Gregory Hanlon L’univers des gens de bien. Culture et comportements des elites urbaines en Agenais-Condomois au XVIIe siecle, Bordeaux, 1989, 339 p. | | Presentation de l’auteur Gregory Hanlon est un auteur canadien anglophone, professeur a Dalhousie University (Halifax, Canada). Il a fait ses etudes a Bordeaux. Cet ouvrage a ete soutenu comme these de IIIe cycle de l’Universite de Bordeaux III en 1983. M. J. -P. Poussou en etait le rapporteur-directeur. Presentation de l’ouvrage
Fond : L’auteur presente la region de l’Agenais-Condomois en se basant sur les archives communales et departementales, sur de tres nombreux textes publies localement ou d’auteurs de la region. Pour J. -P. Poussou son approche est anthropologique. Forme : Les tableaux et illustrations ne sont interessants que pour l’Agenais-Condomois. La Conclusion est tres synthetique mais tres courte. C’est un ouvrage a ne pas prendre a l’oral ; il est beaucoup trop centre sur une region. Cependant le chapitre sur les huguenots peut etre utile. Les chiffres posent problemes car les sources sont souvent lacunaires et le panel pas assez large.
Ils suffisent pour degager de grandes idees. Themes utiles pour notre programme : -A travers les themes abordes, on voit combien le dernier quart du siecle a ete le moment d’une rupture
Premiere partie : Les elites urbaines et leurs comportements Pays et villes de l’Agenais et du Condomois au XVIIe siecle Le pays a une population d’environ 250 000 habitants vers 1670, dont 50 000 calvinistes. Agen domine avec ses 5 000 habitants. A l’autre bout de l’echelle de toutes petites villes de 600 a 1 500 habitants jouent le role de relais economique dans cet espace rural a l’habitat disperse. Les echanges se font surtout par la voie fluviale. Ce qui definit la ville, c’est d’abord les murailles, ensuite la composition sociale. La ville n’est pas le lieu de concentration des gagne-petit comme en Angleterre.
Elle renferme une population de notables, nobles et officiers, hommes de robe en grand nombre, beaucoup de pretres, qui assurent l’emprise de la ville sur le pays. Avec sa milice, la ville garde aussi une fonction militaire. Les troupes qui deferlent du Nord recrutent sur place, des fantassins, des nobles et des bourgeois a la recherche de gloire militaire voire de butin. Les villes aussi s’affrontent. Les clercs eurent un role considerable dans le milieu urbain pour la charite ou l’education. Complexite et divisions de l’elite urbaine La hierarchie urbaine est fondee sur le degre d’estime.
Dans ces villes, cela recoupe de toute facon la richesse. Au sommet on trouve bien sur la noblesse ancienne, ensuite la bourgeoisie, avec les hommes de lois et tout ceux qui sont etabli, en enfin, la petite bourgeoisie composee du peuple qualifie. Il existe une segregation spatiale. Tout ce beau monde appartient a la Jurade, une assemblee deliberative extraordinaire qui donne les grandes orientations de l’administration. Plus la ville est petite, plus les petits ont des chances de se faire entendre. Des consuls sont elus pour l’administration quotidienne. Le premier consul devait etre noble.
Elle fait front pour ecarter les mediocres du consulat : petite-bourgeoise et representants des paroisses pauvres. La Jurade doit faire face aux intrusions royales qui lui fait perdre sa substance. |Ex : la Jurade d’Agen : A cause des guerres de religion, la Jurade de cette ville de la Ligue catholique a acquis une grande autonomie. | |En cas de crise, pendant la premiere moitie du XVIIe siecle encore, les consuls, jurats, la noblesse et le clerge peuvent prendre des | |decisions sans consulter les autorites de la province. Ils s’occupent de la voirie et des poids et mesures, et surtout ils exercent un | |droit de justice.
L’etablissement progressif des juridictions superieures, (senechaussee, puis cour presidial) les dessaisit des affaires| |graves. Ils ne peuvent plus condamner a mort sans que le parlement de Bordeaux interviennent pour rejuger l’affaire. Ils se vengent en | |condamnant a tour de bras. En 1621, ils negocient le partage des pouvoirs avec le Cour de la Chambre de l’edit qui est transferee dans la| |ville. Ils leur abandonne les cas de blasphemes, les m? urs, la voirie et les prix. De 1630 a 34, c’est la Cour des Aides de Guyenne qui | |arrive. Elle prend d’assaut le palais de la cour presidiale et les bancs des consuls dans la cathedrale.
Cela contribua peut-etre a la | |passivite des consuls lors du soulevements antifiscal de 1635. Lors des Etats de provinces en 1614 et 1649, les cahiers de doleances | |attaquent les « nouvelletes », les bureaux d’Election, qui leur otent le droit de negocier le montant des impots ce qui provoque | |l’endettement. Colbert, sous pretexte de verifier la liquidation des dettes, va en 1663 prendre le controle des finances urbaines. | |Curieusement, les jurats avaient longtemps defendus bec et ongles leurs prerogatives, par leur resistance passive. Mais apres la Fronde | l’acceptation soudaine de l’absolutisme par les elites locales n’a pas encore ete expliquee. Louis XIV, sous pretexte de mettre fin aux | |querelles intestines, a avantage ceux qui sont connu pour etre dociles aux decisions royales. | La sociabilite traditionnelle Le bilinguisme quotidien des elites est un aspect urbain. Les occasions de sociabilite ne manquent pas. Aux hommes, les halles et les cabarets, aux femmes, les lavoirs et le pas des portes. La noblesse apprecie les pastorales et les ballets. Les confreries donnent un banquet une fois l’an. Chasse, billards, jeux de cartes, de des et jeux d’adresse, epas fins entre amis sont les distractions de la sociabilite masculine. Aux dames, la danse dans les maisons particulieres et parfois a la campagne pour fuir le cure. La plupart des distractions sont accessibles a tous les citadins. Mais la segregation se realise par le biais des academies de jeu. Un systeme a base d’honneur est potentiellement generateur de conflits. Les revendications de chacun pouvaient etre inconciliables. Le paraitre en est le meilleur moyen de departager. Ce besoin d’exteriorisation de la notabilite passe notamment par les bancs a l’eglise, l’habillement et la place dans les processions.
L’evolution de la sociabilite urbaine passe par l’apparition d’une « honnetete a facon » : la bienseance. Elle prepare un comportement urbain specifique. Les manieres s’integrent tres bien au systeme de l’honneur. Elles deviennent le marqueur de l’estime que l’on porte a autrui. Parallelement le sentiment de honte progresse : on dechoit si l’on n’est pas traite avec l’egard du. Les petits exigent de la conduite de la part de leur superieur, s’attribuant par la une parcelle de respectabilite. Les structures du conflit La provocation est le moyen d’ebranler une position acquise et de s’attirer plus de prestige.
Une fois qu’elle a eu lieu, il faut absolument la relever en se conformant a des preceptes de combats compatibles avec son prestige sous peine de perdre la face. Meme les pauvres revendiquaient un droit a l’honneur. La sur-representation des elites dans les affaires de violence constitue peut-etre une illusion des sources. Elle serait aussi le resultat d’une susceptibilite superieure des plus notables. L’affrontement est tres formalise ce qui permet d’en limiter les consequences. Dans un tres grand nombre de cas, l’affaire commence par une declaration de guerre en bonne et due forme devant temoin.
Au moment du combat, les deux partis echangent insultes et blasphemes pour montrer qu’ils n’ont pas peur des sanctions. Ils frappent de preference a la tete. Enfin, tout cela se fait dans des lieux tres frequentes pour que la foule puisse separer les belligerants avant que l’irreparable ne soit commis. Il y a certains tabous qui peuvent deshonorer le vainqueur : attaquer sans avertir ou par derriere, attaquer quelqu’un a armes inegales… Paradoxalement, sortir sans armes garantis une certaine securite. Une fois le conflit engage, les peres de familles ou le frere aine, le seigneur ou le clerge peuvent tenter d’apaiser la situation.
Les rivaux peuvent conclure un pacte qui delimite le territoire de chacun et eviter ainsi les rencontres. Vers la fin du siecle, on constate un adoucissement des m? urs masculine peut-etre du a la bienseance. Les conflits entre femmes sont consideres comme burlesques et sont encadres, voire encourages car elles n’ont aucune responsabilite civile. Leur honneur reside dans leur chastete et elles n’hesitent pas a mentir. A partir de 1670, elles revendiquent de plus en plus du respect a leur egard. Le conflit aboutit souvent a une procedure civil, d’ou le nombre important d’hommes de loi.
L’ordre et la formalite sont particulierement contraignant. Les juridictions se disputent l’etendue de leur ressort. Les jugements sont rendus selon des coutumes disparates. Ils sont de plus fausses par les reseaux de parentele et d’amitie. Si des rivalites existent dans le personnel judicaire, les accuses peuvent encore en faire les frais. L’emprisonnement des accuses est peu pratique. L’usage de la torture est repandue a partir du niveau de la senechaussee. Les juridictions superieures enlevent aux magistrats locaux le droit de prononcer des peines capitales.
La juridiction criminelle s’occupe des cas d’injures, de menaces, de diffamation, de voies de faits, de vols nocturnes. Les vols de faible valeur des pauvres ne sont en general pas poursuivi sauf par les veuves. Une femme enceinte pour attaquer son galant pour rapt s’il essaie d’esquiver le mariage. L’accusation de viol est rarissime : la victime perd son honneur, compromet ses chances de mariage. L’outrage a la religion designe le travail un jour de fete, le blaspheme, le sortilege, le pacte diabolique. Pour les protestants, le consistoire a pour but de desamorcer les conflits au sein de la communaute.
C’est la seule source qui revele des cas d’adultere et de prostitution sauvage. La violence semble plus frequente en terre protestante mais ce phenomene est difficile a expliquer. Famille et sexualite Le systeme sociale valorise la predominance masculine. Le mari protege et nourrit sa femme ; la femme gere la richesse du menage. Joubert rappelle « que la femme doit estre bien vetues, mal nourrie, et on y ajoute bien battue ». Les violences conjugales sont frequentes, mais l’epouse peut compter sur la protection de ses voisines. Mais la vie des veuves est bien plus dure car elles n’ont plus aucune protection.
La mortalite infantile est tres elevee. Une large strate de l’elite utilise les nourrices. On remarque de bonne heure l’agressivite des garcons, valorisee par leur pere qui n’en sont pas peu fiers. Ils sont envoyes au loin dans un college ou plus souvent en apprentissage. Les filles sont gardees pres du foyer, participent aux travaux menagers sinon deviennent servantes. Seules quelques dizaines de filles nobles et bourgeoises sont internes au couvent des Ursulines. Le preciput peut etre accorde a plusieurs enfants, en priorite aux garcons. Mais la part des filles n’est pas non plus negligeable.
Le fils aine recoit une education particuliere : il doit apprendre a depenser pour le bien de la famille, jouer le role de mediateur pour ses cadets et les soutenir contre un peril exterieur. Pour l’elite urbaine, l’alimentation provient des domaines agricoles dans un ideal d’autarcie. C’est seulement lors des fetes que l’on depense. Les depenses somptuaires comprennent surtout l’achat d’etoffes. C’est seulement a la fin su siecle que les salles de reception et de jeu ou a manger apparaissent dans les grandes maisons. Meme chez les artisans, il y a une recherche d’esthetique. Les murs sont couverts de tableaux a sujets eligieux sauf chez les huguenots. Les fenetres sont plus nombreuses et plus grandes. Cette stabilite peut etre mise en peril par une sexualite redoutee. Les baisers voles sont particulierement redoutes. Mais on peut se permettre des paroles alertes sur la place publique : les temoins assurent que cela n’ira pas plus loin. Des dispenses permettent des mariages au troisieme, voire au deuxieme degre et le maintien des biens dans la famille. Cela permet aussi d’eviter le versement d’une dot. Le pere peut contraindre sa fille par la violence. La rumeur peut aussi amener a conclure un mariage precipitamment.
Le drame eclate quand le fils aine tombe amoureux. Jacques Fernand, medecin d’Agen publie en 1611 a Toulouse, La Maladie d’Amour ou Melancholie erotique qui decrit l’amour comme une maladie mentale. Les femmes en sont encore plus sujettes. On croit fermement en la sexualite effrenee de la femme et en l’efficacite de ses moyens occultes pour l’assouvir. En cas de rapt, le galant doit choisir entre la mort et epouser la fille. En cas d’adultere, la coutume reconnait aux peres et maris le droit de tuer la fautive prise sur le fait. Le parlement les fait enfermer deux ans dans un couvent.
Le plus souvent l’adultere concerne des amours ancillaires Deuxieme partie : La dualite religieuse de l’elite urbaine en Agenais-Condomois : doctrines, croyances, pratiques Les mediateurs pedagogiques : le clerge de ce monde Toujours nombreux en ville, le clerge seculier etait plethorique lorsque la ville abritait une cathedrale ou une eglise collegiale. A l’interieur de ce groupe on trouvait une grande diversite de situations economiques. L’amelioration de la qualite du clerge paroissial est l’aboutissement de longs efforts de l’administration episcopale. Le role de l’eveque est important et chaque diocese a son histoire.
La deuxieme moitie du siecle est celle des eveques reformateurs. L’eveque devait disposer d’un pouvoir absolu pour faire integrer les statuts du concile de Trente. Cette variante absolutiste de la primaute episcopale est francaise. |La croisade des eveques d’Agen pour reformer le clerge : L’eveque Nicolas de Villars fait des tournees episcopales au debut du siecle. Il| |y a beaucoup d’absenteisme de la part des recteurs. Les pretres sont mal ou non formes, desservent plusieurs paroisses pour un salaire de| |misere et n’ont pas du tout la discipline que doit avoir un pretre.
Le clerge d’origine agenaise vient surtout des villes, mais la | |majorite du clerge vient des dioceses au nord et semblent ne pas du tout satisfaire l’eveque qui s’attaque a l’absenteisme et a | |l’ignorance. Apres 1665, le recrutement du clerge s’etait totalement modifie. La moitie des pretres | |etaient du diocese. Il y a une reprise des vocations en Agenais, surtout urbaines, et une venue de renforts en provenance des diocese | |pilotes de la reforme catholique Cahors et Rodez. Les pretres sont encore depeint comme incompetents, et au moins 20% n’etaient pas | chastes mais les attentes de l’eveque ont augmentees. Le clerge semble instruit et resident. L’eveque Claude Joly recoit le soutien du | |roi pour appliquer ses decisions. Il faut dire qu’il s’en prend aux institutions diocesaines locales, aux chanoines, et par la aux | |institutions urbaines et aux solidarites. L’eveque renforce encore la discipline, selectionne les candidats, verifie que la vie des | |pretres est conforme a leur fonction. Il conseille des visites impromptues du pretre pour verifier si les prieres du matin et du soir | sont bien faites | L’encadrement religieux s’opere egalement par le biais des confreries. Ce cadre de devotion collective et exteriorisee fut propre a la France du sud, a l’Italie et a la peninsule iberique. Sur le plan local, l’organisation permet de resserrer les rangs face aux calvinistes. Il convient de relier les premiers etablissements a la Ligue catholique. Les confreres devaient montrer le bon exemple de vie chretienne. Catechisme, sermon et don d’images pieuse devaient instruire le peuple.
Cela fait partie d’un effort d’endoctrinement visant l’interiorisation du culte. Le catechisme est obligatoire et clair quant a la definition de la doctrine. Il reserve une grande place a la notion de peche. Chaque peche mortel capital est divise en sous-categories. Il fallait inculquer la penitence, l’esprit de repentance. A partir de 1660, les missions visent autant a convertir les reformes qu’a implanter des confreries et a imprimer de nouveau comportement aux catholiques : une piete moins sujette aux superstition et plus interiorisee, c’est-a-dire entretenue par des prieres personnelles.
Saintete et societe : le clerge regulier Les religieux et surtout les religieuses appartiennent a la ville et aux reseaux locaux de parentele. les reformateurs des couvents se heurtent donc aux exigences sociales des ecclesiastiques et de leurs familles. Ils leur reprochent de ne pas assez se distinguer des laics. Le couvent de Clairac est un veritable couvent rabelaisien : on y ouvre une academie de jeu et les clercs et les chantres se chargent d’augmenter le nombre de petits paroissiens. Mais les exemples d’une telle licence sont rare. On leur reproche surtout de chercher a ameliorer leur ordinaire.
Il ne faut pas oublier que beaucoup de vocations, surtout chez les femmes, etaient forcees. A Agen, des religieux ligoterent le prieur venu enqueter sur la gestion de leur etablissement. Les Capucins et les Carmelites, ou certains ermites jouissent d’un immense prestige par leur rejet total et voyant du systeme de l’honneur des laics. Les hommes s’imposent de longues flagellations publiques qui leur permettent d’atteindre l’extase. La piete doloriste fait beaucoup d’emules. Ainsi ils rachetent leurs peches et ceux de la communaute. Ils incarnent une vision archaique de l’univers qui est celle des pauvres comme de l’elite.
Certains protestants sont touches a cette vue mais leur piete est plus interiorisee. Selon le mot du pasteur reforme anglais, Gilbert Primerose, les religieux « cherchent leur salaire en estime ». Les traditions populaires face au surnaturel Pour les catholiques comme pour les protestants ciel et terre sont etroitement imbriques. Les hommes s’entretiennent avec Dieu moyennant un langage et geste et de signes utilises de part et d’autre. La colere de Dieu est le sentiment qu’il fait le plus souvent connaitre. L’idee du malheur envoye en punition est profondement ancree.
Il faut supporter la souffrance et en tirer des lecons. On expulse de la communaute les agents de souillures risquant de faire payer le groupe pour ses peches, surtout lorsqu’une epidemie menace. (ici ce sont les prostituees) Les ceremonies religieuses attirent surtout l’elite. Les hommes assistent volontiers aux celebrations exceptionnelles, pour ecouter un predicateur ou assister a une reunion de penitents. Les femmes sont plus regulieres. Elles frequentent les sanctuaires mariaux. La confirmation n’est pas systematique. On encourage la communion frequente mais des eveques rigoristes pronent le contraire.
L’extreme-onction etait tombe en desuetude dans certaines paroisses. On peut rattacher le sentiment religieux a la recherche d’une protection psychologique contre le mal. Cela s’accompagne de preceptes et d’interdits. Beaucoup de fetes et de processions traditionnelles s’organisaient en marge des ecclesiastiques. L’opposition a ces cultes fut souvent le fait des cures qui ne voulaient pas celebrer ces messes en trop. Les consuls au nom de la ville peuvent faire un v? u pour eloigner un danger. Dans les zones de tensions confessionnelles, le miracle confortait les catholiques.
Il y a tout un reseau de vieux saints specialises dans telle ou telle maladie, qu’ils donnent ou guerissent. Le 17eme siecle est temoin partout en France d’un formidable renouveau de la devotion mariale. Le site de Notre-Dame de Bon-Encontre sort de l’ombre dans la region. Le peuple comme les notables guettent le miracle avec enthousiasme et frequentent ces sanctuaires locaux. Les sorciers et guerisseurs pullulent. L’elite urbaine croit en ces histoires, observe les victimes. Les juges parlent de manifestations sataniques. Au debut du siecle les ecclesiastiques-sorciers etaient familiers.
Ces personnages disparaissent lentement des archives. La persistance des accusations a Clairac, pose la question de la sorcellerie peut-etre plus active en pays protestant. Les huguenots Les laics jouent un role considerable. Le consistoire compose des Anciens veillent a ce que les bonnes m? urs soient respectees. En pratique, la vigilance du consistoire dependait surtout de la personnalite du pasteur. L’evolution va vers une plus grande discretion pour ne pas heurter les sensibilites. On opere desormais par sursaut de conscience. La plupart des coupables beneficient de l’anonymat.
La doctrine calviniste etait fixee jusque dans le detail. Toutes les pratiques anciennes sont regroupees sous le vocable de superstitions. Mais meme en ville, on constate la survie de pratique de communication directe avec Dieu. Ils croient en l’efficacite du diable. La doctrine de la grace subit quelques entorses : elle n’admet pas que la priere puisse contraindre dieu a venir en aide. Or on croit en l’efficacite des jeunes et des prieres. La difference fondamentale avec les catholiques est l’absence de mediateurs. Dans quelle mesure leur religion modifie-t-elle leurs comportements ?
Les calvinistes ont aussi besoin d’une respectabilite voyante. Il y a bien plus de huguenots chez les notables que chez les paysans. Les vetements doivent etre sobres mais leur qualite montre le rang. Ils connaissent les memes croisades que les catholiques contre les bals et les jeux, mais aussi contre la participation aux fetes catholiques, surtout le Carnaval. La conquete de l’unite religieuse Le debut de la crise huguenote commence a la mort d’Henri IV. Lorsque le Prince de Conde s’insurge contre le mariage espagnol de Louis XIII, en 1615, les reformes sont deja divises.
Quand Rohan arrive, il compte sur une cinquieme colonne. Les reformes ont cru en un effondrement de l’eglise catholique qui tarde. Les premieres conversions retentissantes de pasteurs illustrent ces doutes. Le manque de combativite contribua a la defaite des calvinistes : ils se refugierent dans un loyalisme aveugle et dans un pessimisme desarmant au moment meme ou l’Eglise catholique prechait l’intolerance et reclamait des conversions par tous les moyens. La ou la reforme etait geographiquement dispersee, la reconquete catholique progressa sans trop de difficultes, a la fois par l’? vre de predication, par l’insistance du clerge catholique mieux considere, par la mise au ban de la communaute des calvinistes et les strategies matrimoniales des parents. Les premieres missions permanentes accompagnerent l’armee de Louis XIII. Ensuite, le relevement du clerge regulier devait avoir le meme but. C’est l’evolution de l’attitude de Louis XIV qui est decisive. En 1685-1705, l’Etat encourage les enlevements d’enfants, surtout des fillettes entre 6 et 14 ans qui sont cloitrees dans des couvents. Les dragonnades, les conversions forcees par des soldats frappent la region.
L’effondrement du nombre de calvinistes se situe vers 1685. La resistance est le fait des categories aisees qui sont aussi ceux qui prennent le chemin de l’exil. Le culte organise avait pratiquement cesse au moment de la revocation de l’Edit de Nantes. Mais au dela des heurts, des relations se formaient ou se conservaient Troisieme partie : Tradition et modernite de l’elite urbaine en Agenais-Condomois ou XVIIe siecle La formation de l’elite L’accroissement des taux d’alphabetisation correspond a l’epoque de la Contre-Reforme, 1650-1740.
Le taux d’alphabetisation sont mediocres a cause du bas niveau d’instruction des regents, la mauvaise remuneration du poste, l’elitisme de l’acces a l’instruction. Dans une grande ville comme Agen, entre 1665 et 1670, tous les nobles, hommes de loi signent, une grande partie des marchands et une bonne part des artisans. Ces taux progressent chez les moins de 30 ans a la fin du siecle. Dans une ville protestante comme Clairac, les taux sont bien inferieurs. Il apparait donc que le commerce et la religion sont moins des facteurs d’alphabetisation que la taille des ville. Les regents des petites ecoles sont paye par la jurade.
Ils enseignent des rudiments de latin. Un enfant peut aussi apprendre aupres de sa mere, d’un precepteur ou d’un etudiant loge par ses parents. Les filles sont peu alphabetisees. Les couvents qui se multiplient, donnent une education religieuse tres elaboree. Dans ce dernier cas elles sont cloitrees. Elles apprennent a lire, a ecrire s’il le faut, mais surtout a etre une bonne epouse. Riches ou pauvres suivent a peu pret le meme enseignement. L’instruction des filles progresse faiblement. Les colleges pour garcons existent deja au 16eme siecle, sous l’autorite des consuls, mais les regents devaient etre agrees par l’eveque.
En Aquitaine, ils ne furent prises que par les milieux et les villes de robes, les sieges d’eveche. Le prestige des Jesuites etait immense et ils peuvent se montrer exigeants. Le rayonnement du college d’Agen leur confere la primaute sur les Pere de la Doctrine Chretienne et les Oratoriens. Ils sont vite debordes par le nombre d’eleves. Seul le college des Oratoriens prend des pensionnaires. Les autres logent chez l’habitant. Le cout des etudes est eleve mais les artisans aises y ont acces. Les ecoliers posent beaucoup de problemes de discipline, surtout pour les eleves les plus vieux ages de 22 ans au plus.
En dehors des chahuts, des lectures de livres frivoles, ces ecoliers ont l’ethique nobiliaire qui correspond a leur age et la susceptibilite qui va avec. Dans l’ethique nobiliaire, les colleges encourageaient la piete baroque et exteriorisee, le desinteressement et le depassement de soi. Le college constituait une des rare institutions qui ignorait le cloisonnement. Les enseignants etaient regulierement mutes. L’enseignement se fait en latin exclusivement. On y etudie les auteurs classiques. Le college est le lieu d’apprentissage du beau parler. L’art oratoire est une science du combat autant que de l’apparence.
C’est peut-etre pour cela que les villes marchandes se mefiaient des etudes plus propres a former des predicateurs que des negociants. Mais elles sont rares en Guyenne, d’ou un solide reseau de college. Des Academies finissaient de former les gentilshommes. Les etablissement protestants mettent plus l’accent sur les langues mais c’est la seule difference. Des peres protestants pouvaient envoyer leurs fils a un college jesuite dans un soucis de proximite. Traditions savantes et la modernite face a l’univers sacre Le 17eme siecle fut fascine par l’Antiquite. Le passe justifiait l’organisation du present.
Mais la tradition recoit une nouvelle impulsion. On fait preuve de recul et on exige plus de rigueur dans la confrontation des sources. En 1622, Pierre Sauveur s’attaque en chaire a la legende de saint-Caprais, niant qu’il ait ete eveque d’Agen. Il conteste en fait la preeminence du chapitre de Saint-Caprais sur celui de Saint-Etienne. Il s’attire les foudres de toutes l’elite locale. Il ne remet pas en question les sources mais leur interpretation. La jurade le reduit au silence. Le sens critique apparait avec Bernard Labenazie, pourtant farouche defenseur de la tradition. Il decide de croire le texte le plus ancien, quitte a le critiquer.
Il suffit qu’une opinion ait l’adhesion generale pour etre veritable. Son recul devant le pouvoir des reliques est insolite. Il attribue la bonne conservation des cadavres a la nature marecageuse du sol et non a une intervention divine. La Reforme catholique etait aussi la reaffirmation vigoureuse du noyau mythico-rituel du christianisme, avec sa magie specifique. Celle-ci n’est pas eloigne des rites magiques populaires. Mais il y a une difference considerable dans la mesure ou la magie « autorisee » (protection contre une epidemie, invocation de la pluie…) s’appuie sur le Livre.
Mais commune a tous, est la permeabilite des deux univers, le terrestre et le celeste. Les calvinistes denoncent cette confusion du terrestre et du celeste, du spirituel et du materiel. L’exorcisme revele l’idee catholique du sacre, comme n’etant pas tout-a-fait immateriel. L’interpenetration des deux mondes y etait encore plus visible. Les contemporains etaient conscients d’une diffusion du phenomene au cour du siecle. L’exorcisme est en fait un moyen de combattre les reformes. Ainsi pendant un exorcisme tres suivi, on fait rappeler au demon les dogmes catholiques et il revele que dieu va punir les huguenots.
Il les designe dans la salle en criant : « Ce sont les miens ! ». La possession est voulue par dieu et sert a montrer la force des rites catholiques. Meme s’ils avaient des doutes sur la realite des possessions, les ecclesiastiques pouvaient difficilement rompre avec la tradition parce que l’efficacite de tout l’apparat magique de l’Eglise etait en jeu. A la fin du siecle des medecins de Toulouse menent des experiences et cherchent a trouver des causes naturelles. Ils apprehendent la puissance psychologique de l’autosuggestion. Les autorites ne prennent pas la peine d’entamer la controverse.
Apres la revocation de l’edit de Nantes, les exorcismes anti-calvinistes ont ete rendu inutiles et les cas se font plus rares. Confluences Les grandes bibliotheques sont rares. Elles contiennent des livres utilitaires datant en gros du 16eme siecle. Les Agenais ont une culture nationale et meme europeenne. Le plurilinguisme etait plus courant au debut du siecle. Le passage du latin vers le francais est perceptible mais tres lent. Il provoque l’amenuisement des courants europeens mais cette lenteur montre aussi une moindre diffusion des ouvrages scientifiques qui sont ecrit en francais.
La litterature latine est preferee a la litterature moderne. Les editions sont anciennes. Mais les nouveautes, les livres en petit format ne figurent pas dans les inventaires. Cet archaisme explique le mepris des serviteurs du roi impregnes d’absolutisme pour ces bourgeois dont la reference reste Henri IV. Le niveau culturel semble mediocre. On assiste pourtant a la fin du siecle a la marginalisation de la culture antique. On trouve beaucoup d’ecrit moraux qui insistent sur l’importance de dompter ces passions.
Cela est a mettre en parallele avec les efforts pour inculquer l’ethique de l’honnete homme a la jeunesse. En medecine, on s’affranchit lentement de la tradition et de la religion, on renouvele les connaissances, tente des experiences. Le 18eme siecle ouvre la bataille entre Anciens et Modernes. On met petite a petit en doute les superstitions qui entourent les soins. Mais, si la tradition est remise en cause, on n’a encore rien a propose. Index Premiere partie : Les elites urbaines et leurs comportements Pays et villes de l’Agenais et du Condomois au XVIIe siecle
Complexite et divisions de l’elite urbaine La sociabilite traditionnelle Les structures du conflit Famille et sexualite Deuxieme partie : La dualite religieuse de l’elite urbaine en Agenais-Condomois : doctrines, croyances, pratiques Les mediateurs pedagogiques : le clerge de ce monde Saintete et societe : le clerge regulier Les traditions populaires face au surnaturel Les huguenots La conquete de l’unite religieuse Troisieme partie : Tradition et modernite de l’elite urbaine en Agenais-Condomois ou XVIIe siecle La formation de l’elite Traditions savantes et la modernite face a l’univers sacre Confluences