imagination passive, il oppose imagination creatrice. L’imaginaire du fou est passif, effet des mecanismes de sa folie. Il est chaotique.

Mais l’imagination serait aussi cette faculte de donner une UNITE a une diversite d’elements. Cette unite est non intellectuelle, non formulable en concepts et donc en regles pour l’obtenir. Elle est sentie dans l’emotion esthetique. L’imagination creatrice serait celle faculte de marier l’esprit (et son exigence d’unite, de signification) et les choses dans les choses (les oeuvres d’art). La science, au contraire, s’efforce (en vain, affirment Novalis et le romantisme mystique) de marier l’esprit et les choses dans l’esprit (les concepts, les theories).

On comprend alors l’expression celebre de Baudelaire, oppose radicalement a celle de Malebranche, selon laquelle l’imagination est la  » reine des facultes « . La conception romantique de l’art va dessiner l’imposante figure du GENIE. Cette capacite, c’est d’abord, souligne Hegel, le TALENT: la maitrise du savoir-faire. En art, il y a des savoir-faire necessaires: le sculpteur maladroit, le poete maitrisant mal la langue, etc. ne pourront etre de grands artistes. Les savoir-faire s’enseignent, mais l’habilite exceptionnelle dans leur maitrise reste innee, c’est le talent.

Ensuite, c’est l’imagination creatrice.  » Le vrai genie se rend de bonne heure maitre de la technique exterieure de son art et apprend a forcer les materiaux les plus pauvres et en apparence les plus inappropries a incarner et a representer les creations internes de sa fantaisie5.  » (Hegel, Introduction a l’esthetique, le beau, chapitre II, C, I, b page 360). L’art classique est defini comme representation, ou imitation d’un reel considere, par hypothese metaphysique, comme immuable, fixe, eternel. L’artiste classique se doit de representer les creatures (pour utiliser le vocabulaire biblique).

Or nous avons vu que l’esthetique romantique nait d’un changement de principe metaphysique: le reel, l’etre n’est pas l’immuable que le concept scientifique et les mathematiques peuvent traduire. L’etre est mouvant, changeant. Le reel est mouvement. (Les romantiques diront  » vie « ). La raison ne peut rendre compte que du fixe, de l’eternel (a l’image des mathematiques). Nous avons vu aussi que l’oeuvre d’art doit devoiler le reel, c’est a dire avoir une signification, ne pas etre  » n’importe quoi « . Dans ce que l’artiste doit devoiler, ce n’est plus le monde des creatures mais l’acte de creation lui-meme.

L’artiste devoile non le produit mais la genese. En devoilant la genese, l’acte de creation, l’artiste devoie l’etre en sa verite6: comme force creatrice de changements, de mouvements, de vie. L’etre que devoile l’artiste, c’est la creation. C’est ce que le peintre Paul Klee (1879-1940) explique:  » [… ] s’imprime en lui (le peintre), au lieu d’une image finie de la nature, celle – la seule qui importe – de la creation comme genese. / Il s’autorise alors a penser que la creation ne peut guere etre achevee a ce jour [… ] reconnaissant ainsi a la genese une duree continue.  »  » [… elus ceux qui plongent loin vers la Loi originelle, a quelque proximite de la source secrete qui alimente toute evolution.  » (_Theorie de l’art moderne_, 2, pages 22 – 29 – 30). Le philosophe Ernst Cassirer resume ainsi ce changement de point de vue, du classicisme au romantisme:  » C’est dans la creation, non dans l’imitation, qu’on atteindra la  »verite » de la nature, car la nature elle-meme, dans son sens le plus profond, n’est pas la totalite des creatures, mais la force creatrice d’ou jaillit la forme et l’ordre de l’univers  » (_La philosophie des lumieres_, chapitre VII, 4, page 407).

Le GENIE est createur: cela veut dire qu’il est capable d’une fecondite necessaire (sa fecondite n’est pas voulue, elle s’impose a lui). Le genie possede cette necessite aveugle de la creation. Il ressemble en cela a la nature vivante. Le genie veritable est createur, fecond, malgre lui. C’est ce que traduit une formule celebre de Rimbaud:  » Je est un autre « .  » J’assiste a l’eclosion de ma pensee: je la regarde, je l’ecoute: je lance un coup d’archet: la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient un bond sur la scene « . (_Lettre a P. Demeny,_ deja citee).

L’image de l’artiste  » accouchant  » de son oeuvre est ridicule pour la conception classique. L’artiste est definitivement eloigne de l’artisan: le boulanger  » n’accouche  » pas de son pain. Pour l’une, l’etre est immuable et disponible a notre contemplation. L’artiste ne peut que le representer dans ses oeuvres. Pour l’autre, l’etre est vie, mouvance, evolution, insaisissable donc par des concepts rationnels qui ne peuvent traduire que des lois fixes, des choses immuables. L’artiste ne peut le saisir que comme force creatrice, dont il fait preuve en creant une oeuvre.

L’interet peut donc se deplacer de l’oeuvre vers l’artiste, jusqu’a negliger l’oeuvre. Un nom, une signature peuvent devenir plus important que l’oeuvre. L’artiste peut passer plus de temps a temoigner de son genie createur par des discours qu’a produire une oeuvre. De plus, le geste createur est necessaire, spontane et non volontaire. L’artiste doit atteindre d’etre  » enceinte  » de l’oeuvre pour en accoucher. L’artiste, et non l’oeuvre, est ce qui focalise l’attention. L’oeuvre n’est plus proposee mais attendue. On attend le fruit du genie. (Cf. le probleme des dernieres oeuvres de Picasso ou Dali).

L’esthetique romantique court donc le risque de son autodestruction: puisque l’artiste devient l’essentiel de l’oeuvre, l’oeuvre est a la limite superflue. L’art en vient a se detruire. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} C – L’ART COMME JEU GRATUIT DE L’ESPRIT AVEC LUI-MEME Rappelons un principe commun aux theories classiques et romantiques de l’art: l’art a pour but de devoiler l’etre. C’est ce qui donne a l’oeuvre sa signification. Mais l’art est aussi source de PLAISIR. La encore, les deux theories se rejoignent sur un meme principe: toute beaute vient de l’etre, du vrai. Ces heories expliquent donc le plaisir du spectateur en tant que l’oeuvre imite (classicisme) ou manifeste directement (romantisme) l’etre. Dans ces condition, le gout est objectif: il consiste a reconnaitre l’etre devoile par l’oeuvre. On peut en effet supposer que le Beau n’est pas un effet objectif (emanent de l’etre) mais subjectif (emanent du sujet). Nous ne serions pas attires par une oeuvre parce qu’elle est EN SOI attrayante (devoilant l’etre qui serait le desirable objectif). Nous le serions parce qu’elle l’est POUR NOUS. Cette hypothese est explicitement developpe par l’empiriste anglais David Hume (1711-1776). La beaute n’est pas une qualite inherente aux choses elles-memes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple « . (_Essais esthetiques_, deuxieme partie, 3, page 86). Elle va etre magistralement reprise par un fin lecteur de Hume: Emmanuel Kant (1724-1804). Etudier ce qu’est l’art exige donc d’etudier non pas notre rapport a l’etre, mais le sujet humain, a travers ce phenomene: le jugement de gout. Dans la  » Critique du Jugement  » (1790), Kant decrit le jugement de gout. Cette description tres celebre degage quatre aspects du jugement de gout. Nous allons les regrouper en deux (a et b).

Kant veut souligner par la que nous vivons le jugement de gout, le  » c’est beau! « , comme une distance prise par rapport a l’objet. Si nous aimons les fraises, nous ne dirons pas, en sentant leur parfum sucre dans la bouche,  » c’est beau! « . Le plaisir est issu d’une connexion materielle entre les fraises et moi: la reception de leurs molecules par les papilles gustatives. Il n’y a pas de recul dans le jugement  » c’est bon! « . Il y a expression de l’effet plaisant materiel d’un objet sur moi. Kant parle lors de plaisir d’agrement, ou de l’agreable. C’est un plaisir declenche par l’effet materiel de l’objet.

Par  » materiel « , entendons tres largement l’existence empirique de l’objet, susceptible de declencher par sa simple existence un plaisir (la molecule de sucre, mais aussi tout ce qui peut declencher des instincts: la vue du sexe par exemple, etc. ). On designe ainsi couramment comme  » affiche racoleuse « ,  » film racoleur « , etc. ce qui s’annonce comme objet d’un plaisir esthetique alors qu’en fait il ne propose que des declencheurs d’agrement (sexe, violence, emotions diverses, etc. ). Kant dit que l’agreable est un plaisir interesse, c’est a dire lie a l’existence materielle de l’objet, declencheur direct du plaisir.

Un tel plaisir ne necessite pas de recul par rapport a l’objet. Le classicisme comme le romantisme donnent a l’art une finalite dont la fin est bien definie: devoiler l’etre. Kant prend acte de ceci dans sa description du jugement de gout: quand nous jugeons que quelque chose est beau, nous avons un sentiment (sentiment) d’achevement, de perfection de l’objet. Il nous semble que l’objet beau coincide avec une fin qu’il realise. Or Kant prend acte egalement de ce que nous sommes incapables de definir precisement, par concepts cette fin.

Nous avons vu que le classicisme a echoue a donner les regles precises permettant de definir l’oeuvre reussie, celle qui represente correctement le reel. Le romantisme quant a lui se refugie dans l’obscurite du sentiment. Kant se contente donc de conclure que le jugement de gout se plait aux objets qui donnent un sentiment de finalite, de correspondre a une INTENTION CLAIRE, sans qu’il y ait de finalite claire a l’origine de l’objet. Aucun artiste en effet ne pourrait expliquer le but clair vise par son oeuvre. S’il le fait, alors son oeuvre est un objet technique et non artistique.

Si l’intention d’un cineaste est de nous faire pleurer, alors on peut mesurer la reussite de son film (de son projet) au nombre de mouchoirs consommes pendant la seance. Dira-t-on que le film est  » beau « ? S’il n’a pour seul contenu que cette finalite claire, il n’est qu’un objet technique, efficace, un  » melo  » sans dimension artistique. Le jugement de gout n’y trouvera pas son plaisir, mais l’agrement eventuellement oui (plaisir mecanique des coeurs de midinettes). Nous avons donc vu que le jugement de gout se laisse decrire comme ressemblant a ce qui est de l’ordre du desir, mais este neanmoins a part. Le jugement de gout (_ » c’est beau! « _) ressemble a un jugement de connaissance (_ » c’est vrai! « _). La force historique des conceptions classiques et romantiques de l’art sont la pour en temoigner. Mais encore une fois, la description kantienne va souligner qu’il n’y a la qu’une ressemblance. En effet, l’agrement est lie a des mecanismes qui me sont propres. Certains mecanismes se retrouvent partages avec d’autres (le plaisir sucre par exemple). Nous savons intuitivement qu’il est absurde de demander a autrui d’adherer a ce que mes mecanismes me font apprecier.

J’aime les fraises et les films sanglant et on en reste la. C’est ce que resume la formule:  » des gouts et des couleurs, on ne discute pas « . (idem, §7) Le jugement de gout, bien au contraire, ouvre a la discussion: affirmer qu’une chose est belle, c’est demander l’adhesion des autres a mon jugement. Ainsi, si quelqu’un aime un film ou une musique autrement qu’en pur consommateur des objets de la mode du moment ou des declencheurs efficaces d’agrements, il n’acceptera pas qu’on denigre ce qu’il juge etre une musique ou un film de qualite. Il discutera.

Il tachera de convaincre. Une telle volonte est incomprehensible, bien sur, pour qui n’a qu’un rapport de consommation (d’agrement) avec le cinema ou la musique: l’existence du metier de critique (de cinema ou de musique) lui semble totalement absurde. Pour reprendre des expressions d’Aristote, le jugement de gout releve de la  » parole  » et non de la  » voix « . Il n’y a pas de norme du beau comme principe grace auquel on pourrait demontrer les jugements de gout. Le jugement de gout a donc pour particularite de viser une  » validite universelle subjective « .

Il vise un accord entre les jugements, mais un accord indetermine. Cela se concretise par les debats entre critiques, jamais tranches, mais toujours pratiques. Le beau apparait comme l’objet d’un desir sans declenchement materiel, visant un but qui reste indetermine, suscitant une connaissance egalement indeterminee. Tout se passe comme si, nous dit Kant, l’esprit humain, dans l’esthetique, jouait  » a vide  » avec lui-meme. Il jouerait a desirer sans rien desirer, et a connaitre sans rien connaitre.

Il jouerait  » a vide  » avec ses propres structures, celles qui se rapportent aux choses (desir) et celles qui se rapportent aux concepts (connaissance). L’esthetique ne devoilerait donc pas le reel (classicisme – romantisme), mais le plaisir d’etre humain, jouant gratuitement avec nos facultes, a mi-chemin entre le concept clair (la connaissance) et la matiere attrayante (le desir). {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} D – CONCLUSION Les trois conceptions de l’art etudiees nous permettent de degager des constantes et un debat non clos.