Descartes

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Tout ce que j’ai recu jusqu’a present pour le plus vrai et assure, je lai appris des sens, ou par les sens : or j’ai quelquefois eprouve que ces sens etaient trompeurs et il est de la prudence de ne se fier jamais entierement a ceux qui nous ont une fois trompes.

Mais encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort eloignees, il s’en rencontre peut-etre beaucoup d’autres desquelles on ne peut pas raisonnablement douter quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple que je sois ici assis aupres du feu vetu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient a moi ? i ce n’est peut-etre que je me compare a ces insenses de qui le cerveau est tellement trouble et offusque par les noires vapeurs de la bile qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois lorsqu’ils sont tres pauvres ; qu’ils sont vetus d’or et de pourpre lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent etre des cruches ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous,

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et je ne serais pas moins extravagant si je me reglais sur leurs exemples.

Toutefois j’ai ici a considerer que je suis homme et par consequent que j’ai coutume de dormir et de me representer en mes songes les memes choses ou quelquefois de moins vraisemblables que ces insenses, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrive de songer, la nuit, que j’etais en ce lieu, que j’etais habille que j’etais aupres du feu quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien a present que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier. que cette tete que je remue n’est point assoupie. ue c’est avec dessein et de propos delibere que j’etends cette main et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci Mais en y pensant soigneusement je me ressouviens d’avoir ete souvent trompe, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arretant sur cette pensee, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants ni de marques assez certaines par ou l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil que j’en suis tout etonne ; et mon etonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors.