J USTICIA C ONSTITUCIONAL DEL I C O L ·L O Q U I DE P R I NC I PAT D’A NDORRA Abdeltif Menouni Membre du Conseil constitutionnel du Maroc › LA MISE EN ? UVRE DES DECISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL Nous tenons tout d’abord a feliciter le Conseil constitutionnel d’Andorre pour l’organisation de ce colloque qui represente, pour les juges constitutionnels, une autre opportunite d’echanges et de connaissance mutuelles.
Nous le remercions aussi pour l’aimable invitation par laquelle il a voulu distinguer le Conseil constitutionnel marocain, puisque celui-ci est la seule cour non europeenne appelee a prendre par t a ce colloque, par mi cet areopage de tr ibunaux constitutionnels d’Europe. Nous voyons la non seulement le result at d’une proximite geographique, mais egalement une marque d’amitie, le signe de la presence d’affinites culturelles et peut-etre d’un destin commun. Le theme choisi pour ce colloque n’est pas sans interet.
Il porte sur la decision de l’organe de controle de la constitutionnalite de la loi, c’est-a-dire sur le produit final du processus d’examen, de comparaison et de deliberation des juges constitutionnels. Il n’est certainement pas sans relation avec des parametres concrets : l’environnement institutionnel et politique, le statut de la Cour et
Le controle ne concernait que les lois organiques et les reglements des chambres, alors que les lois ordinaires qui representaient la grande majorite de la production legislative en etaient exclues. De plus pendant toute cette periode -et comme certains analystes l’avaient note- le systeme etabli s’integrait en fait dans le cadre d’un cocontrole, puisque le chef de l’Etat qui est le garant du respect de la Constitution disposait d’un pouvoir discretionnaire de promulg ation, non encadre dans le temps, et qu’il pouvait theoriquement faire obstacle a l’execution des lois jugees par lui contraires a la Constitution.
Ce n’est qu’en 1992, a l’occasion d’une importante revision de la Constitution, qui survient d’ailleurs a un moment ou l’ensemble du Continent africain connait des avancees notables dans le domaine democratique, qu’un controle de constitutionnalite plus efficace et plus etendu est A B D E LT IF M E NO UNI TRIBUNAL CONSTITUCIONAL adopte. Le controle de constitutionnalite des lois et des reglements des assemblees est alors confie a un nouvel organisme, independant et cree a l’exterieur de la Cour supreme : le Conseil Constitutionnel devant lequel sont justiciables les lois organiques, mais egalement les lois ordinaires.
En meme temps la saisine de l’organe de controle est elargie, puisqu’elle est confiee en plus du premier ministre et des presidents des deux assemblees, au Roi et au quart des membres de chacune des chambres parlementaires. Ce controle demeure preventif, meme si l’etablissement d’un controle a posteriori fait de plus en plus d’adeptes au sein de l’opinion publique marocaine et des elites politiques. De plus le pouvoir de promulgation du Roi devient une competence liee puisque le monarque est tenu de promulguer la loi dans les trente jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi definitivement adoptee.
D’une maniere gener ale le Conseil constitutionnel marocain qui a pr is en matiere de controle de constitutionnalite un centaine de decisions depuis sa creation, assume aujourd’hui un role de participation a la regulation des pouvoirs publics et plus accessoirement celui de protecteur des libertes tout en veillant a la coherence et a la reconnaissance des valeurs consacrees par la Constitution. Dans le cadre de ce systeme de controle, comment se pose la question de la mise en ? vre et particulierement celle de l’execution des decisions du conseil ? Disons tout d’abord qu’a premiere vue le controle preventif des lois, adopte par le Maroc, parait en theorie pouvoir obtenir en matiere d’execution des decisions de l’organe de controle de meilleurs resultats, puisque la norme legislative n’etant par encore entree en vigueur elle n’a pas pu produire d’effets et la situation n’est pas irreversible.
En fait le probleme est plus complexe, parce qu’il met en cause les rapports de l’organe de controle avec les autres institutions constitutionnelles qui sont dotees d’un plus grande ancrage historique, d’une legitimite plus affirmee et d’une forte pregnance en matiere politique . Au Maroc cependant, cette situation n’a pas eu d’effet sur la mise en ? uvre des decisions. Leur execution se realise d’une maniere normale, conformement aux dispositions de la Constitution et des lois organiques notamment. Certaines difficultes ont pu se presenter ; elles sont ponctuelles et peu nombreuses.
C’est pourtant sur elles, sur les doutes qu’elles generent plutot que sur les certitudes, sur des dysfonctionnements plutot que sur le fonctionnement normal, que nous allons mettre l’accent, af in d’eviter en particulier de donner au present rapport sur la situation marocaine un tour descriptif qui ne peut a notre sens ser vir de contr ibution a un debat qui veut aller au dela du for malisme et des apparences. Pour cela deux reperes nous ser viront dans l’exploration de la situation marocaine : I – La problematique juridique de la mise en ? vre et la tendance dominante a l’execution des decisions du Conseil constitutionnel marocain. II – Les reticences a l’execution des decisions et les difficultes devant leur mise en ? uvre, comme effets exceptionnels d’un systeme de controle en fin d’institutionnalisation. J USTICIA C ONSTITUCIONAL DEL I C O L ·L O Q U I DE P R I NC I PAT D’A NDORRA I. LA PROBLEMATIQUE JURIDIQUE DE LA MISE EN ? UVRE ET LA TENDANCE DOMINANTE A L’EXECUTION DES DECISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL Pour ce qui concerne la mise en ? vre des decisions du Conseil constitutionnel marocain, les textes en vigueur presentent quelques lacunes et imprecisions problematiques et ne sont pas sans ambivalence au regard des resultats de l’execution de ces decisions, meme si par ailleurs sur le plan pratique celle-ci se realise normalement. 1- Le droit marocain de l’execution des decisions du Conseil constitutionnel De fait, les textes garantissant en principe l’execution des decisions existent, notamment dans la Constitution actuelle.
Et c’est la un progres par rapport a la periode anterieure a 1992. Ainsi l’article 81 de la charte fondamentale qui reprend a peu pres le texte francais de 1958, stipule dans ses deux derniers alineas, d’une part qu’une « disposition declaree inconstitutionnelle ne peut etre promulguee, ni mise en application », et d’autre part que « les decisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et a toutes les autorites administratives et juridictionnelles ».
Ces deux alineas, aussi bien le premier qui semble concerner tous les textes susceptibles d’etre soumis au Conseil : les lois avant promulgation et les reglements des assemblees, que le second qui vise exclusivement les textes appeles a etre promulgues, c’est-a-dire les lois, posent le principe de la suprematie de la Constitution et de l’autorite du Conseil constitutionnel aux decisions duquel ils reconnaissent l’autorite de la chose jugee. La Constitution cependant, ne dit pas comment les decisions du Conseil s’imposent et ne prevoit pas notamment de procedures permettant d’assurer leur respect.
L’execution des decisions n’etant pas le fait du Conseil constitutionnel, elle requiert l’inter vention de ses partenaires institutionnels qui sont le Parlement, le Gouvernement ou bien les autres Juridictions. Or aucun mecanisme de sanction en cas de non execution des decisions, n’est prevu. Dans cette situation la prise en compte du point de vue du Conseil semble etre determinee moins par des textes clairs et aux dispositions imperatives que par les traditions juridictionnelles et la pregnance de la culture juridique sur l’opinion publique et les elites politiques.
Ce qui n’est pas sans rendre problematique l’execution de ces decisions dans les situations ou les conditions sociales precitees n’existent pas ou sont peu enracinees. La Constitution marocaine offre par ailleurs, par la specificite du regime politique qu’elle etablit, une autre alternative, celle de l’inter vention du Roi en cas de non execution d’une decision du Conseil constitutionnel. La nature de ce recours cependant est contrastee, elle n’est pas sans ambivalence. Le recours peut s’analyser a la fois comme un risque et une chance pour l’execution des decisions du Conseil constitutionnel.
Le Roi qui est la cle de voute du systeme politique marocain et qui dispose d’une legitimite plurielle, historique, religieuse et politique exerce un pouvoir d’arbitrage. En particulier il veille, en vertu de l’article 19 de la Constitution au respect de la charte fondamentale marocaine, et celle-ci lui reconnait depuis A BDE LTIF M E NOU NI TRIBUNAL CONSTITUCIONAL 1992, le droit de saisir le Conseil constitutionnel. On peut imaginer dans cette situation la possibilite pour le Conseil de faire appel au Roi a l’encontre d’une institution recalcitrante.
Ce recours est d’autant plus plausible que, dans le passe, le Roi saisi notamment par des partis politiques a rendu son arbitrage dans des questions relatives au fonctionnement des institutions. Ce recours cependant n’est pas sans risque, dans la mesure ou il induirait l’idee que les decisions du Conseil ne pourraient pas s’appliquer par la seule vertu normative de la Constitution. A ces problemes concernant l’execution des decisions viennent s’ajouter dans le texte constitutionnel les difficultes de leur mise en ? uvre. En particulier l’alinea precite de l’article 19 de la Constitution qui affirme qu’une « disposition declaree nconstitutionnelle ne peut etre promulguee, ni mise en application », laisse ouvertes certaines questions. En recourant au terme de « disposition » il suggere qu’en cas d’annulation partielle d’une loi, la possibilite de la promulgation du texte meme deleste de la partie censuree existe. Cette alternative est-elle veritablement en conformite avec l’objectif du Conseil constitutionnel qui est de censurer sans amputer. La mise en ? uvre de la decision du Conseil peut dans cette situation creer des effets non voulus, a moins que le Roi ne demande une nouvelle lecture de la loi, qui integrerait apres leur remaniement les dispositions censurees. – La tendance dominante a l’execution des decisions du Conseil constitutionnel En depit de l’insuff isance des textes et parfois de leur ambiguite, et malg re le caractere relativement recent d’un controle de constitutionnalite sur toutes les lois, les resultats obtenus, au regard de l’execution des decisions du Conseil constitutionnel marocain sont satisfaisants. Les decisions du Conseil sont parfois critiquees, contestees par leurs destinataires, elles sont neanmoins presque toujours executees, et cela meme dans les situations ou leur mise en ? vre peut avoir un impact sur les finances de l’Etat. C’est le cas en particulier de la decision prise par le Conseil le 16 aout 1994 d’annuler de la loi de ratification d’un decret-loi de la meme annee par lequel le Gouvernement avait institue une taxe de 5000 dirhams (l’equivalent de 460 euros a peu pres) pour l’usage prive des paraboles de telecommunication. Cette decision a eu pour effet de contraindre les services du ministere des finances a restituer le montant de la taxe a tous ceux qui s’en etaient acquittee.
C’est dire que la situation normale est celle de l’execution des decisions du Conseil. Mais des diff icultes existent ; elles peuvent surgir dans les relations avec les destinataires des decisions : Parlement ou Gouvernement. II. LES RETICENCES A L’EXECUTION DES DECISIONS ET LES DIFF ICULTES DEVANT LEUR MISE EN ? UVRE, COMME EFFETS EXCEPTIONNELS D’UN SYSTEME DE CONTROLE EN FIN D’INSTITUTIONNALISATION Les reticences a l’execution des decisions concernent essentiellement celles relatives au reglement des assemblees.
Quant aux difficultes de leur mise en ? uvre, elles sont le resultat des reserves d’interpretation. J USTICIA C ONSTITUCIONAL DEL I C O L ·L O Q U I DE P R I NC I PAT D’A NDORRA 1- Les reticences de l’institution parlementaire Le fait que les reticences emanent de l’institution parlementaire n’est pas un hasard. Ses membres elus au suffrage universel direct ou indirect ont tendance a se considerer comme investis d’une legitimite de nature a interdire toute immixtion dans le fonctionnement des assemblees.
A cela s’ajoute le fait que le Conseil constitutionnel marocain exerce le controle de la constitutionnalite des reglements dans le cadre d’un regime politique parlementaire rationalise, caracterise notamment par un certain abaissement du Parlement par rapport a l’Executif. Dans cette situation les decisions relatives au controle des reglements des assemblees ont ete parfois critiquees par les parlementaires alors qu’elles ne faisaient que ref leter les tendances marquantes des relations institutionnelles inscrites dans la Constitution.
Ces reticences cependant, ne se sont jamais transformees en refus d’execution des decisions du Conseil, sauf dans un seul cas, qui merite par son contexte et par l’effort d’innovation qu’il a impose au Conseil, d’etre analyse. Le probleme s’est pose en 1998, a la suite de la saisine du Conseil constitutionnel par le president de la Chambre des Conseillers (seconde chambre du Parlement bicameral marocain) aux fins de verifier la constitutionnalite du premier reglement de cette Chambre. Le Conseil dans une decision de mai de meme annee proceda a la censure d’une dizaine d’articles et en informa la chambre des Representants.
Celle-ci, si elle remania son reglement en prenant en consideration la majorite des remarques du Conseil, elle se refusa sur trois points a tirer la lecon de la decision de celui-ci, avant de soumettre a nouveau les modifications au Conseil. Ce dernier dans une decision de juin 1998, enterina les remaniements effectuees sauf sur les trois points non pris en consideration, notamment l’article declare inconstitutionnel, qui disposait que le budget de la dite chambre librement etablie par elle, devait etre integre au budget general de l’Etat sans aucune modif ication de l’Executif, notamment u ministere des f inances. La Chambre des Conseillers refusa de se soumettre a cette nouvelle decision et contrairement aux dispositions precitees de la Constitution, mit a execution les articles du reglement, censures. Trois annees plus tard en juin 2001, la Chambre saisit le Conseil constitutionnel sur de nouvelles modifications du reglement qui n’incluaient pas les dispositions litigieuses, qu’elle continuait d’appliquer.
Par cette saisine le Conseil se trouvait place devant un dilemme, ou bien il acceptait de verif ier la constitutionnalite de la nouvelle resolution et dans cas, il aurait enterine le fait accompli de la decision inappliquee de juin 1998, et dans cette situation l’autorite du Conseil constitutionnel aurait ete fortement ebranlee, ou bien il declarait la demande de verification de constitutionnalite irrecevable et dans cette situation on pourrait lui reprocher de s’etre derobe a sa fonction.
Le Conseil choisit malgre le risque, cette deuxieme solution dans une decision fortement motivee d’aout 2001. La strategie du Conseil fut payante puisque quelques mois plus tard la Chambre des Conseillers lui soumit par l’intermediaire de son president un certain nombre de modif ications de son reglement par lesquelles elle se conformait a la decision de juin 1998. A BDE LTIF M E NOU NI TRIBUNAL CONSTITUCIONAL Cet exemple est assez revelateur des difficultes susceptibles de surgir au niveau de l’application des decisions ainsi que parfois, de l’effort demande et des isques encourus pour y parer. Il pose egalement le probleme de la necessite de les resoudre au niveau des textes et par des procedures adequates. 2- Les dif f icultes de la mise en ? uvre des decisions : le probleme des reser ves d’interpretation Les reser ves d’interpretation sont des techniques de controle de constitutionnalite par lesquelles le Conseil constitutionnel ou bien ajoute a la substance normative du texte qui lui a ete defere af in de conclure a sa conformite a la Constitution, ou bien def init la seule interpretation licite de la disposition qui lui est soumise.
Le conseil marocain y a eu recours aussi bien dans le cadre du controle de la loi que dans celui des reglements des chambres du parlement. Il s’agit d’une technique souple et utile qui permet de faire l’economie d’une censure, tout en contournant parfois des diff icultes d’ordre conjoncturel. Les reser ves d’interpretation, cependant posent des problemes reels au niveau de leur mise en ? uvre.
Il y a a cela des raisons d’ordre culturel : les destinataires, notamment le Parlement lorsqu’il s’agit du controle de la constitutionnalite des reglements, ne les concoit pas toujours comme des restrictions imperatives a son action, il y a ensuite des raisons d’organisation, dans la mesure ou la loi soumise au Conseil n’est pas publiee, apres promulgation, en meme temps que les reserves d’interpretation la concernant, ce qui n’est pas de nature a faciliter l’information des citoyens et surtout des juges.