Ecce homo

Ecce homo

Etre libre de tout ressentiment Ecce homo (« Pourquoi je suis si sage ») Un aphorisme suffit parfois pour que tout bascule. Pour que d’un abime, d’une beance sans mot, surgisse un « abysse de lumiere Z ». Non un dedale d’images, mais un labyrinthe sonore, pure musique transmise de bouche a oreille. Un oui illimite a la vie, un « oui benisseur Z », qui se derobe pourtant presque instantanement. Retenant son souffle, on se demande si l’on pourra un jour recomposer l’echo de cette melodie celeste ombre du nirvana, dirait un bouddhiste.

L’aphorisme 6 du chapitre « Pourquoi je suis si sage » » d’Ecce homo est un de ceux-la. Un aphorisme ou tout s’inverse dans une nouvelle perspective. Ecce homo (Voici l’homme) est l’un de ces livres ou de nouvelles possibilites de vie s’inventent. Nietzsche s’y presente comme un disciple de Dionysos. Il est le philosophe du phenomene dionysien, de son aspect psychologique. Cette spiritualite corporelle liee au drame de l’existence, Nietzsche la nomme « physiologie ». Sa plus grande vertu ? Chasser l’ignorance, le mensonge, les croyances monotheistes.

Et lorsque Nietzsche insiste sur cet etat de fait, surgit l’exemple : « C’est ce qu’a bien compris le Bouddha, ce

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profond physiologiste. N » Ne confondez pas sa philosophie avec une « religion, qu’il vaudrait mieux definir comme une hygiene N ». Parce que « ce n’est pas la morale, [mais] la physiologie qui s’exprime ainsi N ». Innocence et oubli, renouveau et jeu selon Zarathoustra, voila comment cette « roue qui roule sur elle-meme Z » inverse subitement son sens de rotation. Et puisse le Bouddha s’exprimer comme un philosophe dionysien ! Etre libre de tout ressentiment, etre eclaire sur la nature du ressentiment N », ainsi debute l’aphorisme explosif. Ou Bouddha recoit de Nietzsche l’honneur supreme partage sans equivoque avec son egal dionysien. On est pris de vertige. Est-ce l’un de ces messages cryptes de la main de Nietzsche ? Une nouvelle maniere de conjuguer Orient et Occident ? Cette liberation, cet accomplissement delivrance de l’ame, guerison, les expressions ne manquent pas bref, cette « victoire sur le ressentiment N », Nietzsche en serait redevable a sa longue maladie.

Une logique contrapuntique se met en place : une position de force et une position de faiblesse afin de philosopher sur « l’etat de maladie ». Aucun doute, Ecce homo est une ode a la grande sante, celle de Zarathoustra ; position de force qu’est le phenomene dionysien. Dans l’aphorisme, Nietzsche dit que tout ce qui ne saurait etre conforme au surhumain est maladie, souffrance. Que Bouddha, le physiologiste, soit le seul qui ait droit de citer aupres de son fils dionysien dans ce veritable guide de sante est une certitude formelle.

La premiere partie de l’ uvre fait l’eloge du regime alimentaire, du bon choix des lieux et des climats, de la necessite des delassements. Dans l’etat de souffrance, l’« instinct de guerison s’effrite N ». L’enseignement veritable du Bouddha : « Maintenant ainsi qu’avant je ne parle que de deux choses : dukkha et la cessation de dukkha. B » En son sens usuel, dukkha est traduit par « souffrance », « mal-etre », « malheur ». Philosophiquement, le mot designe a la fois le conflit, l’impermanence, l’absence de soi ; tout produit negatif d’un attachement.

Refrain tragique : dans cet etat de faiblesse, « on ne sait plus s’affranchir de rien, on ne peut plus venir a bout de rien tout vous blesse N ». Et voila certitude faite : Zarathoustra, Bouddha ont fait l’experience d’une solitude blessee, mais guerie. Que Nietzsche nomme philosophie tragique, par la grace de laquelle plus rien ne vous blesse. Car vous avez realise la cessation du ressentiment, la cessation de dukkha. Bouddha, philosophe dionysien. On ose meme : Bouddha, un heros tragique ? Nombre d’aphorismes vont en ce sens. Un seul : « Je pourrais devenir le Bouddha de l’Europe N. Imaginer un corps spirituel, sans ranc ur ni animosite, sans haine ni soif de vengeance « aucune souillure mentale B ». Mediter, marcher, pour se liberer de l’« esprit de pesanteur Z », de la vieille conscience nee du ressentiment. Encore une fois, imaginer un tel corps revient a poser un probleme de psychologie celle du Bouddha, celle de Zarathoustra. « Comment celui qui,a un degre inoui, a dit non N » et fait non a la morale judeo-chretienne au monotheisme, a l’hindouisme comme erreur metaphysique, comment peut-il etre en meme temps tout le contraire d’un esprit negateur et nihiliste ? Pour le malade, enchaine Nietzsche, le ressentiment est, en soi, la chose interdite c’est pour lui le mal absolu : c’est aussi malheureusement sa tendancenaturelle. N » Philosophie du corps, perspective bouddhiste. Ou Bouddha est l’exemple. Il se substitue meme, ici et la, a Dionysos, pour livrer bataille au christianisme « Bouddha contre le Crucifie N » ou a Socrate, ce pretre par excellence. Repenser au desastreux « Quoi que vous fassiez, vous vous en repentirez » pour se convaincre que la dialectique est chez Socrate desir de vengeance, ne du ressentiment.

Admirons d’ailleurs la finesse d’analyse d’un Ciceron : « Socrate n’est pas un medecin. Il n’a fait qu’etre longtemps malade. » Alors que l’allie parfait de Nietzsche se revele aujourd’hui etre celui qui est libre de tout ressentiment. Bouddha est le premier physiologiste a avoir vu juste dans l’histoire de la decadence des instincts. Le premier medecin de la civilisation a avoir pose un diagnostic juste et propose une alternative au « non-sens d’idee d’homme Z », tel que le concoivent les hommes du ressentiment les pretres et les philosophes, toutes categories confondues.

Un physiologiste, non un fondateur de religion, dont la doctrine philosophique est indubitablement une hygiene opposee a une morale , a ne surtout pas confondre avec le christianisme. Sans quoi on serait confronte a un « second bouddhisme N », a une « forme de bouddhisme europeen N », a une « religion nihiliste N ». Au moment de mourir, Socrate lui-meme a dit : « La vie n’est qu’une longue maladie ; je dois un coq a Asclepios, le Sauveur. » Zarathoustra, de meme que Bouddha, est tout le contraire d’un sauveur. Il se presente comme le « purificateur de la vengeance Z ».

Il souhaite que « de la vengeance, l’homme soit affranchi ; tel est le pont vers l’esperance la plus haute Z ». Nirvana mot dont la traduction litterale est « extinction » est bien l’extinction de toutes ces petites passions qui entrainent un ressentiment, ne d’un attachement. Petites passions qui seront minutieusement classees par categories, feront l’objet d’un depistage systematique, d’une genealogie meme et, en bout de course, d’une tracabilite. Bouddha, et a sa suite Zarathoustra dressent un bilan des grandes erreurs metaphysiques qui ont entraine des siecles d’ignorance, de mensonges, de croyances monotheistes.

Les vrais responsables ? Les pretres, mais aussi tous ces philosophes croyants. Ecoutez l’ironie nietzscheenne : « Que personne ne croie que si Platon vivait de nos jours et avait des idees platoniciennes, il serait un philosophe : ce serait un maniaque religieux. N » Ignorance, mensonge, croyance : trois causes de la soif/desir de vengeance responsable de l’apparition de dukkha, qui ont eu pour effet de contaminer ce qui etait le c ur meme de la philosophie tragique le guide de la souffrance et de l’heroisme. Enfantons l’innocence du devenir et creons la cessation du ressentiment !

Ces divers elements rassembles, on se demande : mais comment ai-je pu un seul instant douter du bien-fonde de cette confession nietzscheenne : « Qui connait le serieux avec lequel ma philosophie a engage la lutte contre les sentiments de vengeance et de ranc ur, et ce jusque dans la doctrine du “libre-arbitre” (la lutte contre le christianisme n’en est qu’un cas particulier) comprendra pourquoi je choisis cet exemple [le Bouddha] pour mettre en lumiere mon comportement personnel, ma surete d’instinct dans la pratique. N » (N Nietzsche ; B Bouddha ; Z Zarathoustra).