Essai

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Dossier : Ecole : l’inegalite des chances ? Dossier publie le 18. 12. 06 par « Le Monde » « Egalite des chances » : l’expression a ete utilisee la premiere fois par Jean-Pierre Chevenement en 1986. Depuis, ses successeurs a la tete du ministere de l’education parlent tous d’ecole plus juste, plus mixte et plus egalitaire. Pure utopie ? ZEP, carte scolaire, college unique et reformes pedagogiques ont ete mis en place. Resultat : peut mieux faire car l’ecole cree ses propres inegalites, comme l’ont cristallise les emeutes des banlieues en 2005 et le mouvement anti-CPE en 2006.

Dans la perspective de la presidentielle en 2007, l’education est un theme prioritaire de campagne a droite comme a gauche. Mais pour faire quoi ? Reformer le systeme en profondeur ou le maintenir avec plus de moyens ? « Egalite des chances, une expression, un principe et une loi » Egalite des chances, une expression, un principe et une loi Publie le 01. 12. 06 | 15h12 L’egalite des chances… Des mots qui circulent d’un gouvernement a l’autre, qui passent d’une ecole a l’autre, tel le titre d’une recitation apprise par c? ur par l’ensemble des acteurs scolaires.

Mais de quoi parle-t-on ? L’egalite des chances, c’est une expression. Elle apparait

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pour la premiere fois dans un discours de Jean-Pierre Chevenement, alors ministre de l’education, le 7 fevrier 1986. Depuis, tous ses successeurs s’approprient la formule, l’ecole devant assurer l’egalite des chances pour tous les eleves. L’egalite des chances, c’est aussi un principe. L’ecole republicaine, obligatoire et gratuite doit assurer l’egalite entre les citoyens. La France, comme le rappelle le sociologue Francois Dubet, est attachee a l’idee de justice.

La tradition republicaine et anti-aristocratique repose sur le principe selon lequel la seule maniere de produire des inegalites acceptables, c’est de construire une competition qui permettrait de degager une autre hierarchie sociale, s’opposant ainsi aux hierarchies tenant a l’heritage et au passe. Pour les pere fondateurs de la Republique, l’ecole s’est substituee a l’Eglise dans sa capacite a transmettre des valeurs et des principes, dans sa capacite a former les citoyens. L’ecole, c’est la Republique, et la Republique, c’est l’ecole. Les annees 1960 ont marque un tournant.

Avant, le systeme scolaire repondait aux exigences de l’Etat republicain. Le modele scolaire parvenait a redistribuer les connaissances pour tous ceux qui avaient acces au savoir. Apres, la France a change de registre. Tous les eleves, riches ou pauvres, sont alles dans la meme ecole. Dans ce nouveau systeme, la regle de l’egalite des chances a implique que tous les eleves munis de leur baton de marechal dans le cartable ont eu la possibilite de reussir. La competition s’est democratisee, l’ecole s’est « massifiee » en meme temps que le systeme n’est plus parvenu a surmonter ses propres contradictions devenues sources ‘inegalites. Certaines voix, comme celles des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, se sont elevees pour montrer que l’ecole ne faisait que repeter les inegalites sociales. Pour eux, le systeme scolaire constituait le « meilleur allie du conservatisme social et politique » (Les Heritiers, Editions de Minuit, 1964).

UN DEVOIR URGENT DE CHANGEMENT

Quarante ans apres, les inegalites scolaires se sont accrues en France, a l’image des mutations economiques, facteurs de disparites en tout genre.

La france au lendemain de la seconde guerre mondiale

De reforme en reforme, le systeme scolaire est devenu une institution en etat grippal permanent. Le modele scolaire republicain marche tellement a plein regime qu’il est en surchauffe constante et ne peut donc plus faire face aux pressions exterieures – qu’elles soient politiques, economiques, sociales, culturelles ou religieuses. L’ecole n’est plus un sanctuaire mais devient un buvard ; un buvard dont les aureoles sont le reflet de ses propres contradictions mais aussi celles de la societe. Elle absorbe en quelque sorte les inegalites qui l’entourent.

Au fond, les inegalites sociales se sont deplacees de la societe dans l’ecole pour se reproduire dans la societe. Si bien qu’aujourd’hui, l’egalite des chances, c’est aussi une loi. Le 2 juin 2005, Azouz Begag, ecrivain et sociologue, est nomme ministre delegue a l’egalite des chances. Il n’est pas vraiment mis en avant par le gouvernement. C’est a partir de novembre 2005, juste apres la crise des banlieues, que l’egalite des chances se presente reellement comme une necessite et devient en quelque sorte un devoir, un devoir urgent, celui de changer la societe.

La loi sur l’egalite des chances, dont M. de Villepin a pris l’initiative, veut donner une priorite au combat contre les inegalites, notamment dans le systeme scolaire. Alors, faut-il preserver l’egalite des chances pour surmonter la crise de l’ecole ? Pour Patrick Fauconnier, cette egalite n’est envisageable que si l’on revoit completement le sens meme de l’ecole. Il faudrait, affirme-t-il, passer de l' »ecole-raffinerie » a l' »ecole-pepiniere », c’est-a-dire ne plus concevoir le systeme educatif sur « une base hierarchique », mais en aidant chacun « a reussir la ou il est doue ».

Pour Jean-Paul Brighelli, il faut d’abord sortir des slogans et detruire la machine a fabriquer des « cretins ». Attention, dit Francois Dubet, a ne pas casser la cle de voute du systeme, qui est celle de l’egalite meritocratique des chances. Mais comment en est-on arrive la ? Grandes reformes et tentatives marginales Publie le 15. 12. 06 | 14h51 Pour faire face a ces nouveaux defis, l’Etat a mis en place toute une panoplie de mesures et de reformes de l’education nationale : En 1963, le ministre de l’education Christian Fouchet instaure la carte scolaire, pour gerer les flux d’eleves et les moyens d’education.

Il souhaite ainsi promouvoir la mixite sociale en obligeant les parents a inscrire leurs enfants dans un etablissement en fonction de leur lieu d’habitation. Mais le systeme est rapidement perverti : ceux qui le peuvent contournent la carte par des derogations, adresses fictives, relations et inscriptions dans le prive. La carte scolaire, paradoxalement, se met de plus en plus a rimer avec inegalite. En 1975 est mis en place le college unique. Il a pour objectif de democratiser l’acces a l’education en offrant a tous, de la sixieme a la troisieme, le meme enseignement.

Mais les inegalites demeurent : aujourd’hui, on est encore trop souvent oriente en filiere professionnelle quand on connait une situation d’echec. Il faudrait un « reequilibrage disciplinaire », explique Philippe Meirieu, auteur de plusieurs ouvrages et d’un rapport sur l’education. En 1981, la gauche, quelques mois apres son arrivee au pouvoir, cree les zones d’education prioritaire (ZEP), dans le but de renforcer le niveau des eleves inscrits dans des etablissements en zones defavorisees, par un ensemble de mesures volontaristes, materielles et pedagogiques.

D’apres le dernier rapport de l’inspection generale de l’education nationale sur la contribution de l’education prioritaire a l’egalite des chances des eleves, le bilan est mitige. Conclusion reprise par la plupart des intervenants avec lesquels nous nous sommes entretenus (cf. notre serie d’entretiens). Depuis, beaucoup de mesures ont suivi, emanant de gouvernements de droite comme de gauche : loi Savary sur l’ecole privee, loi Devaquet, reforme des diplomes, CPE, etc. La liste est loin d’etre exhaustive.

De nouvelles methodes pedagogiques ont ete inspirees de la maternelle a la fin du cycle primaire. Des adaptations des filieres d’orientation ont ete experimentees du college au lycee, avec plus ou moins de reussite, les effectifs dans les classes ont ete reduits, avec l’approbation du corps enseignant et des syndicats. L’objectif de ces mesures est le meme, en theorie : rehausser le niveau des eleves en maintenant le principe fondateur de l’egalite des chances de la maternelle a l’acces a l’universite.

Dans le superieur, meme combat : ceux qui etaient defavorises des le debut ne rattrapent pas leur retard. Le baccalaureat a 80 % d’une classe d’age entend repondre a la massification de l’ecole et a la democratisation du savoir. Les universites sont submergees par les inscriptions, les filieres se bouchent, les moyens manquent, la selection est bannie par les etudiants. Les universites francaises deviennent les parents pauvres de l’enseignement superieur, le cursus des etudiants anonymes sans perspective, la voie de garage en rupture avec les exigences des entreprises et la realite du marche.

L’egalite des chances s’essouffle, souffre et recule meme. Quelques initiatives marginales sont alors appliquees, souvent mises en avant par les medias. Sciences Po prend depuis quelques annees les meilleurs eleves des zones d’education prioritaire (ZEP), l’Ecole normale superieure envoie, elle, ses professeurs dans des etablissements classes en ZEP. Le lycee Henri-IV a cree une classe preparatoire de remise a niveau, « classe preparatoire aux etudes superieures », pour trente eleves issus de milieux modestes a la rentree 2006. Il ne s’agit pas de discrimination positive, estime le proviseur du lycee, Patrice Corre, mais d’une operation d’ouverture sociale sur la base du merite.  » (Le Monde du 16 mai 2006). Mais ces initiatives sont loin de faire l’unanimite. Sciences Po a fait ses « bonnes ? uvres de la marquise », pour Jean-Paul Brighelli, alors que Christian Jeanbrau, ancien professeur en classes preparatoires a Henri-IV, trouve le projet « meprisant, insultant pour l’effort pedagogique en zone difficile, elitiste a contre-emploi et, en termes d’impact social, ridicule » (Le Monde du 19 mai).

A l’issue de ces projets de modernisation du systeme scolaire, experts et professionnels de l’education tirent un bilan globalement negatif de trente ans de politique educative. D’ou la pertinence de la question sur l’inegalite des chances. Souffrirait-on d’un mal bien francais, qui impliquerait que toute reforme est mauvaise mais que, paradoxalement, le systeme ne conviendrait a personne ? Consolidation du systeme ou ouverture ? Publie le 15. 12. 06 | 14h44 Les crises du monde scolaire et parascolaire bousculent les certitudes du systeme francais qui se royait a l’abri, persuade d’etre le meilleur. Mais la sinistrose gagne l’ensemble de l’univers scolaire. En premier lieu, les eleves qui s’interrogent sur leur lien a l’ecole, puis les parents d’eleves qui s’inquietent de l’avenir de leur progeniture, le corps enseignant qui se pose des questions sur la valeur du metier, et les experts et hommes politiques qui retournent dans tous les sens le casse-tete de l’education sans trouver de solution durable. En 2006, la politique de l’egalite des chances se trouve donc a la croisee des chemins.

Ce n’est pas sur le diagnostic que les divergences apparaissent mais sur les recettes. L’heure est plutot au pessimisme ambiant et de cette inquietude sont nees deux dynamiques. D’un cote les pessimistes de conviction plaident pour des solutions telles que redoublement, fin du college unique et parfois retour aux blouses. C’est a l’eleve de s’adapter a un ordre scolaire plus ferme, capable de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, le laureat et le bonnet d’ane. L’ecole aurait besoin d’une therapie de choc, par la reification d’un systeme egalitaire souvent embelli.

Car comme le souligne le sociologue Francois Dubet, « nous n’etions pas veritablement dans un systeme d’egalite des chances ». Mais quid de la politique de massification des ecoles ? Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les noms des bacheliers etaient annonces a la radio… On imagine mal aujourd’hui l’exercice. Jusqu’aux annees 1960, la Republique pouvait se permettre de recompenser ses meilleurs elements. « Le systeme scolaire etait un systeme qui ouvrait une certaine ecole aux enfants du peuple et ouvrait une certaine ecole aux enfants de la bourgeoisie », poursuit Francois Dubet.

Mais ce n’etait pas la meme ecole. De l’elitisme republicain plus que de l’egalite des chances. On partait du principe que tout le monde n’avait pas le devoir de reussir a l’ecole. Pour ceux qui excellaient mais qui etaient issus de milieux defavorises, le systeme a invente la bourse. Les boursiers etaient les elements prometteurs du systeme, les symboles de l’efficacite d’un modele republicain capable de donner une chance a tous. A cote de ce camp minoritaire, les pessimistes de responsabilite, eux, rejettent le fatalisme de l’echec et refusent de se laisser dominer par des solutions de repli.

L’esprit du « Pensionnat de Chavagnes » (une emission de tele-realite sur M6) est revolu, insiste Herve Hamon. Ce dont l’ecole souffre, ce n’est pas d’un manque d’attachement au passe mais d’un repli par rapport a la realite d’aujourd’hui. A commencer par un manque d’ambition qui interdit de placer l’eleve au c? ur du systeme. L’ecole souffre d’un manque evident d’adaptation a une societe complexe et en mouvement. D’ou les incidences sur le moral et le manque d’estime de soi de l’eleve. Mais aussi des techniques de management retrogrades, un systeme par trop arc-boute sur ses acquis et ses symboles. L’ecole est prise dans un imaginaire un peu sacre, un peu magique, rappelle Francois Dubet, qui fait qu’il est difficile de toucher a des symboles.  » C’est comme si tout s’etait fige : on refuse la selection alors qu’elle constitue le moteur de la competition (mention au bac, classes prepa, etc. ), on manque de passerelles avec l’entreprise, on perpetue le traitement indifferencie des cas en difficulte, l’orientation post-secondaire est de mauvaise qualite, on s’interdit d’observer ses voisins europeens, etc. Bref, la rigidite du systeme moule les esprits, uniformise les comportements et castre l’idee de changement.

Pourtant, rien ne peut plus marcher comme avant. Ce n’est pas encore l’union sacree, mais jamais la volonte de moderniser, de changer, de reformer les choses n’a ete aussi grande qu’aujourd’hui entre les eleves et les professeurs, les syndicats et les associations de parents d’eleves, les proviseurs et les parents, les administrateurs et les sociologues de l’education. Le temps est donc venu, semble-t-il, d’ouvrir un nouveau cycle… De Jean-Paul Brighelli a Gerard Aschieri via Richard Descoings, Patrick Fauconnier et Francois Dubet, plusieurs indiquent le chemin a suivre, avec une seule finalite : celle d’une veritable egalite des chances.

Mais encore faut-il que les politiques decident de faire de l’education une priorite. Les candidats a l’assaut de l’egalite des chances Publie le 15. 12. 06 | 15h10 Pour la campagne presidentielle 2007, les candidats des deux plus grands partis, Nicolas Sarkozy pour l’UMP et Segolene Royal pour le PS, ont place l’education parmi les themes prioritaires. Segolene Royal appelle a reflechir sur les resultats de la carte scolaire et a refonder les bases de l’egalite des chances par des entorses a la tradition socialiste.

Nicolas Sarkozy, fidele a la philosophie de droite, insiste sur le merite, l’effort, le travail et la competition en proposant de supprimer la carte scolaire pour reorganiser le rapport entre les Francais et l’ecole. A gauche comme a droite, on le sait : l’ecole francaise merite plus qu’un debat « pour ou contre la carte scolaire ». Et le ministre en exercice, Gilles de Robien, a raison d’appeler tous les candidats a la presidentielle a ne pas tomber dans le « simplisme » concernant l’ecole. Celle-ci, avant tout, a besoin que la societe lui lance un autre regard, en suivant trois grandes dynamiques.

Il y a tout d’abord la question des politiques scolaires a long terme. Peut-on envisager des reformes dans la duree en France ? Quand on voit le nombre de ministres de l’education en dix ans, on se dit que rien n’est possible. C’est faux. La reforme LMD (licence, master, doctorat), rappelle Patrick Fauconnier, est un projet pour lequel quatre ministres de gauche comme de droite ont ? uvre : MM. Allegre, Lang, Ferry, Fillon. Il y a ensuite la question de l’adaptation de l’education aux realites economiques, ce qui renvoie au statut des ecoles et surtout des universites. La aussi, de nouveaux chantiers ont ete ouverts.

Et tout porte a croire, au regard des dernieres previsions economiques, qu’il ne peut pas y avoir de developpement et de croissance en France sans un effort entrepris sur la recherche. La croissance de demain passe par une politique intensive en faveur de la recherche et du developpement des connaissances. Et cela commence a l’ecole, qui, pour preparer ses eleves au nouveau paysage economique, doit leur permettre d’acquerir des competences, de mieux percevoir les talents individuels, de donner confiance. Il y a enfin la question des moyens. Seule une politique volontariste peut susciter des resultats.

L’ecole a besoin d’une politique de grands travaux du savoir. Pas forcement de rallonger des lignes de credits la ou les resultats sont mitiges. Reinventer la politique des ZEP, reviser la carte scolaire, ameliorer les filieres d’acces a l’Universite, ouvrir et autonomiser celle-ci, equiper les etablissements en moyens techniques, optimiser la formation des enseignants et insister davantage sur les langues et l’ouverture sur les autres modeles, tout cela demande des moyens mais surtout des fins, avertit Francois Dubet, car « on ne peut pas dire qu’en mettant plus de moyens pour des choses qui ne marchent pas bien, cela marchera mieux ».

Pourquoi pas boucher ? Publie le 18. 12. 06 Il est presque 8 h 20, ce jeudi d’automne. Une masse d’adolescents patiente dans le calme devant le 37, boulevard Soult, dans l’est de Paris. La plupart d’entre eux sont des garcons ; quelques petits groupes sont formes. On discute. Certains fument une cigarette, aucun ne chahute. Legerement en retrait, deux surveillants observent ce petit monde. Une sonnerie retentit : c’est l’heure de rentrer au centre de formation d’apprentis des metiers de la viande. L’ecole accueille environ 300 eleves de 14 a 25 ans pour les former au metier de boucher.

L’apprentissage est ici le c? ur de la formation. Les plus jeunes peuvent integrer la classe d’initiation preprofessionnelle en alternance (Clipa). Viennent ensuite les CAP, BEP puis les brevets professionnels. Ce jeudi a 8 h 30, c’est cours pratique pour la classe de premiere annee de BEP. Ici, la cravate est de rigueur pour les apprentis bouchers comme pour leurs professeurs. Des vetements chauds sont necessaires pour passer plusieurs heures debout, face a un billot, dans une salle ou la temperature ne depasse pas les 10 °C.

Chacun revet egalement une cotte de mailles pour eviter un coup de lame malheureux et se coiffe d’une casquette pour des questions d’hygiene. La lecon du jour porte sur la preparation d’une piece de b? uf. Stephane Riquet, maitre boucher, fait face a une vingtaine d’eleves. Couteau en main, le professeur execute sa demonstration. Il detaille chaque morceau de viande, chacun des elements qui la composent. Il repete inlassablement les regles qui feront de ses apprentis d’honnetes professionnels puis il interroge, note et recommence.

Ses eleves ecoutent et s’escriment a reproduire les gestes de leur maitre. Surprise : autour de Stephane Riquet, il se fait un silence d’eglise. Cette vingtaine de personnes, que le tronc commun de l’education nationale n’a pas gardees, est a l’ecoute. « On ne plaisante pas avec la discipline », explique le maitre boucher avant d’affiner son analyse. « Ce n’est pas a l’ecole qu’ils doivent le plus prendre sur eux. Ils travaillent en alternance. Ils passent plus de la moitie de leur temps chez un patron boucher avec lequel il peut y avoir des tensions.

Ils doivent tres rapidement apprendre a gerer l’environnement quelquefois difficile de la vie professionnelle.  »

UNE ALTERNATIVE AU TRONC COMMUN DE L’EDUCATION NATIONALE « La majorite des eleves qui integrent l’ecole sont faches avec le systeme scolaire », reconnait Bernard Merhet, president de l’ecole et de la Federation de la boucherie d’Ile-de-France. Toutefois, 75 % a 80 % des eleves presentes aux examens obtiennent un diplome, avec de bonnes chances d’integrer avec succes la vie active. L’apprentissage offre un autre cadre pedagogique et une nouvelle chance a des adolescents brouilles avec le tableau noir.

Le profil de ces futurs preparateurs de produits carnes est « multiple », estime Annie Robillard, directrice pedagogique du Centre de formation des apprentis (CFA). « Nous avons eu des enfants de la DASS et des fils de chirurgiens ou d’ingenieurs.  » Toutefois, « beaucoup de jeunes sont dans une detresse morale, sociale, affective. Issus de familles dechirees avec des parents au chomage. Ceux qui entrent en CAP sont tres souvent en echec scolaire. Certains sortent de 4e, d’autres sont descolarises depuis plusieurs annees. Nous leur donnons une nouvelle chance de s’en sortir.

C’est lors du premier trimestre de la premiere annee que nous enregistrons le plus gros taux d’abandons. Ils supportent mal les contraintes de l’ecole et celles de leurs patrons ». Certains de ces apprentis sont egalement des fils de bouchers qui ont la perspective de reprendre l’affaire familiale. « Mon pere a trois boucheries, temoigne Emmanuel, 19 ans, j’ai fait une seconde, puis j’ai quitte l’ecole et j’ai travaille dix-huit mois comme vendeur de telephone mobile.  » Sans metier ni diplome, son pere le recadre dans le savoir-faire familial et l’envoie a l’ecole de boucherie. Mon frere aine gere deja une des boutiques de mon pere. Il veut que moi aussi je me forme au metier », explique le jeune homme. Djamel, lui, est dans l’ecole par hasard. « Je n’ai pas choisi », assure-t-il, « c’est le conseiller d’orientation qui m’a dit d’aller la. Mais c’est bien. Je ne regrette pas, j’apprends un metier. Si ca ne me plaisait pas, je serais parti. On peut gagner de l’argent et on aura du travail. A la sortie de l’ecole avec un BEP, je peux compter sur un travail a 1 400 euros [mensuel] ».

LA FILIERE RECRUTE

Un metier, un emploi et un salaire decent constituent les arguments les plus importants pour la plupart des eleves. « J’etais en premiere l’an dernier, temoigne Arnaud, mais je voulais me former a un metier pour gagner un vrai salaire. Les bouchers confirmes peuvent gagner jusqu’a 1 800 euros.  » La filiere recrute, confirme Annie Robillard. Il existerait 6 000 offres d’emplois par an dans le secteur, alors que seulement 600 apprentis sortent chaque annee des ecoles, estime la Federation de la boucherie d’Ile-de France. Dans les annees 70, nous avons accueilli jusqu’a 600 apprentis. Au fil des annees, le nombre de vocations s’est attenue. La boucherie a une image de marque deplorable. Les eleves ne disent pas facilement qu’ils sont apprentis bouchers a l’exterieur de l’ecole, ils s’inventent un autre cursus. Les patrons bouchers souhaitent egalement une autre vie pour leurs enfants, ils les encouragent a poursuivre leurs etudes. Et puis, au pays des 35 heures, la profession conserve l’image d’un metier difficile ou il est necessaire de faire beaucoup d’heures pour bien gagner sa vie.

Enfin, l’image du grand costaud rougeaud transportant des carcasses sur ses epaules perdure et ne facilite pas la feminisation de la profession », explique la directrice pedagogique. Les chiffres le confirment : une dizaine de filles sur trois cents eleves dans cette ecole. « Il faudrait valoriser ces metiers et leurs formations », souligne Annie Robillard. Alors boucherie, charcuterie, poissonnerie, a quand la releve ? L’Universite face aux inegalites et a l’echec, comment en sortir ? Publie le 15. 12. 06 Grande inegalite, ceux qui echouent viennent souvent de milieux defavorises. Un vrai gachis », declarait le ministre de l’education nationale Francois Fillon en 2004. Au niveau du diplome d’etudes universitaires generales (DEUG), l’echec est patent. Selon les statistiques du ministere de l’education nationale, moins d’un etudiant sur deux (45,5 % en 2003) reussit son DEUG en deux ans, et 70 % le reussissent en trois ans. Les bacheliers professionnels et, dans une moindre mesure, technologiques, sont particulierement vulnerables. A la session 2003 (derniers chiffres connus), seulement 15,4 % des bacheliers professionnels ont obtenu le DEUG (en quatre ans au plus), contre 77 % des bacheliers litteraires.

Les eleves des bacs professionnels sont par ailleurs plus nombreux a etre issus de milieux defavorises. De plus, seuls 59 % des etudiants inscrits obtiennent le niveau licence. Conscients de ces risques, les enfants des milieux favorises (cadres superieurs et professions liberales) evitent au maximum les premiers cycles universitaires et se tournent vers les filieres selectives, notamment les classes preparatoires. L’objectif est de contourner l’enseignement de masse et le principe de non-selection apres le baccalaureat. Cette situation traduit une grande inegalite du systeme universitaire.

Les bons etudiants, souvent les plus favorises, beneficient ainsi d’un enseignement de qualite dans un environnement favorable : cours en petits effectifs, suivi serre par des enseignants disponibles, nombreux exercices. Une situation qui s’oppose point par point a la formation dispensee dans les premiers cycles universitaires, souligne Francois Dubet dans L’ecole des chances, est-ce une ecole juste ? Et une inegalite flagrante au detriment des eleves issus des couches populaires de la population. L’insuffisance de moyens financiers explique, en partie, le deficit d’encadrement qui penalise les etudiants les plus fragiles.

L’Etat depense en effet moins de 7 000 euros par etudiant a l’universite, alors qu’il investit en moyenne, par an, plus de 13 000 euros pour chaque etudiant de classe preparatoire. L’absence de visibilite a cinq ans sur les besoins en qualification est un autre probleme. Or, cinq ans c’est le temps necessaire pour la mise en place d’une formation.

LA QUESTION CRUCIALE DE L’ORIENTATION Mais le plus grave est le probleme de l’orientation des bacheliers vers les formations qui ne sont pas des voies de garage ou sans perspectives.

La reforme de 1998 instaurant le systeme licence-maitrise-doctorat (LMD) permet en principe une reorientation de l’etudiant a l’issue du premier semestre d’etudes. Mais il semble que le systeme soit peu ou mal applique. Face a ces difficultes et a ces inegalites, le recteur de l’academie de Limoges, Patrick Hetzel, nomme par le premier ministre Dominique de Villepin a la tete de la commission universite-emploi, a remis fin octobre 2006 un rapport sur l’orientation et l’insertion professionnelle des etudiants.

S’il ecarte l’idee d’instaurer une selection a l’entree de l’Universite, il propose differentes mesures afin d’ameliorer l’information et l’orientation des etudiants. Par exemple que chaque lyceen qui souhaite s’inscrire a l’Universite ait un entretien avec les responsables de la formation envisagee, qui pourraient lui faire d’autres propositions intra ou extra-universitaires. Le rapport prevoit des la prochaine campagne d’inscription en juillet 2007 que les universites aient l’obligation legale d’informer les futurs etudiants sur le taux de reussite sur trois ans dans la filiere qu’ils ont choisie.

Premier progres : un portail Internet a ete mis en place en mai 2006 par le ministre delegue a l’enseignement superieur, Francois Goulard, cense aider les etudiants a se reperer dans le maquis des vingt-deux mille formations post-secondaires. Mais face a l’afflux de bacheliers – deux cent quarante mille chaque annee – a l’Universite, est-ce suffisant ? La selection generalisee n’est-elle pas a terme inevitable ? D’ailleurs les jeunes Francais ne s’y trompent pas, qui privilegient de plus en plus les filieres post-baccalaureat dites courtes – (dans les nstituts universitaires de technologie (IUT), les sections de techniciens superieurs (STS), rattachees aux lycees et qui delivrent des BTS…) – ou une selection s’opere apres le baccalaureat. Un choix assez pertinent puisque les etudiants concernes obtiennent a 72 % leur diplome. La carte scolaire est devenue l’instrument de la segregation sociale Publie le 17. 09. 06 En fevrier 2006, lors de la convention education de l’UMP, j’ai souleve, parmi d’autres questions, celle de la carte scolaire. Plus de quarante ans apres sa mise en place, il n’est quand meme pas incongru d’en dresser le bilan.

Je suis heureux que cette question taboue soit devenue, en quelques mois, un sujet de debat politique, une preoccupation gouvernementale et meme, semble-t-il, un theme de la campagne interne des socialistes. Afin d’eviter qu’on ne deforme ma pensee, je souhaite rappeler ici dans le detail les propositions que j’ai formulees. La carte scolaire a ete creee en 1963. Elle part du principe que la meilleure maniere de garantir l’egalite des chances est d’uniformiser les etablissements et d’y repartir les eleves de maniere autoritaire afin de creer de la mixite sociale. La premiere idee ne correspond plus aux besoins de l’ecole aujourd’hui.

L’ecole accueille des publics plus nombreux, plus divers, qu’elle mene a des niveaux de qualification plus eleves. Elle ne peut plus le faire dans les memes conditions qu’a l’epoque ou une selection severe, parfois brutale, se chargeait d’ecarter ceux qui semblaient inadaptes. Chaque enfant est different. Les uns excellent en langues, les autres en sport, certains travaillent seuls, d’autres ont besoin d’etre encadres. Combien de parents, dans tous les milieux sociaux, ont eu parfois ce sentiment que l’ecole, parce qu’elle est trop monolithique, ne savait pas comprendre l’intelligence de leur enfant ?

La seconde idee est juste et elle n’a pas pris une ride. Toutes les etudes serieuses le demontrent : les principaux facteurs de reussite des eleves sont, dans l’ordre, la qualite pedagogique des enseignants et la mixite sociale, loin devant le nombre d’eleves par classe. Mais la carte scolaire, qui etait effectivement autrefois l’outil de la mixite, est devenue l’instrument de la segregation. L’incapacite des pouvoirs publics a moduler reellement les moyens des etablissements en fonction des difficultes rencontrees par les eleves a progressivement creuse des differences profondes entre les etablissements.

Difference de niveau, qui peut varier de 30 % a composition sociologique comparable. Difference d’ambition, puisque 50 % des lycees n’envoient jamais aucun dossier d’eleve pour l’inscription en classe preparatoire. Difference d’horizon, puisque les etablissements situes dans les quartiers les plus defavorises sont devenus de veritables ghettos ou le seul effet de la carte scolaire est d’y concentrer les eleves le plus en difficulte quand il faudrait au contraire les repartir dans d’autres etablissements. Ces constats ne sont pas le fruit de mon imagination, mais ont ete dresses par des expertises unanimement saluees.

Face a cette situation, certaines familles peuvent s’emanciper de la carte scolaire en faisant le choix du prive, en s’installant dans des quartiers huppes, ou tout simplement en contournant la carte par la mobilisation de leur reseau relationnel. 30 % des enfants sont ainsi scolarises en dehors de leur college de rattachement. Les autres sont tenus de se plier a une regle qui vaut pour les uns, mais pas pour tout le monde. Cette realite est choquante. Elle est contraire aux principes les plus essentiels de l’ecole republicaine, laique, gratuite et egalitaire.

La carte scolaire se voulait un instrument de justice. Elle est devenue le symbole d’une societe qui ne parvient plus a reduire ses injustices parce qu’elle n’ose pas s’interroger sur ses outils. Devant ce constat, je formule trois propositions. La premiere est de donner de l’autonomie aux etablissements scolaires pour leur permettre de mettre en oeuvre des projets educatifs specifiques. Cette methode a fait ses preuves. Les etablissements qui ont les meilleurs resultats pour tous leurs eleves sont ceux qui ont su creer une dynamique de reussite grace a un projet specifique.

C’est en mettant de la diversite dans les methodes, sans renoncer bien sur au caractere national des programmes et des evaluations, que l’on permettra a chaque enfant de trouver une solution lui permettant de grandir et de s’epanouir. Qui dit autonomie dit evaluation. Je propose que nous nous dotions d’un organisme d’evaluation de chaque etablissement scolaire. Il doit s’agir d’evaluations detaillees, allant bien au-dela de la seule mesure des resultats des eleves, et s’interessant egalement a la qualite du projet educatif, a sa capacite a faire progresser tous les eleves, a l’ambiance au sein de l’etablissement, etc.

Ces evaluations aideront les etablissements a remedier a leurs insuffisances. Elles seront evidemment a la disposition des parents. Enfin, qui dit evaluation dit engagement de l’Etat a aider les etablissements qui ont des difficultes a ameliorer leurs performances. Le but n’est pas de designer a la vindicte les etablissements ayant des resultats insuffisants, mais de garantir une qualite educative pour tous. La consequence logique de ces propositions, c’est le libre choix par les parents de l’etablissement scolaire de leur enfant.

A partir du moment ou chaque etablissement propose un projet specifique, il est normal que les parents puissent choisir l’etablissement qui correspond le mieux a leur enfant. Cette reforme ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Certaines conditions doivent etre prealablement remplies. Elle suppose de profondes transformations de notre systeme scolaire. Mais c’est le projet vers lequel je propose de tendre. Certains demandent : « Si l’on supprime la carte scolaire, par quoi la remplacera-t-on ? ». Je leur reponds : « Mais par rien !

Ou par un systeme d’inscription dans, par exemple, trois etablissements au choix. » La carte scolaire a ete supprimee dans presque tous les pays de l’Union europeenne. Dans tous ces pays, aucun eleve n’est scolarise dans un etablissement que sa famille n’a pas choisi parce que les etablissements sont a la fois divers dans la methode, mais egaux dans la qualite. Il n’y a pas de selection selon le niveau scolaire ou l’appartenance sociale, mais une repartition finalement assez naturelle des eleves selon le projet d’etablissement qui leur convient le mieux.

Supprimer la carte scolaire est pour moi un aboutissement, pas un prealable. Mon projet n’est pas plus de liberte pour les uns, moins de liberte pour les autres. Cela, c’est le systeme existant. C’est au contraire la qualite educative pour tous, un objectif difficilement contestable. La carte scolaire n’aura alors plus de raison d’etre puisque tous les etablissements seront de qualite. Ceux qui pensent que ca ne peut pas marcher sont tout simplement ceux qui n’ont pas confiance dans la capacite du corps enseignant et de l’ecole republicaine d’y parvenir.

Pour ma part, je sais que le systeme educatif et les enseignants ont toujours ete les moteurs d’une societe plus juste et je veux leur donner les moyens de le redevenir. Francois Dubet : « L’egalite des chances, le pire des systemes, mais il n’y en a pas d’autres » Publie le 18. 12. 06 Dans votre ouvrage L’Ecole des chances, vous remettez en question le modele de justice a l’ecole, notamment l’egalite meritocratique des chances. Et pourtant, vous dites, c’est une « fiction necessaire » . Pourquoi ? Francois Dubet : Ce que je pense, c’est que ce modele de justice et d’egalite a une force essentielle : c’est qu’il n’y en a pas d’autre !

Je veux dire par la que sauf a dire que les gens vont heriter automatiquement de la position de leurs parents, ou sauf a tirer au sort la position des individus par une loterie qui dirait les uns seront medecins, les autres seront balayeurs, il n’y a pas d’autre maniere de s’y prendre que d’organiser cette competition. Ce que je dis simplement, c’est que le fait qu’il n’y pas d’autres maniere que cela ne doit pas nous rendre completement aveugles sur les difficultes de ce modele, sur le fait qu’il n’est probablement pas realisable dans une societe ou les gens sont inegaux, ont des positions sociales inegales.

Je crois que de ce point de vue-la, il faut a la fois affirmer et tendre vers ce modele – ma position est celle d’un sceptique – et en meme temps compenser, par d’autres politiques et d’autres mesures, le fait que ce modele ne peut pas, a mon avis – et je dirai que pour le moment les faits me donnent raison en France et partout –, veritablement se mettre en place. Pour prendre un exemple tres simple, je peux tenir sur l’egalite des chances les propos que Winston Churchill tenait sur la emocratie : c’est le pire des systemes mais il n’y en a pas d’autres. A partir de la, et comme pour la democratie, quels sont les mecanismes que l’on peut mettre en place pour compenser les effets negatifs, sachant que l’egalite des chances reste la vertu cardinale d’un systeme scolaire. Vous estimez que la situation peut s’ameliorer en partant de ce qui existe. En meme temps, vous parlez de revolution ? Mais quelle est cette revolution ?

Francois Dubet : Cela peut apparaitre comme une revolution mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit puisque je continue a dire : etablissons l’egalite des chances, donnons plus de moyens a ceux qui en ont moins, faisons en sorte que les privileges scolaires ne se deplacent pas uniquement vers les bons eleves qui sont aussi les eleves des classes dirigeantes, essayons de faire que l’arbitrage scolaire soit plus equitable et plus neutre qu’il ne l’est.

En meme temps, il y a trois choses importantes : premierement, puisqu’un systeme de ce type – et je repete il n’y en a pas d’autres – produit necessairement des vainqueurs et des vaincus, la premiere chose a faire serait de s’occuper prioritairement du sort des vaincus. Que sont devenus tous ceux qui ne sont pas rentres dans les grandes ecoles ? Et s’ils sont maltraites, s’ils n’ont rien appris, s’ils sont nuls et s’ils ne savent rien faire, on ne peut quand meme pas considerer que c’est un succes ! Puisqu’un tel systeme produit des vaincus, essayons d’ameliorer le plus ossible le sort des vaincus au lieu de dire « c’est la competition, elle est juste et malheur aux vaincus ». De ce point de vue, je suis assez favorable aux politiques style Sciences-Po. En meme temps, que fait-on des 99 % d’eleves qui n’y arriveront jamais ? Je pense qu’il faut revenir a ce que j’appelle le smic : un savoir commun pour tous les eleves a la sortie du college. Le systeme cree des inegalites, mais jusqu’a quel seuil peut-on accepter d’aller, notamment du point de vue des plus faibles ?

Deuxiemement, pour ponderer le systeme de l’egalite des chances, il conviendrait de dire que, puisque les diplomes aujourd’hui – etant donne la massification scolaire – sont un outil absolument indispensable pour se situer sur le marche du travail, alors faisons en sorte que l’on donne aux eleves des diplomes qui ont un peu de valeur. Meme dans le cas ou la repartition des diplomes serait juste, il n’est peut-etre pas juste que certains diplomes donnent des monopoles et des rampes, que certains diplomes ne donnent rien et que l’absence de diplomes devienne un veritable handicap social.

La encore, il faut bien ponderer le systeme de l’egalite des chances en disant : puisqu’aller a l’ecole est d’une certaine maniere un sacrifice pour l’individu qui y va, il faut probablement faire en sorte que chaque formation ait un minimum d’utilite sociale, c’est-a-dire que je puisse aller sur le marche du travail en disant « voila ce que j’ai et je sais faire quelque chose ». Troisiemement, le principe de l’egalite des chances – et toutes les violences scolaires en sont la manifestation quotidienne – est un principe d’une extreme cruaute pour les individus.

Quand vous etes dans un systeme d’egalite des chances, vous etes tenus de vous vivre comme le responsable de votre echec. « Vous avez eu l’opportunite de gagner, vous n’avez pas gagne, tant pis pour vous.  » Notre systeme scolaire – et c’est une caracteristique qui le distingue facheusement d’autres systemes scolaires – a une tres forte capacite a humilier les mauvais eleves, a une capacite de convaincre les eleves qu’ils sont nuls et qu’ils sont incapables.

Je crois que l’on pourrait parfaitement essayer de dire : evidemment, les eleves sont inegaux, mais l’ecole doit garantir aux eleves les plus faibles un sentiment d’estime de soi, un sentiment de confiance de soi auquel tout individu a droit, meme s’il n’est pas bon a l’ecole. Par exemple, on doit pouvoir aller dans un enseignement professionnel sans etre considere a priori comme un incapable. On doit pouvoir rejoindre la formation permanente au cours de sa vie meme si on a echoue a l’ecole, alors que la plupart des individus n’y vont pas, etant convaincus que de toute facon ils n’apprendront jamais rien, qu’ils en sont incapables.

On ne peut donc pas faire autrement que de garder l’egalite des chances au c? ur de notre dispositif scolaire – parce que, je le repete, dans les societes democratiques, c’est la seule chose possible –, mais on ne peut pas etre naif au point de croire que, premierement, on va veritablement l’atteindre, et que, deuxiemement, si on l’atteint, cela n’aura pas des consequences forcement injustes sur les individus qui n’auront pas eu la chance, le merite, le talent d’y reussir. Vous vous placez du cote des vaincus.

Or, dans ce que vous proposez, vous n’ecartez pas l’idee qu’il y aura toujours des vaincus. Alors comment faire ? Existe-t-il un systeme duquel tout le monde sort avec succes ? Francois Dubet : Ne soyons pas naifs au point de croire que tout le monde finira a l’IEP. En meme temps, puisqu’on n’est pas naif et que l’on pense qu’il y aura toujours des vaincus, la question des competences, des savoirs, de l’estime de soi que l’on donne aux vaincus en depit de leur echec est quand meme une question essentielle. Je repete : la tradition scolaire francaise n’est pas la meilleure qui soit.

Ce qu’on observe par exemple dans un grand nombre de pays qui ne sont pas plus egalitaires que nous, c’est qu’il y a des manieres de traiter les eleves, des formes d’apprentissage, des formes de connaissances qui s’efforcent un peu plus que nous ne le faisons de ne pas humilier les vaincus. Dans les enquetes de l’OCDE qui comparent les systemes scolaires, il y a une question qui est posee aux eleves : « Quand tu ne comprends pas, est-ce que tu demandes au prof ? « . Dans la plupart des pays du monde, 85 % des eleves demandent a un enseignant d’expliquer parce qu’ils n’ont pas compris.

En France, il n’y a que 15 % des eleves qui disent  » quand je ne comprends pas, je demande aux enseignants  » ! Parce qu’on est dans un systeme ou, au fond, l’organisation du merite et de la competition commande meme les relations scolaires. Sur ce point, il ne s’agit pas de revolution. Il s’agirait de dire qu’il est deja tres injuste que les enfants des categories les moins favorisees se retrouvent dans les filieres les moins favorisees pour avoir les emplois les moins favorises, il n’est peut-etre pas necessaire de faire a la fois qu’ils soient ignorants et qu’ils soient humilies.

Justement, en prenant exemple sur les modele scandinave et anglo-saxon, vous n’ignorez pas que ces modele scolaires sont le reflet d’une culture et d’une histoire. Comment appliquer ces modeles en France ? Francois Dubet : Nous savons tous que le systeme scolaire va mal, qu’il faut le reformer et que nous pourrions tout simplement regarder un peu comment s’y prennent les autres.

Au lieu de rester trop enfermes dans cette image que nous avons d’une societe absolument singuliere, d’un systeme scolaire absolument unique, au fond, en etant a peu pres convaincus qu’il est toujours le meilleur sauf a des moments depressifs ou l’on se met plus bas que terre, je crois que l’on pourrait avoir des raisonnements un peu pragmatiques la-dessus. Les eleves espagnols, lorsqu’on les teste internationalement a l’age de 16 ans, parlent mieux l’anglais que les eleves francais, alors qu’ils consacrent moins d’heures a l’apprentissage de l’anglais. Cela ne serait pas une insulte nationale que de se demander comment font les Espagnols !

Les eleves australiens ont une plus forte estime d’eux-memes que les eleves francais. Cela ne serait pas scandaleux de regarder comment font les Australiens ! Par exemple, les Scandinaves ont une scolarite primaire et moyenne dans laquelle il n’y a pas de redoublement. On sait qu’en France, le redoublement est inefficace mais on y tient beaucoup. Cela ne serait pas scandaleux de voir comment font les Scandinaves ! Ce ne serait pas trahir notre societe que de se dire que l’on pourrait parfois faire un peu mieux. Bien evidemment, je ne souhaite pas – et je ne pense que cela soit possible – de devenir demain Finlandais, Coreens, etc.

Vous stigmatisez assez souvent les enseignants, notamment sur ce qui se passe dans les salles de professeurs et leurs rapport avec les eleves. Vous parlez de passage du jugement des performances au jugement de personnes. Comment ont-ils reagi a vos idees ? Francois Dubet : Le monde des enseignants est un monde extremement sensible… Justement, d’ou vient cette extreme sensibilite des enseignants ? Francois Dubet : Parce que je crois que le monde scolaire francais a ete vecu comme etant le centre de la societe ayant une legitimite culturelle extraordinaire.

Les instituteurs etaient les hussards de la Republique, les professeurs etaient les temoins de la grande culture et l’ecole etait l’esperance de la societe. Je crois qu’aujourd’hui, dans une societe ou le niveau de consommation culturelle a considerablement augmente, dans une societe ou tous les eleves vont a l’ecole pendant tres longtemps, cette espece d’institution un peu « clericale » se sent menacee. Il y a un sentiment, au fond, que la place de l’ecole – alors meme qu’elle n’a jamais ete aussi puissante – n’est plus ce qu’elle etait.

Puis, un autre point extremement important qui explique la reactivite tres forte des enseignants, c’est que les conditions subjectives de travail sont devenues considerablement plus difficiles. Vous comprenez, faire la classe a des petits paysans en se disant que dans le meilleur des cas, un tiers ou la moitie d’entre eux auront le certificat d’etudes, ou faire la classe a des lyceens dont les deux tiers etaient des enfants de la bourgeoisie et le dernier tiers des enfants des classes moyennes qui avaient un desir forcene de travail et de reussite, c’etait extremement facile !

Aujourd’hui, evidemment, vous etes dans un monde completement desajuste, c’est-a-dire que tous les eleves sont la, leur rapport a la culture scolaire est loin d’etre fixe, les eleves comme leurs parents sont convaincus que faire des etudes sert a quelque chose mais ils ne savent pas trop a quoi cela les destine. C’est tres difficile aujourd’hui de faire la classe. Et quand vous avez ce monde qui, d’une part, a le sentiment d’une chute symbolique, et d’autre part, a des conditions de travail de plus en plus difficiles, evidemment la tendance naturelle, c’est le repli, la defense, fermer le sanctuaire.

Je crois que les problemes de l’ecole ne se reduisent pas aux problemes des attitudes subjectives des enseignants et des eleves. Les enseignants sont pour la plupart d’entre eux des gens genereux. La question c’est qu’en fait, enseignants et eleves sont dans un piege. Ce piege, c’est l’affirmation continue que tout le monde doit reussir a aller au plus haut, et c’est l’experience quotidienne que cela ne marche pas. On finit, quand on est eleve, par detester ces enseignants qui vous mettent devant des exigences que vous ne pouvez jamais atteindre, et vous avez le sentiment que vous echouez en permanence.

Et les enseignants ont un sentiment parallele : « J’ai passe un Capes, une agregation, j’ai un haut niveau de culture et j’ai des eleves tres loin de ca.  » Je crois qu’il faut aujourd’hui sortir de ce piege. Ce qui me chagrine et qui m’inquiete beaucoup, c’est que dans le monde de l’ecole et autour de lui, c’est que la sortie de cette situation, c’est le retour au passe. On a eu la methode syllabique ; aujourd’hui, c’est la grammaire. Il y a des nostalgies de blouses grises, de reglements interieurs. Je crois que cela est vraiment catastrophique.

Soit on s’enfermera dans le piege, soit on finira par dire : « la plupart des eleves n’ont pas leur place a l’ecole, vous pouvez sortir ». Donc, je crois qu’il faut admettre que nous avons change la nature du systeme scolaire avec l’egalite des chances meritocratique et l’ecole de masse. Et meme si cela nous fait moyennement plaisir, il faut en tirer les consequences de maniere a ce que l’ecole soit un peu plus juste, un peu plus efficace, un peu plus vivable qu’elle ne l’est. Que manque-t-il alors ? la volonte politique ?

Francois Dubet : Fondamentalement, le probleme, je crois, est politique. Toute la difficulte est la. Je prends un exemple que vous allez trouver cruel de ma part : tous les etudiants francais acceptent de se livrer a des jeux de selections extremement feroces : classes prepa, mention au bac, mention dans les IUT. Mais si vous dites « je filtre a l’entree des universites », ce sont des centaines de milliers de gens dans la rue, alors que par ailleurs ces memes gens accepteront la selection feroce. Vous etes devant un monde ou les symboles jouent un role essentiel. C’est une premiere difficulte.

La deuxieme difficulte, c’est que si vous considerez aujourd’hui que l’ecole distribue des gagnants et des perdants, on n’imagine pas aisement que les gagnants vont vouloir changer des regles qui les favorisent. Moi qui ne suis pas un sociologue marxiste, sur l’ecole, je suis assez « lutte de classes ». La violence des interets en jeu est tres grande. La troisieme chose qui rendra ces reformes difficiles, c’est que le monde de ceux qui echouent a l’ecole ou qui sont marginalises ou exclus de l’ecole considere grosso modo qu’il n’a pas vraiment de legitimite pour intervenir dans un debat scolaire.

Ce qui fait qu’un debat scolaire est presque toujours un debat d’experts, d’enseignants, de professeurs, de classes moyennes, d’intellectuels, alors qu’en realite tout le monde va a l’ecole. Cela cree des difficultes politiques extremement serieuses. Chacun peut s’accorder sur le fait qu’il y a de grands problemes, mais en meme temps si chacun regarde devant sa porte et ses interets, ceux qui s’en tirent pas trop mal ont plutot tendance a dire « gardons le systeme tel qu’il est ». Des normaliens a Sarcelles Publie le 15. 12. 06 Salle 208, lycee Jean-Jacques-Rousseau, a Sarcelles.

Francis, Benoit et Anthony planchent sur un probleme de mathematiques. Ce mercredi apres-midi, avec cinq de leurs camarades, ils font des « heures sup ». Leurs professeures, elles, sechent des cours : ce sont des normaliennes, volontaires pour participer au programme de tutorat mis en place par leur ecole. Par-dessus les epaules, Delphine et Catherine controlent, donnent des indications, precisent des notations. PLUS DE BOURSIERS, MOINS DE PREPAS « C’est bien d’aller voir des gens qu’on ne rencontre pas forcement, qui n’auraient pas pense a faire une prepa », explique Delphine, une biologiste de 22 ans. On essaie d’aider un peu ces jeunes, c’est du benevolat ‘soft’. J’ai eu de la chance, chez moi on lisait, on sortait, on allait au theatre… Je realise que j’ai eu un environnement super favorable.  » Parisienne, elle a ete interne en classes preparatoires au lycee pour filles Sainte-Genevieve, a Versailles. Aissatou, Gabrielle et les autres sont, eux, en premiere a Sarcelles, dans le Val-d’Oise. Leur lycee est situe dans un quartier residentiel, a l’ecart des barres. Couloirs blancs fraichement repeints et couleurs vives, l’etablissement est encore en travaux.

Ici, comme dans les autres lycees selectionnes, le taux de boursiers est superieur a la moyenne nationale. Le nombre de demandes d’entree en classes preparatoires y est inferieur. « La prepa, j’en ai entendu parler au college, par un prof de latin qui avait fait une grosse digression », raconte Gabrielle. « Mais ici, on ne nous en parle pas trop. On nous dit ‘passez le bac, et apres on verra' », confirme Francis. Rachida et Tamara sont en section economique et sociale. Elles ne savent pas encore si elles veulent faire une prepa. L’objectif du programme de l’Ecole normale superieure (ENS) ?

Leur montrer que si elles le souhaitent, « c’est possible ». « Je viens d’un lycee de province pas mauvais, mais moyen. On ne savait simplement pas ce qu’etait une prepa », explique Claire Scotton, chargee du programme a l’ENS. C’est elle, avec d’autres etudiants, qui est a l’origine du projet. « L’information est capitale, mais cela ne suffit pas. Il faut qu’il y ait un relais humain, un ami, un proche, pour faire tomber les mythes. On veut leur montrer qu’il n’y a pas que des gens qui lisaient Proust a 7 ans et demi dans l’ecole ! Et meme s’ils n’entrent pas en prepa, on leur fait partager une passion, une idee du savoir. « POURQUOI AIDER DES BONS ELEVES ?  » En salle 208, pas de pause. Les eleves sont silencieux. Leurs tutrices ne leur laissent pas le temps de discuter, elles enchainent les enonces. Et veillent a ce qu’ils travaillent seuls, sans trainer. Delphine et Catherine distribuent un nouvel exercice. « Vous voulez le plus simple ou le plus difficile ?  » Pas vraiment le choix, ce sera le difficile. « On essaie de leur donner l’emulation qu’ils n’ont pas eue », explique Catherine. « Mon ancien lycee, Orsay, est elitiste. Quand je suis arrivee en prepa, a Saint-Louis, je n’ai pas eu de difficultes, j’avais deja fait le programme. Plus tard, elle pense faire de la recherche plutot que de l’enseignement. « Travailler avec des eleves motives, c’est bien. Sinon, ca ne me dit rien.  » A Jean-Jacques-Rousseau, pas de problemes : Francis, Benoit ou Anthony font partie des « bons eleves ». « Au debut, j’etais un peu sceptique sur le projet. Quelle est la pertinence d’aider des eleves qui sont deja bons ? « , s’interroge Francois de l’ENS. « La plupart des lycees du programme, surtout en province, ne sont pas vraiment en difficulte. Finalement, je me suis dit qu’on pourrait toujours les motiver un peu plus. A Sarcelles, le proviseur a compris que le but etait social et a « joue le jeu », confirme Delphine.

Les eleves, volontaires, n’ont pas ete uniquement choisis en fonction de leurs resultats scolaires. « Ailleurs, il n’y a que des fils de medecin ou de profs… Ils n’ont pas besoin de nous.  » « LA BASE, C’EST LE CONCOURS » L’egalite des chances, la discrimination positive ? Pour Delphine et Catherine, si leurs eleves entrent en prepa, ce sera deja bien. Normale, c’est une autre histoire. Et elles n’imaginent pas que l’ecole puisse aller plus loin, creer une filiere specifique, comme par exemple a Science Po Paris. Je ne suis pas vraiment pour. La base de l’ecole, c’est le concours », assure Catherine. Francois, lui, hausse les epaules. « C’est vrai que j’ai ete un peu surpris quand j’ai su qu’a Normale, 80 % des eleves sont issus des classes moyennes ou superieures. Au depart, la prepa, le concours, c’est gratuit. Mais en fait, on se retrouve entre privilegies.  » Francois a eu son bac a 16 ans. Apres une prepa au lycee du Parc, a Lyon, il est en 2e annee a l’ENS, en biologie. Apres deux heures de recurrences et congruences, Francis est satisfait. Elles expliquent mieux que mon prof de maths ! Et puis d’habitude, a trente eleves, ce n’est pas evident pour poser des questions.  » Catherine et Delphine trouvent que leurs eleves, globalement, s’en sont bien sortis. Elles ont deja repere les « rapides » et se demandent deja s’il ne faudrait pas mettre en place des groupes de niveau. Le cours de maths fini, on ne traine pas devant Jean-Jacques-Rousseau. Les lyceens habitent a cote. Les normaliennes vont, elles, reprendre le RER D, direction Paris. Rendez-vous est fixe pour le prochain cours, un samedi apres-midi. Rue d’Ulm.

Plus de vingt ans d’experiences d’assouplissement Publie le 13. 09. 06 Depuis plus de vingt ans, des experiences d’assouplissement de la carte scolaire ont ete tentes. Des 1983, Alain Savary, alors ministre de l’education nationale, a desserre la sectorisation a l’entree de la sixieme dans cinq departements. Le but etait de faciliter la prise en compte des souhaits des familles et de rendre les procedures de derogation transparentes. Etendue a six departements supplementaires sous Jean-Pierre Chevenement, il faudra attendre 1987 pour que cette experimentation prenne de l’ampleur. Il s’agissait de calmer le jeu apres les manifestations monstres de juin 1984 au nom de la defense de l’ecole libre », analyse Denis Paget, ancien secretaire general du SNES, le principal syndicat d’enseignants. Rene Monory, qui a pris la direction de la Rue de Grenelle en mars 1986 et en restera a sa tete jusqu’en mai 1988, a ensuite etendu cette experience a 74 departements. Ce premier pas d’ampleur vers « le libre choix » decevra pourtant nombre de sympathisants de droite qui avaient cru en la promesse contenue dans la plate forme electorale RPR-UDF de 1986 qui pronait la « liberte pour chaque parent de choisir l’ecole de ses enfants ».

LE LIBRE CHOIX » DE LA DROITE Le 30 avril 1987, une circulaire de l’education nationale precise que ces experiences ne sont pas provisoires et que l’objectif de l’education nationale reste bien « une generalisation de l’assouplissement selon un rythme et des modalites qui pourront varier selon les lieux ». Sur le terrain il existe desormais tous les cas de figure. A cote de villes entierement desectorisees comme Avignon, Perigueux, Clermont-Ferrand… d’autres ne le sont pas du tout ; c’est le cas de Nice, Versailles, Strasbourg ou encore Rouen.

Certaines communes ont ete divisees en secteurs. A Paris, l’assouplissement ne concerne que 17 colleges de 4 arrondissements. Quatre-vingt-neuf departements sont partiellement ou entierement touches par la desectorisation en 1988. Cinq ans plus tard, la droite inscrit une fois de plus a son programme « le libre choix ». Une note d’information publiee par le ministere de l’education nationale en mai 1993 revele que pres d’un college sur deux (47 %) et plus d’un lycee sur quatre (27 %) peuvent en toute liberte et sans derogation, accueillir des eleves « hors secteur ».

Elle montre aussi que l’introduction d’une relative souplesse a surtout profite aux familles socialement les mieux dotees. Francois Bayrou, ministre de l’education de 1993 a 1997, donnera un coup de frein a cette decennie d’assouplissement ininterrompu. A Paris, notamment, une resectorisation stricte met le feu a l’academie a partir de 1997 et ce pour plusieurs rentrees. Ou en est-on aujourd’hui ? Aucun veritable suivi de ces experiences de desectorisation n’a ete fait par le ministere. Pour Denis Paget, ancien secretaire du SNES, « l’arret officiel de ces experiences n’a jamais eu lieu.

Elles ont continue dans certains endroits de facon plus ou moins sauvage. A charge pour les academies de gerer les derogations ». Patrick Fauconnier : « Les politiques ont fait de l’ecole du merite une ecole du mepris » Publie le 18. 12. 06 Dans La Fabrique des meilleurs, vous partez d’un constat : « 37 % d’une generation dans le superieur et 150 000 jeunes chaque annee sans qualification ». Ou en est l’egalite des chances en France ? Patrick Fauconnier : Elle n’existe pas pour moi a l’heure actuelle. C’est une vue de l’esprit.

Je pense qu’elle a existe dans l’ecole de Jules Ferry, qui represente un monument national tellement venere – a juste titre d’ailleurs – qu’on est persuade que le monument n’a pas bouge. En realite, l’ecole au cours des dernieres decennies n’offre plus cette egalite des chances, parce que si vous voulez vous inserer professionnellement, le seul bagage scolaire ne suffit plus. Il y a des familles dans lesquelles on a le soir une relation d’aide aux devoirs que l’on n’a pas dans d’autres familles. Il y a des jeunes qui ont des ordinateurs, d’autres qui n’en ont pas.

Il y en a qui beneficient d’un sejour culturel et linguistique a l’etranger, d’autres pas. Aujourd’hui, les termes du contrat sont fausses a cause de tout ce qui est apporte par ailleurs pour aider a l’insertion. Mais on commence a le comprendre. Vous ecrivez egalement que « l’ecole qui accroit les inegalites conduit a penser que cet etat de fait ne resulte pas de facteurs politiques mais culturels ». Pourquoi ? Patrick Fauconnier : J’ai pense que si c’etait politique, avec les alternances qui ont eu lieu depuis une vingtaine d’annees, la situation se serait amelioree, ce qui n’a pas ete le cas.

J’ai donc tendance a en deduire que c’est culturel. D’autant que je considere que l’ecole s’est constituee ideologiquement comme une machine a filtrer. On a, en France, cette obsession des etiquettes et du diplome. Je trouve que c’est un abus parce que le diplome scolaire, dans le systeme francais, ne mesure pas la competence professionnelle mais l’aptitude a restituer correctement des choses apprises par c? ur. Or la vie active, c’est tout sauf ca. C’est savoir s’adapter en permanence a des choses tout le temps changeantes. Je trouve donc tres cruel que l’on ait indexe le recrutement a ce point-la sur la possession ou non d’un diplome.

C’est pour ca que je suis pour la suppression du bac. Je crois qu’il faut mesurer le niveau atteint a la fin de l’enseignement secondaire, mais de la a barrer toute possibilite de poursuite dans l’enseignement superieur a cause de ce niveau, je ne suis pas d’accord. S’il n’y avait pas ce verrou, je pense que, des la seconde, les jeunes seraient bien plus disposes a se poser des questions sur leur devenir professionnel. Le fait que la classe politique soit issue de cette « voie royale » que vous denoncez contribue-t-il a expliquer cette situation ? Patrick Fauconnier : Absolument.

Avec notre systeme dual, ceux qui sont sortis des grandes ecoles sont finalement ceux qui gerent la nation et qui sont pratiquement a tous les postes de decision. Ils ne peuvent qu’auto-entretenir ce regard un peu miserabiliste sur ceux qui n’ont pas reussi. Ceux qui sont passes par cette « voie royale » peuvent sortir du systeme et entrer dans un cabinet ministeriel sans avoir reellement cotoye certaines injustices assez flagrantes de la societe. Je reproche aux elites d’avoir pousse trop loin l’application de la devise « a chacun son merite » et d’avoir fait de l’ecole du merite une ecole du mepris.

Ils ne se rendent pas compte que les faibles ont manque des moyens qui leur auraient permis d’avoir plus de « merite ». Que pensez-vous des experiences menees par exemple a Sciences-Po pour tenter de diversifier le recrutement des eleves ? Patrick Fauconnier : Je n’en pense que du bien. Ca a provoque des debats un peu hysteriques parce que ca a ete percu comme une rupture du fameux pacte republicain qui veut que le concours soit le meme pour tous. Mais un meme concours pour tous ne peut etre juste que si la formation a ete la meme pour tous. Or ce n’est pas le cas.

Il faut donc en tenir compte. Dans les grandes ecoles de commerce, cela fait plus de trente ans que l’on a cree des admissions paralleles et ca n’a pas fait hurler a la mort. De surcroit, cette initiative a des effets benefiques par ricochet. Par exemple, des lycees qui n’etaient pas remarques ont ete regardes plus positivement a partir du moment ou ils ont eu une convention Sciences-Po, les profs se sont sentis valorises, le proviseur aussi. En plus, ca a l’avantage de porter sur un nombre important de jeunes. Quel role attribuez-vous alors au ministre de l’education nationale ?

Patrick Fauconnier : J’allais vous dire : tout depend s’il est courageux ou pas. Je reproche a nos elites de faire beaucoup dans le discours mais de ne pas etre assez nombreuses a passer aux actes. C’est sur que c’est un poste extremement sensible. Mais il est vrai que les politiques ne se battent pas pour occuper ce ministere, qui est considere comme un cactus. C’est un poste ou il faut quelqu’un d’extremement diplomate et habile en concertation et en dialogue. Mais on ne peut plus faire la meme reponse a cette question en 2006 qu’en 2004. A cause de ce qui s’est passe dans es banlieues et des manifestations contre le CPE, le ministre de l’education nationale a compris qu’il est aussi le ministre de l’insertion professionnelle. Avant, on etait content de lui s’il etait un bon gestionnaire en faisant en sorte qu’il n’y ait pas trop de recriminations. Maintenant, la nouvelle approche veut que ce ministre ne s’occupe plus simplement du monde enseignant et de ses structures, mais aussi de l’insertion des jeunes. Est-ce possible pour un ministre de l’education nationale de mener une reforme jusqu’au bout ? Patrick Fauconnier : Depuis peu de temps, je suis plus optimiste.

Auparavant, il suffisait que le ministre annonce une reforme, qu’il soit de gauche ou de droite, pour qu’aussitot un certain nombre de syndicats montent au creneau. C’est une facon de faire qui est en train de s’estomper avec l’ar