Sujet : Dissertation « le surnaturel nait souvent de ce que l’on prend le sens figure a la lettre. » Todorov Todorov dans son introduction a la litterature fantastique a elabore une approche du genre fantastique en definissant les contraintes du genre. Dans son analyse il a confronte les intentions de l’auteur et la perception de l’? uvre par le lecteur. Aussi, a t’il ecrit « le surnaturel nait souvent de ce que l’on prend le sens figure a la lettre. ». Nous etudierons en quoi l’identification d’un decalage entre la fiction et la reception par le lecteur apporte un nouvel eclairage par rapport aux definitions anterieures du fantastique.
Nous detaillerons ensuite precisement le fonctionnement du fantastique qui selon Todorov nait de ce contresens consenti dans l’interpretation par le lecteur. Enfin nous verrons en quoi toute lecture induit une relation specifique entre le lecteur et la fiction romanesque. Todorov envisage le surnaturel comme l’eventuelle interpretation realiste d’une narration fictive. Cette approche inscrit le lecteur dans une perception directe du texte et exclut la revelation d’un sens connote.
Ce contresens suppose du lecteur rejoint la caracterisation du fantastique enoncee par Pierre-Georges Castex qui dans son ouvrage « le conte fantastique en France » ecrit « le fantastique ne se confond
Dans un recit merveilleux, les personnages sont vagues et lointains, toute tentative de rationalisation par le lecteur est exclue, le recit accede directement a l’imaginaire du lecteur qui n’oppose aucune resistance, tout peut etre envisage. Dans un mythe, le recit se deroule sous l’egide des Dieux qui imposent aux heros leur influence, infligeant des obstacles, manipulant ainsi leur destin. La dimension divine est une reponse suffisante aux tentatives d’interpretation realiste du mythe.
Ainsi Roger Caillois, sociologue et Mythologue presente t’il le fantastique comme une evolution du merveilleux. Il explique que si le feerique s’ajoute au monde, « le fantastique manifeste un scandale, une dechirure dans le reel. » Le prodige est inscrit dans un contexte realiste mais il fait peur parce que la science l’en bannit. En effet, dans un recit fantastique le cadre spatio-temporel est le plus realiste possible et le protagoniste souvent banal. Alors que les contes merveilleux sont souvent introduits par la phrase « il etait une fois … et se poursuivent par la description d’un lieu lointain qui exclut une relation avec le reel, les recits fantastiques sont integres dans la description d’un contexte concret qui ancre le recit dans la realite. Les nouvelles de Maupassant comme « le Horla » ou « Qui sait » sont les recits d’evenements etranges qui surgissent dans le quotidien et l’environnement des heros. Parfois, c’est lors d’un sejour dans un espace nouveau qu’il decouvre que le heros est surpris par le surnaturel, c’est dans ce contexte que l’aventure de Mrs Gose est decrite dans « L e tour d’ecrou » de Henri James.
Todorov met en evidence le role de l’interpretation dans la caracterisation de ce qui est surnaturel. Il explique aussi, que le fantastique, « c’est l’hesitation eprouvee par un etre qui ne connait que les lois naturelles face a un evenement apparemment surnaturel ». Face a un evenement inexplicable le lecteur est oblige soit de le qualifier d’imaginaire ou bien d’admettre l’existence du surnaturel. Le fantastique qui etait precedemment caracterise par l’emergence d’une perturbation du rationalisme dans le recit, est selon Todorov soumis au jugement du lecteur.
Neanmoins, si Todorov admet que le fantastique est construit autour d’un personnage et d’un element perturbateur qui bouleverse son equilibre, selon lui, c’est la reception par le lecteur qui definit le genre. Todorov dans son analyse du fantastique a ouvert l’approche de la forme a la question de la reception du recit. Ainsi le fantastique ne peut se reduire a une analyse thematique ou formaliste, elle doit etre envisagee du point de vue du lecteur. Nous allons maintenant etudier les modalites de la reception du recit fantastique par le lecteur.
Evidemment, celle-la ne se limite pas a la notion d’adequation avec les valeurs du lecteur. Nous envisagerons maintenant l’etude des techniques narratives et leur impact sur le lecteur qui est soumis a une double perception comme l’ecrit Madame de Deffand « je ne crois pas au fantome mais j’en ai peur ». Effectivement, on peut s’interroger sur les criteres qui permettent au lecteur d’entrer dans « l’irrealite intellectuelle » qui est l’objet de l’? uvre fantastique et le mobile de l’auteur.
La position d’irrealite se double d’une motivation realiste et l’incertain fait irruption dans un univers devenu familier. Lorsque le narrateur est a la premiere personne, il sait que caractere incroyable de son histoire l’empechera d’etre cru, alors il integre le lecteur dans son recit. Ainsi dans le recit de la nouvelle de Theophile Gauthier « Le pied de la momie » , lorsqu’il decrit la boutique de l’antiquaire ou se trouve l’objet surnaturel, l’auteur interpelle le lecteur en ces termes « vous avez sans doute deja vu … ». Le recit fantastique doit presenter l’illusion de acon convaincante et subtile, en utilisant des details qui fixent le recit dans la realite a laquelle le lecteur adhere, mais le recit ne doit pas se confondre avec une verite verifiable. C’est aussi par le choix de la discontinuite dans la narration que l’auteur obtient l’adhesion du lecteur, utilisant les repetitions, jeux de miroirs et fausses progressions. L’auteur trompe ainsi l’attente du lecteur, jette la confusion, fait croire a la solution d’enigmes insolubles. Il ajoute ensuite, l’inquietude a la peur pour confirmer l’autonomie de l’imagination du lecteur.
Les echanges entre Mrs Gose et la gouvernante dans le tour d’ecrou de Henri James sont des bribes de revelations non achevees qui entretiennent le caractere mysterieux des faits et invitent le lecteur a accompagner Mrs Gose dans sa quete d’elucidation de l’inconnu. L’? uvre fantastique multiplie les indices de revelation pour finalement ne rien faire decouvrir. Effectivement c’est ce voyage vers l’etrange conduit par le narrateur qui le jalonne d’observations, de revelations qui permet au lecteur un passage vers quelque chose d’inconnu.
Le recit fantastique evoque souvent des etres fantastiques qui incarnent la mort, une dimension invisible, effrayante qui peut faire irruption a tout moment dans le quotidien. Sans definir a proprement parler de thematique fantastique le lecteur retrouve des scenarios recurrents comme le pacte avec le diable, l’ame en peine qui vient chercher vengeance ou reparation, la malediction, la chose indefinissable. Ces elements font appel aux references culturelles de chacun.
C’est ce qu’exprime Georges Sand lorsqu’elle ecrit « le monde fantastique est au fond de nous, chaque personne le porte en soi ». Cette matiere fantastique est marquee par la mort, les recits fantastiques se deroulent dans un climat d’epouvante et se terminent presque inevitablement par la mort, la disparition ou la damnation du heros. L’objet fantastique emerge dans un univers regi par le principe de causalite qui progressivement va etre entame par le recit malgre les efforts du narrateur garant de la vraisemblance du recit.
Le lecteur s’ouvre progressivement a d’autres mondes possibles, le temps de la lecture. De par sa structure, la superposition d’aspects realistes et imaginaires, le recit fantastique permet au lecteur un parcours dans un monde ou l’irrationnel est acceptable, ou il est envisageable comme possible. Todorov ecrit que « c’est le lecteur qui definit le surnaturel en prenant le sens figure a la lettre ». Or, tout roman est une fiction envisagee via un pacte de lecture qui unit le lecteur et l’auteur.
Dans son ouvrage « Fiction et diction » Gerard Genette ecrit « l’enonce de la fiction n’est ni vrai, ni faux mais seulement « possible » » Le fantastique qui combine realite et imaginaire adhere pleinement a cette definition. Ce « possible », cette credulite que le narrateur cherche a conquerir chez le lecteur est sollicitee par les caracteristiques stylistiques que nous avons evoquees. La fiction est l’objet de cet acte de croyance du lecteur qui accepte les choses, les tient pour acquises le temps de la lecture. Mais le plaisir joue egalement un role essentiel dans la perception de la fiction.
Le texte de fiction cree chez le lecteur un etat mental scinde qui lui permet de s’evader et d’integrer de nouvelles representations. Le simulacre est une des composantes de ce pacte de lecture, c’est ce que Paul Veyne, qualifie de conduite cognitive qui active des croyances fantastiques et superstitieuse. Cette acceptation du non reel consentie par le lecteur fait fonctionner le recit comme un temoin symbolique de faits metaphysiques. Jouant avec les croyances, le lecteur joue avec sa peur. Cette experience de la peur est maitrisee par l’espace impose par la fiction.
Le lecteur actualise le texte en fonction de ses croyances et de son monde referentiel aboutissant a l’emergence d’une emotion confortee par la mise en image des elements de la narration. Le lecteur opere cette construction emotive par participation empathique au monde du texte et son implication dans des situations narratives empreintes d’emotion, comme les apparitions des spectres dans le roman « Le tour d’ecrou ». On peut alors evoquer ce sentiment de vertige, l’illynx, qui detruit la stabilite de la perception et impose une sorte de panique voluptueuse.
Nous l’avons vu, le lecteur d’un recit fantastique dans un pacte de lecture consenti, avance avec le narrateur dans la fiction. Cette demarche qui apparait comme une adhesion globale a la fiction est orientee vers le plaisir que lecteur eprouve dans sa relation avec ses peurs. Todorov a propose une nouvelle approche du fantastique qui au-dela des caracteristiques meme du texte est soumis a l’interpretation du lecteur. Selon lui, le fantastique existe dans cette hesitation du lecteur entre realisme et imaginaire.
Si la structure du texte conduit a l’emotion du lecteur, cette emotion ne peut etre le seul fait de l’habilete de l’auteur et de l’acceptation de la fiction au sens propre. C’est par un pacte de lecture consenti que le lecteur simule l’adhesion et entre dans un proces ou jouant avec les croyances, il joue avec sa peur dans une sensation melangee de peur et de plaisir. Aussi sommes nous en accord avec Roger Caillois qui declare que le fantastique n’a pas pour intention de faire croire a la realite des fantomes. Pourtant qui de nous a la lecture d’un recit fantastique ne s’est-il pas dit « Et si c’etait vrai ».