FRANCAIS Depuis la Renaissance, le theatre evolue vers une reconstitution de plus en plus scrupuleuse de la realite. Alors que cette recherche du realisme atteint son apogee a la fin du XIXe siecle, on assiste au XXe siecle a un revirement surprenant des dramaturges, qui souhaitent revenir a un art theatral classique, historique et antirealiste. Des auteurs comme Jean Anouilh, Henry de Montherlant, ou encore Jean Giraudoux, proposent alors une reactualisation des themes mythologiques.
Jean Giraudoux qui est, pendant la periode de « l’entre-deux-guerres», un des plus grands dramaturges de la scene francaise, est tres influence par la tragedie grecque antique. Preferant de beaucoup reinterpreter des themes connus en y apportant son style un peu moderne, il connait alors de veritables succes aupres du public, notamment, grace a sa piece de theatre mythologique, « Amphitryon 38 ». Mais cette piece reactualisee en 1929 n’est-elle pas porteuse d’un double message? D’emble nous pourrons voir, au travers de cette piece, une scene argumentative et comique pointee d’ironie.
Sans oublier, en arriere plan, l’etude de l’evolution morale des caracteres des deux personnages. « L’acte II, scene 2 » de la piece « Amphitryon 38 » de Jean Giraudoux, est une scene theatrale qui repose sur un dialogue, entre un dieu « Jupiter » et une mortelle « Alcmene ».
Dans cette scene, le dialogue se tient entre « Jupiter » et « Alcmene » et est au style direct, rendant la piece vivante, et reelle. Generalement, le dialogue possede un interet et dans cette scene, il prend un sens argumentatif. En effet, au theatre, le dialogue argumentatif relate les echanges verbaux des personnages et s’identifie par la presence d’une repartie. Ce dialogue alors appele « dialogue d’idee » permet, comme dans cette scene, de faire une « pause », et aux personnages en presence, de confronter et d’opposer leurs opinions et leurs arguments.
Dans ce passage, « Alcmene » conteste l’adjectif « divine » qu’attribue « Jupiter » – sous la forme d’Amphitryon – a la nuit qu’ils viennent de passer ensemble. Pour elle, ce mot « divin, est vraiment hors d’usage », tandis que pour lui, l’adjectif etait sense la mettre sur la voie, pour qu’elle comprenne qu’il etait un Dieu. Le mot « divin » devient donc le pivot de cette scene, et laisse place a des argumentations et a des contestations. Entre ces deux personnages, le dialogue prend alors un registre polemique. Ce registre s’appuie dans ce texte sur la figure d’insistance d’enumeration comme, « le mot parfait, le ot charmant, le mot agreable », ainsi que sur des phrases exclamatives, comme « je dis divine ! » ou encore « voila notre nuit la plus agreable et pas une autre ! ». Enfin, on peut remarquer que dans cette scene, « Jupiter » impose ses idees avec assurance comme « alors la plus agreable de toutes nos nuits, n’est ce pas de beaucoup ? » tandis qu’« Alcmene » se sert d’illustrations pour chaque arguments qu’elle defend, comme « Et la nuit ou un grand incendie se declara dans Thebes… » ou encore « Celle d’avant-hier, quand tu sauvas un enfant de la mer… »
En somme, dans ce texte, la finalite de l’argumentation est de convaincre l’un des personnages a adherer a la these adverse et ce de divers moyens. Par ailleurs, bien que ce passage soit de nature argumentative, il apparait evident que la repartie qui s’installe entre les deux personnages principaux donne au dialogue une forme comique. Dans cette scene, le registre comique se definit comme un comique de mot et nous renvoie encore une fois au mot « divin ». Ce comique se caracterise alors par plusieurs procedes comme le quiproquo et l’ironie.
Le quiproquo met ici l’accent sur le mot adequat qui definirait la « nuit divine » et ne porte pas sur un personnage en particulier. Dans cette scene, ce qui fait rire le public, ou dans notre cas le lecteur, c’est le fait qu’ « Alcmene » ose contredire son pseudo-mari sur chaque adjectif qu’il propose. « Tu aurais pu trouver mieux… », « C’est a savoir. », « Pourquoi etonnante ? » sont des exemples qui illustre bien mes propos. De plus, « Alcmene » use du procede de l’ironie. Ce registre est une arme essentielle de la strategie argumentative.
Dans cette scene, c’est avec ironie mais legerete qu’ « Alcmene » trouve que la nuit qu’elle vient de passe est seulement « conjugale », qu’elle la juste « egaye » et non comble, et qu’elle n’a ressentit aucune « apprehension divine » alors qu’elle etait en presence d’un grand Dieux. En somme, d’apres la premiere etude que l’on a faite, on peut en conclure que cette piece de theatre n’appartient pas a un seul registre et se caracterise par de divers procedes. D’autre part, en plus de cette premiere etude, il serait tres interessant d’analyser cette scene theatrale sur un plan plutot « psychologique ».
Il faut entendre par ce mot, l’evolution psychologique ou l’evolution morale que manifestent les personnages tout au long de ce dialogue. Dans ce texte, chacun des protagonistes a une forte personnalite et s’oppose l’un a l’autre. En effet, Si nous commencons par etudier le personnage d’ « Alcmene », nous pouvons voir que cette mortelle a une force morale inebranlable. Cette femme au sens de la repartie inoui, n’est jamais prise au depourvue et fait preuve d’une logique precise et tres concrete. Dans ce texte Alcmene ose railler son pseudo-mari sur tout ce qu’il peut dire et lui tient ete. En faite, de part son opposition, et son ironie, elle se met a la meme hauteur que lui et devient dans ce dialogue, son egale. Dans ce passage, la premiere replique negative qu’Alcmene prononce deroute totalement Jupiter. La phrase « Tu es faible, ce matin, dans tes epithetes, cheri. » a pour effet de destabiliser Jupiter. Tres sur de lui, il s’etait imagine que le mot « divin » etait tres approprie. De plus, le mot « ce matin », montre bien qu’Alcmene n’a aucunement eu le sentiment d’avoir vecu une nuit tout a fait exceptionnelle. Pour elle, cette journee commence normalement.
Les propos apprennent d’ailleurs a Jupiter qu’Amphitryon a l’habitude, en se reveillant, de decerner une epithete a la nuit qu’il vient de passer. Intervient alors une comparaison peu flatteuse entre lui, le Dieu, et l’homme puisqu’il est d’ordinaire mieux inspire. Tout cela est donc tres vexant et humiliant pour ce Dieu, qui, pris a son propre piege ne peut pas vraiment repondre ! Par ailleurs, Alcmene conteste fortement le mot « divin », qu’elle trouve galvaudee, inapproprie, et « vraiment hors d’usage ». Pour elle ce mot est devalue et inexpressif puisqu’il est utilise couramment pour les « repas divins », les « pieces de b? f divines ». L’utilisation du mot « divin » en simple adjectif qualificatif devalue sa signification premiere du nom propre Divinite, soit Dieu. Elle juge donc que Jupiter, pour les plaisirs plus rares et plus intenses de la nuit, « aurais pu trouver mieux ». Alcmene va donc s’employer a proposer des exemples d’adjectifs qui, selon elle, pourraient aisement remplacer le mot « divin ». Mais a la grande surprise de Jupiter, elle enonce le mot « parfait », le mot « charmant », et le mot « agreable » qui sont tous de plus en plus faible et pour finir annonce le mot « conjugale ».
Jupiter en reste perplexe et mortifie. Lui qui voulait tant faire oublier le mari, pour se reveler au matin Le Dieu, il est depite d’entendre dire que la nuit ne fut que « conjugale », securisante, et sans « apprehension divine » En somme, Alcmene s’exprime librement dans ce dialogue. Sur d’elle et elle ose, sans le savoir, tenir tete a un Dieu. Cette femme qui n’est qu’une simple mortelle devient alors l’egal de l’homme et surtout l’egal d’un Dieu. Jupiter, quand a lui, se presente dans ce texte, comme un Dieu tout puissant, imbu de lui-meme, et tres pretentieux.
Il pense pouvoir impressionner Alcmene et eveiller son interet. Des le debut, Jupiter, tres sur de lui, montre un extreme contentement de la nuit qu’il vient de passer et s’exclame des son reveil. « Quelle nuit divine ! ». Mais Jupiter va vite dechanter. En effet, il ne s’attendait pas a ce qu’une simple mortelle ose le contredire avec tant d’assurance, en disant « qu’il etait faible dans ses epithetes ». Il va donc reiterer son exclamation pensant qu’elle a mal compris. « Je dis divine ! ». Commence alors un dialogue d’opposition et d’argumentation entre ces deux etres.
Jupiter qui est pique dans son orgueil et surpris par cette reponse ne peut se permettre de ne pas « avoir d’invention ». Il demande alors etonne ce « qu’il aurait pu trouver de mieux ». Et reste perplexe devant la reponse d’Alcmene, encore une fois. « Tous les adjectifs [auraient convenus], a part [s]on mot divin » lui repond elle. La deception du Dieu ne fait que de s’accroitre. Cependant, malgre les deconvenues qu’il vient d’essuyer, il est encore sur de ses effets. Il va alors insister sur le fait que c’est « la nuit la plus agreable, et ce, de beaucoup. Mais la encore la reponse dubitative d’Alcmene « c’est a savoir » va l’etonner. A ce moment, il prend alors conscience qu’il ne peut faire face a l’ironie d’Alcmene et qu’il ne suffit pas d’etre un Dieu pour avoir ou entendre tout ce que l’on desire. C’est a ce moment la que l’on sent que Jupiter bascule dans l’incertitude. Beaucoup moins sur de lui a present, on remarque ici que Jupiter semble plus prudent voir timide lorsqu’il propose le mot « etonnante », si Alcmene « le veut ». Mais malgre cela Alcmene replique tout de suite et avec surprise, « pourquoi etonnante ».
Jupiter ne sait alors plus ou il en est, et on peut supposer aisement qu’il est totalement irrite. Enfin, Jupiter abandonne la partie, lorsqu’Alcmene lui annonce que leur nuit ne fut que « conjugale » et que c’est bien la premiere fois que cela lui arrive depuis sa nuit de noce, qui pour elle fut la plus belle. Le mot « conjugal » qui en temps normal serait flatteur est ici vexant pour le Dieu qui s’apercoit qu’il n’a pas egale son rival, qui plus est un mortel. En somme, si Alcmene garde un raisonnement et une argumentation constante du debut a la fin, et ce sans flechir, il n’en est pas de meme pour Jupiter.
Lui qui au debut du dialogue se veut etre un etre supreme au caractere pretentieux, est en fin de dialogue un Dieu irrite et en echec. En effet, dans ce passage, Jupiter, l’amant divin, n’a pas su remplace pleinement le mari mortel, ni meme le Dieu egale l’Homme. Cette piece de theatre va au-dela d’une simple representation comique ; Car si on la lit au second degre, pour l’epoque il apparait un caractere tres fort de la femme, tres fidele, et tres moral bien qu’elle soit en situation d’adultere.
C’est d’autant plus a retenir pour l’epoque, surtout mis en scene par un homme et qui expose un theme tabou. De plus, d’apres la mythologique et ce meme dans une scene reactualisee, Jupiter n’aurait jamais du essuyer un tel echec. Donc tel est pris qui croyait prendre ; Car au regard de cette piece, le mensonge et la manipulation ne sont pas une fin en soi, ni meme le statut de divinite. En consequence, ne vaut-il pas mieux etre en adequation avec soi-meme pour reussir et aboutir a des objectifs durables ?