De la parole a la lettre : le dialogue dans le roman epistolaire

De la parole a la lettre : le dialogue dans le roman epistolaire

DE LA PAROLE A LA LETTRE L’epistolaire est un genre litteraire base sur la correspondance par lettres. Les personnages s’y expriment a la premiere personne du singulier ce qui leur permet de presenter leur point de vue. Ceci donne au recit une subjectivite propre a ce genre litteraire. Cependant, les propos d’un autre personnage peuvent etre rapportes par un epistolier dans sa lettre. On retrouve cette insertion sous la forme du dialogue. A travers ce dernier, on ne passe plus par l’interpretation que fait le personnage de sa realite.

Le dialogue permet a l’epistolaire de se rapprocher du genre litteraire appele roman, puisqu’il permet aux personnages autres que l’epistolier de s’exprimer. Cependant, c’est toujours l’epistolier qui choisit les citations et c’est toujours dans son interet. Ces citations vont dans le sens de ses propos et les appuient. Alors, en quoi cette insertion plutot inhabituelle dans le genre romanesque est-elle utile? Le texte suivant montre que, par le dialogue, les personnages expriment leur relation avec l’autorite.

Egalement, ils utilisent le dialogue pour soutenir leur propos. Tout d’abord, parce que, a travers Les lettres chinoises, de Ying Chen, Sassa relate les propos de sa famille. Ensuite, puisque, dans Oscar et la dame rose, un livre d’Eric-Emmanuel

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Schmitt, Oscar ecrit souvent les discussions qu’il tient avec Mamie-Rose. En premier lieu, il faut aborder le roman epistolaire au recit polyphonique qu’utilise Ying Chen. Dans Les lettres chinoises[1], Yuan immigre a Montreal et ecrit a Sassa, son amoureuse qui est restee en Chine.

Da Li, une amie du couple, ecrit egalement a Sassa pour lui faire part de ses experiences lors de son voyage a Montreal. Sassa repond a ces deux personnages et les conseille. C’est elle qui va user le plus du dialogue dans ses lettres et pour une raison fort simple : il est extremement ardu pour elle d’exprimer ce qu’elle ressent reellement. Elle s’appuie plutot sur des citations de son entourage immediat afin de se donner une contenance. C’est de la que vient la relation avec l’autorite.

Des la lettre numero six, alors qu’elle ecrit a Yuan, Sassa dit que sa directrice lui a reproche ses retards au travail et lui rapporte explicitement ses dires : « Crois-tu qu’on est en Amerique du Nord ou est alle ton beau garcon? Erreur! N’oublie pas, chere camarade, que tu es encore Chinoise et que malgre tout tu le demeureras jusqu’au bout[2]. » Sassa va se servir de ces remontrances pour questionner son bien-aime sur la reference a l’Amerique et a la liberte que se donnent les americains quant a leurs horaires de travail.

De cette maniere, elle ne s’etend pas sur ses sentiments a l’egard de la directrice ou de ses dires. Elle s’empeche egalement toute divagation sur le fait qu’elle aurait tellement aime etre en Amerique plutot que de subir la mesquinerie de sa superieure, ce qu’elle n’aurait de toute facon jamais pu dire puisque on comprend bien a la fin du recit qu’elle n’a jamais vraiment eu l’intention de rejoindre Yuan a Montreal. Par la suite, de la lettre neuf jusqu’a la lettre cinquante, Sassa cite frequemment sa s? ur.

Que ce soit lorsque cette derniere lui fait des reproches, une reflexion sur son etat de sante (lettre dix), ou lorsque qu’elle se permet de lui donner un conseil, on sent bien qu’elle joue une role important dans la vie de Sassa. Sa s? ur reproche a la jeune amoureuse de trop penser a Yuan, elle va jusqu’a la comparer a une etrangere a sa propre famille. Sa mere tiendra le meme discours un peu plus loin : « Elle est comme une etrangere, cette fille. Pas possible de lui faire comprendre les choses[3]. » Les deux femmes ont mis le doigt sur la grande faiblesse de Sassa : la peur d’etre une etrangere.

Sassa ne le dira jamais clairement, mais cette peur l’obsede beaucoup. Elle n’a cependant pas le courage de l’avouer ouvertement a son amoureux, car elle prefere plutot lui cacher la verite, pour son bien. Elle toutefois quelques indices a travers les dialogues qu’elle va choisir de lui relater. Elle va egalement se servir de citations lorsqu’elle devra rapporter a Yuan des nouvelles de son passeport qu’il faut qu’elle fasse faire pour pouvoir venir a Montreal. A chaque fois, elle prouve ce qu’elle dit en s’appuyant sur les propos des employes.

De la sorte, elle s’excuse de son impuissance et repousse le moment ou elle devra ecrire a Yuan qu’elle ne compte pas le rejoindre. Elle se sert ainsi des propos d’une personne appartenant a l’autorite administrative. Le rapport de pouvoir que Sassa donne aux personnes qu’elle cite accentue sa faiblesse, sa soumission, son impuissance face au deroulement des evenements qu’elle decrit. Sassa ne possede tout simplement pas la volonte pour changer sa situation et se repose sur les dires des autres, plus forts et necessairement plus credibles lorsqu’il s’agit de fournir une explication valable a Yuan.

En second lieu, il est possible d’observer le dialogue dans un recit epistolaire monodique. C’est le cas dans Oscar et la dame rose. Oscar est un petit garcon de douze ans atteint d’un cancer. A l’hopital, il a fait la connaissance de Mamie-Rose, qui lui a suggere d’ecrire a Dieu. Le roman est donc constitue d’une douzaine de lettres dans lesquelles Oscar s’adresse a Dieu et lui raconte sa vie a l’hopital. L’enfant s’y exprime librement et en toute sincerite. Il est assez meticuleux dans ses descriptions des evenements et les dialogues qu’il nous rapporte viennent appuyer ce qu’il veut exprimer.

Comme de raison, il va inserer dans ces lettres les discussions qu’il aura avec la personne a laquelle il attache alors le plus d’importance, c’est-a-dire Mamie-Rose. Les discours de Mamie-Rose vont devenir primordiaux dans le deroulement du recit car Oscar lui fait entierement confiance et la respecte beaucoup. En fait, c’est cette gentille vieille dame qui va donner un sens a sa vie, a ses derniers jours et qui va lui permettre d’accepter la mort avec courage. De cette facon, elle devient un personnage indispensable a l’avancement du recit, ce qui nous ramene a l’utilite du dialogue dans les lettres.

Il n’est pas necessaire de chercher trop loin, car, si Oscar s’etait contente de decrire les evenements et avait ecarte de ses ecrits tout ses echanges avec Mamie-Rose, il manquerait un element tres important au roman. Ainsi, Mamie-Rose est tres presente dans les lettres d’Oscar et particulierement a travers les dialogues. La relation entre le dialogue et les personnes qui representent l’autorite pour Oscar est tres etroite. En effet, il ne rapporte quasiment jamais les discussions qu’il tient avec ses parents ou avec le medecin.

Et pour cause : il trouve ridicule ses geniteurs, n’a plus confiance en eux, et a pitie du docteur qui ne sait plus quoi faire pour le guerir. Par contre, on peut facilement voir et comprendre toute l’admiration qu’il a pour Mamie-Rose par l’abondance des citations qu’il fait d’elle. Egalement, On peut concevoir qu’Oscar utilise le dialogue dans ses lettres parce qu’il est incapable de resumer certains echanges : « La lettre veut faire effet, mais cet effet ne peux etre que differe, contrairement au discours direct[4]. Autrement dit, les propos de Mamie-Rose sont tellement forts, incontestables et eclatants de verite qu’Oscar ne pouvait faire autrement que de les ecrire tels quels. De plus, peut etre ne maitrise-t-il pas encore l’art de traduire le discours d’un autre dans ses propres mots. En comparant les deux livres etudies au cours de ce texte, on peut remarquer une difference majeure quant a leur utilisation du dialogue. Il est important de souligner que la spontaneite de la lettre est totalement differente de la spontaneite du discours oral : « La lettre (…) mime l’oral avec toutes les ressources, tous les artifices de l’ecrit[5]. Dans Les lettres chinoises la lettre est utilisee pour simuler l’oral, puisque par elle les personnages tentent de pallier l’absence des autres. Mais Sassa concoit parfaitement la difference entre l’ecrit et l’oral et s’en sert pour dissimuler certaines choses a Yuan. Yuan aurait surement compris plus vite que Sassa ne le rejoindrait jamais s’il avait pu parler en face a face avec sa bien-aimee, au lieu de subir tous les non-dits de Sassa.

Celle-ci se cache derriere les propos de sa famille ou d’employes administratifs pour excuser son impuissance et eviter d’aborder le sujet de son voyage pour Montreal comme elle l’entend. Sassa n’est pas du tout spontane. De l’autre cote, dans Oscar et la dame rose, on retrouve la franchise propre a l’enfant. L’oral est tres present dans les lettres d’Oscar. Neanmoins, il ne faut pas negliger l’idee que, si Oscar cite certain de ses entretiens, il cite ce qu’il veut et peux bien decider d’en supprimer les passages qui ne servent pas ses pensees.

En conclusion, de par les dissimulations que fait Sassa et la mise en avant plan de Mamie-Rose par Oscar, on peut conclure que l’intention de l’epistolier joue un role important dans la presence du dialogue dans le recit epistolaire. En outre, on peut deceler la presence marquee de l’autorite dans la plupart des discours qui nous sont rapportes par les differents narrateurs. Tout ceci prouve l’utilite du dialogue dans le roman par lettres. D’ailleurs, dans son livre L’Epistolaire, Jean-Paul Brighelli ecrit que : « la lettre est l’ecrit le plus proche de la voix[6]».

Il dit vrai, car on retrouve une grande subjectivite dans chacune des lettres d’un roman epistolaire. Les dialogues sont eux aussi subjectif, mais ils inserent la voix d’un autre personnage dans le recit, ce qui permet d’introduire un autre point de vue dans une meme lettre. Sans le dialogue, la lettre perdrait un de ses nombreux atouts qui lui permettent d’etre si malleable. Reste alors une question. Si l’on suit l’evolution de la lettre, nous sommes aujourd’hui parvenu a l’ere du courriel.

Cette forme d’ecriture plus expeditive pourrait-elle encore utiliser le dialogue et le rendre utile a nouveau ? Bibliographie BRIGHELLI, Jean-Paul. L’Epistolaire, Paris, Magnard, «Totem», 2003, 160 p. CHEN, Ying. Les lettres chinoises, Montreal, Babel, 1998, 139 p. SCHMITT, Eric-Emmanuel. Oscar et la dame rose, Paris, Albin Michel, 2002, 99 p. ———————– [1] Il est important de souligner que l’edition qui est analyse au cours du texte ci-present est celle qui contient 56 lettres, ou l’on ne retrouve que les lettres de Yuan, Sassa et Da Li.

Les lettres d’epistoliers, presentes dans une edition ulterieure, autres que ces trois derniers ne sont aucunement prises en compte au cours de l’analyse. [2] CHEN, Ying. Les lettres chinoises, Montreal, Babel, 1998, p. 18. [3] CHEN, Ying. Les lettres chinoises, Montreal, Babel, 1998, p. 56. [4] BRIGHELLI, Jean-Paul. L’Epistolaire, Paris, Magnard, «Totem», 2003, p. 33. [5]BRIGHELLI, Jean-Paul. L’Epistolaire, Paris, Magnard, «Totem», 2003, p. 26. [6] BRIGHELLI, Jean-Paul. L’Epistolaire, Paris, Magnard, «Totem», 2003, p. 29.