Histoire Des Cevennes Cabanel Patrick

Histoire Des Cevennes Cabanel Patrick

QUE SAIS-JE ? Histoire des Cévennes PATRICK CABANEL Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail Sixième édition mise à jour 1 mille Introduction Quelles peuvent être 30 p g ilité même d’écrire une histoire des Cévennes, une région qui n’a jamais eu la moindre unité politique ou administrative, contrairement au Languedoc ou à la Provence, et qui, aujourd’hui encore, est partagée entre plusieurs départements, le Gard et la Lozère pour l’essentiel, mais aussi FArdèche et l’Hérault ?

Et pourtant : la guerre des Cévennes, ou des camisards, a fait ntrer le petit pays dans l’actualité européenne, au tout début du XVIIIe siècle, poussant divers géographes à le cartographier pour la première fois. Sa place est unique dans Fhistoire de la France, et dans sa géographie religieuse, culturelle, littéraire même. ur exemple de paysage construit, immense monument de pierre, de terre et d’eau, lisible à ciel ouvert ; et l’une de ces provinces où la révolution industrielle à la française et l’esprit du capitalisme ont pris racine, dans le mûrier et le charbon, telles sont les Cévennes, terre de refuge, encore, pour bien des proscrits à travers les bondante et de qualité, inégalement représentée selon les périodes, certes, mais qui n’a cessé

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Le tout sous le signe de La Méditerranée de Fernand Braudel : la montagne ne fait pas que barrer l’horizon de la plaine et de la mer, elle les nourrit de ses eaux, de ses espaces et de ses hommes, de son esprit également [21. Notes [Il Les références des ouvrages signalés par leur nom d’auteur et leur date se trouvent dans la bibliographie. [2] Mes remerciements vont à Daniel André, Jean-Hugues Carbonnier, Marianne Carbonnier-Burkard, Jean-Paul Chabrol, Max Chaleil, Yann Cruvellier, Jean-Bernard Elzière, Philippe Joutard, Roger Lagrave, Jacques, Olivier et Robert Poujol, Pierre Rolland, Daniel Travier.

Chapitre Cévennes : noms et figures de pays La définition des Cévennes a beaucoup fluctué depuis trois siècles, mais toujours dans le sens d’un rétrécissement et d’un approfondissement, en passant d’une définition strictement géographique à des approches plus culturelles, et du pluriel à un singulier souvent très personnel la » Cévenne). Les « Cévennes des Cévennes » ont été inventées en 1878 par récrivain Robert Louis Stevenson, avec pour seules frontières celles qu’avait tracées au lendemain de 1685 le protestantisme prophétique et clandestin.

Une définition géographique et paysagère n’en consente pas moins toute sa valeur • les poreuses Cévennes, immense amphithéâtre de pierres et d’arbres au nord des plaines languedociennes, restent une marche et une porte. l. Recherche des Cévennes es géographes de l’Antiq t les Cévennes. Le Grec 2 30 connaissent les Cévennes. Le Grec Strabon, au ier siècle avant le Christ, donne une définition large qui perdurera, curieusement, jusqu’au début du xxe siècle ! ?? Perpendiculairement au mont Pyrénée, le mont Cemmène traverse les plaines par le milieu et prend fin près de Lugdunum [Lyon] au centre du pays. Il s’étire sur une longueur d’environ 2 000 stades [350 km] » (Géographie, IV, 1, 1). Le Latin Pomponius Mela, dans sa Description de la Terre, montre pareillement les Cebennici montes divisant la Gaule en deux moitiés, l’une méditerranéenne, l’autre océane. Jules César, pour sa part, triomphe du rempart cévenol, couvert de neige, qu’il définit comme la « barrière entre les Helviens et les Arvernes » (De bello gallico, VII, 8).

Reste aux érudits de canton ? disputer du col (ardéchois) par lequel les légions romaines vainquirent les Cévennes et le général Hiver : l’essentiel reste dans le regard que les hommes de l’Antiquité portent sur cette ligne de crête neigeuse et boisée qui barre l’horizon, tout au long de la via Domitia qui s’en tient à distance respectueuse, et accompagne le voyageur de Narbonne à Nîmes, et jusqu’à Orange et Lyon. es géographes français des xviiie et xixe siècles reprennent une définition très large des Cévennes, qu’ils étirent du seuil de Naurouze, dans le Lauragais, au plateau de Langres.

Naurouze evient un « col » chez l’officier Denaix (Géographie prototype de la France, 1841), et les Cévennes le « Massif cévennique Y, une authentique montagne qui relierait ainsi, sans solution de continuité, les Pyrénées aux Vosges, en séparant les grands bassins de la Garonne, de la Loire et du 3 30 Pyrénées aux Vosges, en séparant les grands bassins de la Garonne, de la Loire et du Rhône, selon la théorie des bassins chère à Philippe Buache (Carte physique ou Géographie naturelle de la France, 1770).

Il est vrai que la notion de « Massif central » n’a pas encore été inventée : la géographie ne connaît alors ue les Cévennes, au sud et à l’est, et les monts d’Auvergne. Les grands dictionnaires de la seconde moitié du xixe siècle, les cartes murales répandues dans les écoles continuent à véhiculer ces Cévennes des géographes, grande balafre ocre en travers du Sud du pays.

Le collège protestant inauguré en 1939 au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, s’intitule « Collège cévenol » ; et l’écrivain catholique Ferdinand Fabre, originaire de Bédarieux (Hérault), passait au milieu du xxe siècle pour un peintre des Cévennes. Une autre conception, toutefois, s’est fait jour dès le xviie siècle t, déjà, à Foccasion du protestantisme. Le 4 août 1628, alors que le duc de Rohan fait des Cévennes le sanctuaire de sa révolte, Anthoine Sercamanen dessine à la main la « Carte des Sévennes des diocèses de Montpellier, Nîmes, Uzès, Viviers, Lodève, Mende et partie d’Agde ».

C’est définir, du premier coup, le territoire tenu aujourd’hui pour les seules Cévennes : un grand carré limité au nord par les causses Noir et Méjean et le mont Lozère, au sud par le débouché dans les plaines des rivières Vidourle, Gardon et Cèze, en contrebas des villes de Quissac, Anduze, Alès, Saint- Ambroix ; à l’est, la limite est fixée à la rivière du Chassezac (Villefort et les Vans) ; à l’ouest, au causse du Larzac et à la Séranne. La carte dessinée en 1 703 (et 4 30 et les Vans) ; à l’ouest, au causse du Larzac et à la Séranne.

La carte dessinée en 1703 (et attribuée à J. -B. Nolin, « Les Montagnes des Sévennes où se retirent les Fanatiques de Languedoc et les Plaines des environs où ils font leurs courses avec les Grands Chemins royaux ») et celle de 1726 (par Monteillet) dessinent un même pays, largement boisé, au relief très découpé, mais sillonné ar les chemins que l’intendant Basville fit construire après 1685. La définition de ces « petites » Cévennes reste inchangée jusqu’? nos jours.

Les géologues pourront certes leur trouver une définition à prétention scientifique : ce serait le pays du schiste et du granite, par opposition au calcaire des Causses (Émilien Dumas, Statistique géologique du Gard, 1876). Mais la vraie limite est ailleurs : dans la religion, et dans l’histoire. Les Cévennes sont définies, a posteriori, par la guerre qui les a embrasées de 1702 à 1704 . les vallées ardéchoises en tous points identiques ? celles de la Lozère et du Gard, mais restées catholiques, sont de ce fait exclues de la définition « protestante » qui s’impose.

Déjà, lorsqu’un député révolutionnaire du Gévaudan, le marquis de Chateauneuf-Randon (non cévenol), propose de nommer Hautes Cévennes le département issu de l’ancien diocèse de Mende (la future Lozère), ses trois collègues royalistes repoussent la proposition, parce qu’ils font une lecture culturelle, et non géographique, de ce nom de pays : « Ils ont craint que les catholiques du département ne trouvassent mauvais d’avoir une dénomination protestante. » Toute une école d’historiens et d’écrivains protestants leur emboîtent bientôt le pas. Le S 30 protestante. » emboîtent bientôt le pas.

Le pasteur Napoléon Peyrat, le premier sans doute, isole en 1842 (Histoire des pasteurs du Désert) les « Hautes Cévennes proprement dites », « pressées confusément comme un troupeau parqué entre les deux Tarn et les deux Gardons L’Écossais Stevenson intitule Voyage avec un âne ? travers les Cévennes (1878) le récit d’un itinéraire dont le plus gros est effectué en Haute-Loire et haute Lozère ; mais, parvenu au sommet du mont Lozère, devant le « labyrinthe de collines leues » qui s’étale à ses pieds, il note : « Au sens large, j’étais dans les Cévennes au Monastier et durant tout mon voyage, mais il y a un sens restreint et local dans lequel seulement ce pays désordonné et broussailleux à mes pieds a droit au nom, et c’est en ce sens que les paysans l’emploient. Ce sont là les Cévennes au sens plein : les Cévennes des Cévennes. C’est dans ce labyrinthe indéchiffrable de collines qu’une guerre de bandits, une guerre de bêtes féroces fit rage pendant deux ans entre le Roi-Soleil avec toutes ses troupes et ses maréchaux d’un côté, t quelques protestants montagnards de l’autre. » Henri Boland lui fait écho en 1907, en saluant dans L’Écho des touristes « les Cévennes des Gardons, le pays des camisards, la Cévenne dans les Cévennes, une France à part dans la grande France h. ? dire vrai, les Cévennes ne pouvaient trouver d’unité que dans une culture : ce sont le protestantisme, le culte d’ancêtres fondateurs (les camisards), et jusqu’à l’usage précoce d’un français un rien archaïque, celui de la Bible traduite par Olivet l’usage précoce d’un français un rien archaïque, celui de la Bible traduite par Olivetan au xvie siècle. De définition politique ou administrative, en effet, elles n’ont jamais eue, servant tout au contraire de point de rencontre à des unités politiques plus larges, jadis les possessions franques et wisigothiques, hier les provinces et les diocèses, aujourd’hui les départements et les régions.

Ce handicap, du point de vue de la prise de décision politique, est largement compensé par la construction d’une puissante identité historico-culturelle. Au-delà, même, chacun peut dessiner sa petite patrie : c’est la Cévenne, ce singulier indéfiniment multipliable prétendant circonscrire un pays tout ntérieur, presque immatériel. Il. Le piémont cévenol : porosité d’un château d’eau et d’hommes On peut néanmoins proposer une définition géographique, très concrète et très contraignante : les Cévennes sont d’abord ce long toit sombre qui barre l’horizon au nord de la plaine languedocienne, s’élevant jusqu’à 1 561 m au mont Aigoual (dans le Gard) et 1 699 au pic de Finiels (sur le mont Lozère).

D’un sommet à l’autre court la ligne de partage des eaux, par Cams (petits plateaux calcaires), serres (crêtes schisteuses découpées) et véritables massifs (le Bougès, 1 421 m), parfois si ténue qu’on rétend qu’ici et là, dans certains cols de l’Aigoual ou à Barre- des-Cévennes (une ancienne chapelle), elle court sur le faîte d’un toit, dont les versants sont l’un méditerranéen, l’autre océanique. Château d’eau, les Cévennes le sont pleinement : elles donnent naissance non seulement à plusieurs fleuves côtiers (l’Hérault, le Vidourle) et petits aff 30 donnent naissance non seulement à plusieurs fleuves côtiers (l’Hérault, le Vidourle) et petits affluents de rive droite du Rhône (le système des Gardons, la Cèze, le Chassezac via l’Ardèche), mais aussi, depuis le Lozère et le Goulet voisin, au iercé océanique du Tarn, du Lot et de l’Allier. ? tel point qu’une étymologie populaire, reprise par le p. Jean-Baptiste L’Ouvreleul (Mémoires historiques sur le pays de Gévaudan, Mende, vers 1724), voyait dans les Cévennes sept veines fluviales. Le nom de l’Aigoual en fait bien une authentique montagne d’eau (aga en occitan : il reçoit plus de 2 m d’eau par an ; les vallées, plus de 1 ,5), ce qui explique sans doute la fascination qu’il exerce depuis longtemps, à l’instar d’autres seigneurs méditerranéens, Ventoux, Canigou, Sierra Nevada, encore neigeux quand la plaine fleurit. Ces précipitations surabondantes sont très mal réparties, ? l’équinoxe d’automne, et moins fortement au printemps.

Le reste de l’année, par une violence inverse, eest la sécheresse qui domine cet « adret méditerranéen » (François Taillefer), l’été s’enfonçant jusqu’au bout de vallées qu’orne une végétation puissamment méridionale : le chêne vert, facilement inflammable, domine les collines jusqu’à 500 m, les demeures bourgeoises s’ornent de palmers, et le site de Prafrance, près de Mialet, s’enorgueillit d’une tropicale bambouseraie (édifiée à partir de 1855). Au-dessus, jusqu’à 800 ou 900 m, c’est le châtaignier qui a dominé sans rival pendant quelques siècles : seul le mûrier est venu lui disputer l’espace aux xviiie et xixe siècles, et aujourd’hui les plantations de résineux. Le châtaignier affectionn 8 30 xviiie et xixe siècles, et aujourd’hui les plantations de résineux. Le châtaignier affectionne particulièrement les sols siliceux, acides et des températures relativement chaudes : ces conditions sont réunies dans les Cévennes, porte tiède du Languedoc.

Ce très vieux versant schisteux vient buter au nord sur les grandes ables calcaires des Causses, après avoir été pris en tenaille par deux horsts granitiques, le mont Lozère (et partie du Bougès) ? l’est, l’Aigoual et ses prolongements du Lingas (1 366 m) et du Liron à rouest. Ce schiste est gris ou noir, friable, millefeuillé, d’autant plus aveuglant au soleil qu’il se mêle de mica et de quartz. Surabondant, propice à l’ouvrage (il se délite en feuilles dans lesquelles on a tôt fait de tailler des pierres et des lauzes, ces dalles utilisées pour les aires et les to•ts), il donne à tout le pays – crêtes, chemins, murs, façades, toitures — une profonde nité de matière et de couleur : Cévenne de pierre, noire, calviniste jusque dans son schiste, comme par mimétisme de la pierre et de la religion, et dont l’âcre beauté séduit les uns, en inquiète sourdement d’autres.

Les Cévennes nourrissent la plaine de leurs eaux, sinueuses et mourantes en été, souvent terribles à l’automne, lorsque vidourlades et autres gardonnades charrient les murailles de pluies tumultueusement déversées sur les trop raides versants de leurs origines. Elles les nourrissent également non tant de leurs productions, longtemps exclusivement vivrières (sauf dans e cas de la soie), que de leurs espaces : la transhumance ovine, caractéristique des espaces nord-méditerranéens, y a trouvé usqu’au milieu 9 30 transhumance ovine, caractéristique des espaces nord- méditerranéens, y a trouvé jusqu’au milieu du xxe siècle un de ses hauts lieux, couturé de grandes pénétrantes sud-nord, les antiques drailles.

Encore aisément identifiables à leur large échancrure rabotée, sur les cols et la crête des montagnes, ces routes primitives tiendraient leur nom de l’indo-européen draga, le tamis, les files de moutons se répandant sur la montagne comme les filets de farine coulant d’un crible. Le château d’eau, enfin, selon une image banale mais très juste, est un château d’hommes : les Cévenols n’ont cessé de « descendre » au « bas- pays dans des migrations saisonnières puis définitives. D’autres hommes et femmes, en échange, ont pu gagner les Cévennes comme un refuge : les premiers protestants l’ont fait au xvie siècle (à la suite, selon la légende, d’Arabes puis d’Albigeois), des Allemands antinazis, des Juifs et des résistants dans les années 1940, des « hippies » dans les années 1960-1980.

C’est dire que le Massif cévenol n’a jamais été ni une barrière nfranchissable ni un no man’s land hostile. Une route romaine dont les vestiges sont parfois remarquables, la Régordane, devenue chemin de pèlerinage vers Saint-Gilles et Saint-Jacques- de-compostelle, le traverse du nord au sud, sur sa façade orientale ; les chemins muletiers (en occitan, cami ferrat, les mulets étant ferrés) ont fait florès sur le même axe nord-sud, avant que l’intendant Basville ne fasse tracer à partir de 1 685, au- dessus des villages, des chemins royaux destinés à surveiller la population protestante et à faciliter le passage des troupes. Le chemin de fer, ? 30