Lettre I de Madame d’Orbe a Madame de Wolmar Avant de partir de Lausanne il faut t’ecrire un petit mot pour t’apprendre que j’y suis arrivee, non pas pourtant aussi joyeuse que j’esperais. Je me faisais une fete de ce petit voyage qui t’a toi-meme si souvent tentee ; mais en refusant d’en etre tu me l’as rendu presque importun ; car quelle ressource y trouverai-je ? S’il est ennuyeux, j’aurai l’ennui pour mon compte ; et s’il est agreable, j’aurai le regret de m’amuser sans toi.
Si je n’ai rien a dire contre tes raisons, crois-tu pour cela que je m’en contente ? Ma foi, cousine, tu te trompes bien fort, et c’est encore ce qui me fache de n’etre pas meme en droit de me facher. Dis, mauvaise, n’as-tu pas honte d’avoir toujours raison avec ton amie, et de resister a ce qui lui fait plaisir, sans lui laisser meme celui de gronder ? Quand tu aurais plante la pour huit jours ton mari, ton menage, et tes marmots, ne dirait-on pas que tout eut ete perdu ?
Tu aurais fait une etourderie, il est vrai, mais tu en vaudrais cent fois mieux ; au lieu qu’en te melant d’etre parfaite,
Il est serieux et froid ; je lui trouve meme un peu de morgue : j’ai grand’peur pour la petite personne qu’au lieu d’etre un aussi bon mari que les notres, il ne tranche un peu du seigneur et maitre. Mon pere a ete si charme de me voir, qu’il a quitte pour m’embrasser la relation d’une grande bataille que les Francais viennent de gagner en Flandre, comme pour verifier la prediction de l’ami de notre ami. Quel bonheur qu’il n’ait pas ete la ! Imagines-tu le brave Edouard voyant fuir les Anglais, et fuyant lui-meme ? Jamais, jamais !… Il se fut fait tuer cent fois.
Mais a propos de nos amis, il y a longtemps qu’ils ne nous ont ecrit. N’etait-ce pas hier, je crois, jour de courrier ? Si tu recois de leurs lettres, j’espere que tu n’oublieras pas l’interet que j’y prends. Adieu, cousine ; il faut partir. J’attends de tes nouvelles a Geneve, ou nous comptons arriver demain pour diner. Au reste je t’avertis que de maniere ou d’autre la noce ne se fera pas sans toi, et que, si tu ne veux pas venir a Lausanne, moi je viens avec tout mon monde mettre Clarens au pillage, et boire les vins de tout l’univers.