Domaine National , la Loi et le Projet de Réforme par Amsatou SOW SIDIBÉ ln : La Revue du Conseil Economique et Social Na 2, Février-Avril 1997 pp. 55-65 La question foncière suscite aujourd’hui un intérêt particulier au Sénégal suite aux esquisses de privatisation qui risque de bouleverser la conception négro-africaine des droits sur la terre, vécue par les populations et ayant largement inspiré la loi sur le domaine national de Il nous semble donc i loi et sur ses perspectives d’avenir, de vue à une o r la valeur de cette de dégager un point éventuelle réforme foncière.
Evidemment, l’évaluation de la loi sur le domaine national doit comporter un préalable nécessaire à savoir: étudier l’état des lieux en matière foncière. Domaine National : Etat des Lieux A. L’ESPRIT DE LA LOI Il convient de dégager ici ‘esprit de la loi, la nature et le régime juridique du domaine national. traditionnelle» . Le même point de vue ressortissait des déclarations de A. B.
MBENGUE alors Ministre de la Justice selon qul: «la tradition coutumière de jouissance collective est trop bien enracinée dans les campagnes pour qu’on puisse persuader les paysans d’y renoncer u profit d’un système de propriété individuelle, qui bénéficierait d’ailleurs
Au demeurant, l’option des pouvoirs publics sénégalais était largement justifiée par l’ambigu-lté de la situation foncière sénégalaise précédant la réforme. Dabord, avec l’introduction du système de l’immatriculation, une mentalité de ropriétaires, de riches était développée chez les exploitants et chez certains maîtres de la terre qui se sont appropriés les terres soumises à leur gestion. Les conséquences de cette situation ont été négatives. Il s’est instaurée une anarchie avec l’organisation d’une race de spéculateurs professionnels qui vendaient les terres moyennant de fortes Indemnités.
Cela rendait les investissements très lourds et coûteux et aboutissait à la dépossession les véritables usagers traditionnels de la terre. En outre, une déformation des régies traditionnelles avait été à I ystème de redevances î 2 aisons, certaines mesures furent prises par les pouvoirs publics. Bien entendu, il n’était pas question de remettre en cause, les immatriculations déjà faites, la propriété privée individuelle étant protégée par la constitution. D’ailleurs, un délai fut accordé aux occupants des terres non immatriculées et qui avaient réalisé une mise en valeur à caractère permanent.
Ces occupants pouvaient faire immatriculer les dites terres. Néanmoins, toutes les autres terres non concernées par l’immatriculation, (ce qui correspondait à l’époque à environ 99% des terres), devraient faire l’objet d’un domaine ational. Il ne s’agissait pas de déposséder les occupants effectifs de la terre, sauf dans des cas exceptionnels, par exemple dans l’hypothèse d’une mauvaise gestion. En revanche, aucun droit ne pouvait plus être reconnu à des personnes autres que celles qui exploitaient personnellement et matériellement les terres.
Il s’agissait de consacrer la conception négro-africaine des droits sur la terre et de décoloniser les mentalités. IL s’agissait également d’assurer la promotion de la voie africaine du socialisme, en descendant des nuages idéologiques, aux réalités concrètes du terroir. la voie africaine u socialisme, «la raison opérant sur le réel» , au Sénégal, s’adaptait difficilement à la généralisation de la propriété individuelle absolue. Evidemment, le socialisme en question bien qu’assis sur des valeurs négro-africaines, était adapté aux impératifs du dévelo pement du pays. a modernité a été prise en PAGF 3 OF sur le sol ont été supprimés. les régies coutumières d’accès au sol ont été modifiées. Les chefs de terre traditionnels ont été remplacés par l’Etat qui devient le maître de la terre. Il s’en est suivi qu’aucune transaction ne pouvait plus se faire sans l’intervention e l’Etat, ce qui permettait d’assurer une plus grande souplesse et une plus grande sécurité dans les transactions. Le plan de développement établi par le Sénégal prévoyait une intervention importante de capitaux privés.
Il fallait donc mettre sur pied un système de garanties, afin de faciliter les investissements. La nouvelle loi foncière devait en outre permettre à l’Etat, exécuteur principal du plan de développement du Sénégal, de travailler sans être entravé dans ses projets de mise en valeur. les exigences du développement nécessitaient la mise en valeur de la plus grande surface de terre posslble pour le profit e l’ensemble de la Nation. Enfin, la loi de 1964 visait à assurer au paysan un niveau de vie plus élevé par l’augmentation de sa productivité. Tel est en substance l’esprit de la législation foncière au Sénégal.
L’option des pouvoirs publics sénégalais est du reste partagée par beaucoup d’autres Etats africains qui ont maintenu la conception négro-africaine de la tenure collective tout en l’adaptant à certaines exigences du développement. Il en est ainsi par exemple du Togo, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Congo, etc. question essentielle ici posée est celle de savoir à qui appartiennent les terres du omaine national. A ce propos, nous savons dores et déjà que les terres du domaine national ne font pas l’objet d’une propriété individuelle.
Au contraire, et c’est cela qui fait l’originalité de la loi de 1964, la législation domaniale s’inspire de la propriété tenure collective du système négro-africain qui reconnaît aux individus de simples droits d’usage sur la terre. Le domaine national n’est pas non plus la propriété de l’Etat qui en est simplement le détenteur ainsi qu’il est dit à l’article 2 de la loi de 1964 qui précise que l’Etat «détient les terres du domaine national en vue d’assurer leur utilisation et leur ise en valeur rationnelles, conformément aux plans de développement et aux programmes d’aménagement».
Or, la détention n’est pas la propriété. L’affaire BUD-Sénégal le prouve parfaitement. Cette affaire a opposé BUD-Sénégal, les populations rurales de la zone d’exploitation attribuée à 3UD-Sénégal par l’Etat, et l’Etat du Sénégal lui même. Le conflit est né du fait que l’Etat sénégalais, avait concédé à BUD-SénégaI les terrains litigieux sans les avoir au préalable immatriculés, se comportant alors comme un véritable propriétaire du domaine national. Les populations rurales concernées se sont évoltées contre les faits. Les juridictions n’ont pas été saisies en la circonstance.
Cependant, les services de la conservation foncière interpellés ont considéré que l’Etat aurait dû au préalable im erres en son nom avant PAGF s 2 propriétaire du domaine national. Il n’en est que le détenteur. En, réalité, l’Etat est substitué au chef de terre traditionnel. Il devient le «maitre de la terre», remplaçant ainsi les anciens lamanes. Dans ces conditions, qui est alors le propriétaire du domaine national ? Est-ce la Nation? Sur cette question, deux thèses, s’affrontent. L’une soutient que la Nation ne eut être propriétaire du domaine national; l’autre (que nous défendons) est d’un avis contraire.
La thèse écartant l’idée d’une propriété appartenant à la Nation soutient que celle-ci n’a pas la personnalité morale et ne peut donc avoir de patrimoine susceptible de recevoir des terres. Elle défend en outre l’idée que « la terre ne constitue pas en elle-même une richesse susceptible d’appropriation, mais est une ressource nationale qui recèle des potentialités de richesse que la mise en oeuvre doit révéler pour donner à la communauté les moyens d’un développement harmonieux. La terre outil de travail du omaine national, se présente donc comme une chose commune ».
Que la terre soit une chose commune paraît incontestable. Mais il s’agit à notre avis d’une chose commune appartenant à la Nation Sénégalaise. Cette seconde thèse nous semble plus plausible. En sa faveur, plusieurs arguments peuvent être avancés. D’abord, l’idée d’appartenance du domaine national à la Nation sénégalaise apparaît dans le discours des repré pouvoirs publics PAGF 6 2 permanence, de perpétuel devenir». Ensuite, dans une communication au Conseil Economique et Social, l’actuel Ministre du budget a défini le domaine national comme des terres appartenant à la Nation et à usage gratuit».
Enfin, la même affirmation est reconduite dans la loi n 96-07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétence aux régions, aux communes et aux communautés rurale, où il est a préciser que: «le territoire sénégalais est le patrimoine commun de la Nation». un second argument en faveur de l’appartenance du domaine national à la nation sénégalaise permet de remettre en cause l’idée avancée par certains et selon laquelle la Nation qui n’a pas de personnalité juridique ne peut avoir de patrimoine pouvant accueillir des terres.
L’argument n’est pas dirimant pour plusieurs aisons. D’abord, parce que la notion de patrimoine commun de l’humanité montre que la personnalité juridique n’est pas une condition sine qua non de l’acquisition d’un patrimoine. L humanité n’a pas de personnalité juridique, mais il est admis qu’elle dispose bien d’un patrimoine. Ensuite, et surtout, l’Etat, détenteur le la personnalité juridique, personnifie la Nation. les prérogatives dont l’Etat est le sujet ne sont que les droits et pouvoirs de la nation elle-même. Il se produit une personnlfication de la Natlon par l’Etat .
Enfin, la Nation, comme l’humanité est mortelle c’est pourquoi ces propos e Jean Marie DUPUY à propos de l’humanité sont é alement valables pour la Nation: « elle doit prendre la PAGF 7 OF En tant que propriété de la nation, le domaine national obéit à un certain régime juridique qu’il convient de déterminer. c. LE RÉGIME URIDIQUE DIJ DOMAINE NATIONAL La loi sur le domaine national ainsi que les différents textes juridiques relatifs à son application organisent le régime juridique des terres du domaine national.
Différentes questions sont ainsi réglementées : la classification des terres du domaine national, l’organisation administrative et la gestion du domaine national, les onditions d’affectation et de désaffectation des terres, la nature des droits des occupants des terres, l’inaliénabilité de celles-ci, enfin, la possibilité offerte ? l’Etat d’immatriculer exceptionnellement les terres du domaine national. La classification des terres du domaine national Constituent le domaine national, les terres qui n’ont pas fait l’objet d’une immatriculation et celle qui n’appartiennent pas au domaine public de l’Etat.
Les national sont classées en quatre catégories : celles des zones urbaines situées dans les territoires communaux, celles des zones classées à vocation forestière ou de protection, ui ont fait l’objet d’un classement suivant une réglementation particulière les terres des zones de terroirs qui corres ondent en principe, aux terres régulièrement exploitées PAGF 8 OF domaine national L’Etat, en tant que détenteur des terres du domaine national, chargé d’en assurer l’utilisation et la mise en oeuvre rationnelles, joue un rôle important dans la répartition des terres entre les différents occupants.
Dans certains cas, l’Etat procède lui même ? cette répartition. Dans d’autres hypothèses, l’Etat se limite ? contrôler la répartition faite par d’autres organes tels que l’autorité communautaire, la ommunauté rurale, pour les zones de terroirs. Les terres des zones de terroir sont affectées aux membres des communautés rurales par un conseil rural, sous l’autorité de l’Etat. Le mode de gestion fondé sur le contrôle exercé par l’Etat met surtout l’accent sur le principe de l’autogestion collective qui s’appuie sur le sens de la responsabilité des paysans.
Ceuxci sont appelés à prendre en main leur destin et à participer activement à l’exécution des plans de développement. Dans ces conditlons, la présence de l’Etat se justifie surtout par la nécessité d’assurer l’intérêt général et d’aider au bon onctionnement des nouveaux organes chargés de la gestion des terres et notamment de leur affectation ou désaffectation. Les conditions d’affectation et de désaffectation des terres du Ces conditions fixées par décret sont essentiellement de deux sortes.
La première, héritée du droit traditionn in est relative ? PAGF 32 l’affectation peut être décidée en faveur soit d’un membre de la communauté rurale, soit de plusieurs membres groupés en association ou coopératives. Donc en principe, les étrangers à savoir ceux qui sont extérieur à la collectivité n’ont pas droit aux terres réservées à celle-ci. Pourtant, dans la pratique, il en va autrement. En réalité, beaucoup d’étrangers à la collectivité occupent des terres affectées à celle-ci.
La seconde condition de l’affectation des terres du domaine national est l’exigence d’une mise en valeur de celles-ci. La terre est concédée à ceux qui la travaillent personnellement et matériellement. Cette condition favorable au développement est une sup. ‘ivance de la conception négroafricaine qui accorde une place très importante au travail. L’objectif poursuivi par la loi sur le domaine national est essentiellement de réaliser l’aménagement du territoire, la onstruction et la mise en valeur des zones affectées ? « habitation, à la culture, ? l’élevage, au boisement, etc.
L ‘exigence d’une mise en valeur personnelle de la terre permet ainsi d’assurer la participation de la population ? l’application des plans de développement. Elle devait également contribuer à fixer les paysans travailleurs sur leurs terres, évitant ainsi l’exode rural, facteur déstabilisant de l’économie. Enfin, la mise en valeur est une preuve de l’emprise effective sur la terre, une manifestation du droit de l’occupant. Les terres peuvent être affectées aux membres de la communauté eroupés ou