Remarques prealables Le plan est ici clairement suggere en allant de l’observation d’un personnage (Partie I) a la connaissance du fonctionnement de la societe dont il fait partie (Partie II). A l’interieur des grandes parties du developpement, vous ferez des sous-parties. Quelques points sont a remarquer dans l’enonce du sujet. – « glissement de l’individu ou type » : il y a donc le portrait de Poupillier et, au-dela, le modele ideal du mendiant. – « le realisme » : il faut insister sur cet aspect du texte. – « decouvrir le fonctionnement d’une societe » : etude de la societe selon Balzac.
Vous devez commencer, bien sur, par lire attentivement le texte. Attention a la phrase : « Il eut cent ans a compter de 1825, et il en avait reellement soixante-dix. » Comprenez : il disait qu’il avait cent ans a partir de 1825 alors qu’il en avait reellement soixante-dix. Enfin, le devoir etant fait a la maison, documentez-vous sur l’auteur et l’oeuvre. Cela peut toujours etre utile. Elaboration du plan Nous vous proposons un plan en deux parties qui comportent quatre paragraphes chacune. Cela permet d’analyser de maniere exhaustive ce portrait, toutefois une partie contenant trois paragraphes suffit amplement,
Le lecteur se pose des questions : age ? humilite ? Ses mains : « une main tremblotante, une main couverte de lichen qui se voit sur les granits ». Insistance sur le theme de la main, allusion a la main tendue du mendiant ; « lichen » : terme polysemique : 1. Maladie de peau caracterisee par des petites saillies violacees, seches et dures. 2. Vegetal forme par l’association d’un champignon et d’une algue verte, frequent sur les rochers et les arbres. Il y a un jeu de Balzac sur ce double sens pour amener le terme « granits », connotant la durete et la ongevite. c) Au niveau des mains se trouvent les accessoires : « baton », pour s’appuyer, puisque Poupillier marche courbe, et « chapeau ». Ce dernier est bien decrit, avec trois objectifs et un complement determinatif : « le chapeau classique, crasseux, a larges bords, rapetasse » dans lequel tombaient d’abondantes aumones. ». Le dernier terme, « aumones », eclaire ce qui precede : on a affaire a un mendiant. Le chapeau est longuement decrit car c’est un instrument de travail ; mais il n’a rien de special, il temoigne de la misere de son possesseur. ) « Ses jambes, entortillees dans des linges et des haillons » : il ne porte pas un pantalon a proprement parler, mais plutot des guenilles indefinissables (« linges », « haillons »). e) Ses chaussures et sa demarche : « Ses jambes trainaient d’effroyables sparteries ». L’adjectif « effroyables » est hyperbolique et non descriptif : c’est un appel a l’imagination du lecteur. Le verbe « trainer » evoque une demarche lente, difficile. Le sujet du verbe est « ses jambes » et non : « il », comme s’il avait perdu la tete et que ses gestes soient devenus involontaires. Cned 7FR20CTPA0208 3/5 2. Le comedien ) La comedie de la maladie revelee apres la presentation generale du personnage – Son visage : « Il se saupoudrait le visage d’ingredients qui simulaient des taches de maladies graves ». Il se grime, comme un acteur (« saupoudrait », « simulaient ») ! on se demande s’il n’en va pas de meme de sa « main couverte de lichen ». – Ses jambes sont « entortillees dans des linges », ce qui fait penser a des pansements, a des bandages mal faits. b) La comedie de l’age – Ses mensonges : « Il eut cent ans a compter de 1825, et il en avait reellement soixante-dix ». Premiere proposition : style indirect libre.
Mais cela est presente comme une certitude : les gens le croient. Deuxieme proposition : dementi ; l’auteur revele la verite cachee ; « et » a ici une valeur d’opposition tres forte. – Sa « main tremblotante », et le fait de se « trainer », « courbe en deux » releve peut-etre de la meme comedie. c) Un comedien hors pair – « il jouait admirablement la senilite ». « Jouer » : lexique theatral’ « admirablement »: Balzac se place ici au point de vue du spectateur devant un grand acteur. – L’efficacite de ce jeu d’acteur : dans son chapeau « tombaient d’abondantes aumones ». Imparfait d’habitude.
L’adjectif « abondantes » connote presque la richesse, par opposition a « aumones ». Balzac suggere un contraste entre la realite (la richesse) et l’apparence (la mendicite). 3. Autres traits de caractere a) L’avarice, trait dominant : « En 1820, l’avarice et sa passion pour le vin furent les deux sentiments qui lui resterent ; mais il regla le second et s’adonna tout entier au premier » Emploi du terme « sentiments » : ironie de Balzac. Le verbe « s’adonner » signifie : « se livrer entierement a quelque chose » ; c’est un don total de soi, une passion qu’augmente avec l’age (vrai psychologiquement).
Exemple : Poupillier « empochait les trois quarts des dons », lors des ceremonies ; il est avide (« les trois quarts ») ; le verbe « empocher » est polysemique : il recoltait l’argent et le mettait dans sa poche au sens propre (on voit le geste). b) L’alcoolisme, trait second, mais domine : il le « regla ». « Il buvait le soir », « il s’endormit pendant vingt ans dans les bras de l’ivresse, sa derniere maitresse ». Ordinairement, c’est l’amour qui est compare a une ivresse (on parle de l’ivresse des sens). Ici c’est l’inverse. La metaphore prolongee (« bras », « maitresse ») est annoncee par « sentiments », ironique.
En realite, il ne reste a Poupillier que deux vices. c) Gout du confort, cache : il portait « d’effroyables sparteries en dedans desquelles il adaptait d’excellentes semelles en crin ». A l’apparence « effroyables » s’oppose la realite, « excellentes », comme a « sparteries » s’oppose « semelles en crin ». L’aptitude de Poupillier a la dissimulation et son adresse sont traduites par « en dedans » et « adaptait ». On sait aussi qu’« il buvait le soir, apres diner » ; il avait donc un vrai repas (un « diner ») tous les jours et s’autorisait ensuite des exces auxquels il tenait (« il buvait », « ivresse »). 4.
De l’individu au type humain a) C’est « le chef des mendiants », le modele ideal des mendiants, celui qui pousse leurs traits jusqu’a leur paroxysme. b) C’est le plus spectaculaire physiquement : « Dans tout Paris, il etait impossible de trouver une barbe et des cheveux comme ceux de Poupillier ». Sorte de superlatif peu vraisemblable. c) Il joue la comedie de la maladie et de l’age. d) C’est un alcoolique. c) Il a plus d’argent que ce qu’on croit (« abondantes aumones », « les trois quarts des dons » et il exerce presque un racket sur les autres pauvres : il s’inscrit aussi de ce fait dans le type de « l’avare ».
II. Realisme et societe 1. Le choix du sujet Le sujet est presente, sinon comme vecu, du moins comme vraisemblable : – « Dans tout Paris » : localisation romanesque frequente. – Les dates ! calcul rapide du lecteur : en 1825, Poupillier a soixante-dix ans ; de 1820 a 1840, il s’endort « dans les bras de l’ivresse » ! en 1840, il a quatre-vingt cinq ans. Le roman etant ecrit en 1843-1844, l’action est quasiment contemporaine de l’ecriture. – Le milieu decrit est celui de la mendicite. Apparaissent aussi les auxiliaires de l’Eglise, le suisse, le bedeau et le « donneur ’eau benite », les « agents de police » et les paroissiens qui pratiquent la charite. Cned 7FR20CTPA0208 4/5 2. Les personnages autres que Poupillier a) Des personnages mediocres : les autres mendiants. On distingue deux categories : – les « acolytes » de Poupillier. Ce terme signifie : « complice d’une mauvaise action ». Ce sont ses compagnons habituels, ils sont soumis a un « tribut » qui manifeste leur dependance et qu’ils acceptent, tout comme le partage du lion : Poupillier « empochait les trois quarts des dons et ne donnait qu’un quart a ses acolytes ». Les mendiants de passage ; ils paient a Poupillier « une espece de dime », signe la aussi de soumission. b) Des personnages dupes de la comedie de Poupillier : – Les paroissiens qui lui donnent d’ « abondantes aumones » ; ces aumones sont beaucoup plus importantes (snobisme ? ) lors des funerailles, mariages, baptemes. La facon de donner se veut genereuse, mais en meme temps elle est negligente : « Voila pour vous tous, et qu’on ne tourmente personne ». On veut etre tranquille et vite. – Ceux qui travaillent en relation avec l’eglise sont eux aussi les dupes de Poupillier : le suisse, le bedeau, le donneur d’eau enite. Quant a « la paroisse », elle evoque, bien sur, le cure. Le suisse designait Poupillier « comme son successeur », ce qui signifie qu’il le designait pour qu’on lui donne l’argent et qu’il fasse la police, c’est-a-dire un partage equitable, chez les mendiants. La aussi, il y a une certaine forme de negligence : le suisse se moque bien de savoir ce que Poupillier fera. 3. Moeurs et fonctionnement de la societe des mendiants C’est une societe hierarchisee. a) Le chef des mendiants – Un vrai professionnel : Il est devant l’eglise du matin au soir sans discontinuer et ne boit qu’une fois « l’eglise fermee ».
Il evite de boire durant la journee probablement pour surveiller les autres. C’est le plus comedien de tous, le plus efficace dans la recolte des subsides. – C’est « le maitre de la place » avec un jeu sur la polysemie du dernier terme ; c’est le maitre de la place de l’Eglise, et de la bonne place pour demander la charite. Il a l’anciennete pour lui et « tous ceux qui venaient mendier sous les arcades de l’eglise » devaient lui payer une sorte de loyer. – Son autorite s’appuie enfin sur l’Eglise dont il a gagne « la protection », ce qui lui permet, ainsi qu’aux autres, d’etre « a l’abri es persecutions des agents de police ». « Persecution » est un terme tres fort qui signifie : « ensemble de mesures violentes, cruelles et arbitraires prises a l’egard d’une communaute religieuse, ethnique, etc. ». Les mendiants sont une communaute avec un ennemi, la police et un allie, l’Eglise grace a l’habilete du chef. b) Ses subalternes (tous les autres mendiants) Ce sont en quelque sorte les sujets, car ils paient des impots, « tribut » ou « dime ». Le terme « dime » renvoie a l’Ancien Regime ! On pense a la Cour des Miracles presidee par le roi des gueux. 4. L’esthetique realiste ) La composition. La presentation du personnage est adossee a la description d’un milieu : – A partir de : « Dans tout Paris » jusqu’a « soixante-dix » : portrait physique minutieux et moral de Poupillier. – A partir de : « Il etait le chef des pauvres » jusqu’a « un sou par jour » : description du milieu. – A partir de : « En 1820 » jusqu’a : « sa derniere maitresse » : retour au portrait moral de Poupillier. La composition fait ressortir la determination du personnage par le milieu. b) Un lexique concret, precis, voire technique : – Les indications temporelles : 1825, 1820, « pendant vingt ans ». Termes techniques : « lichen », « sparteries », « suisse », « bedeau ». – Termes pittoresques : « entortillees », « empochait ». – Grande precision pour tout ce qui touche a l’argent : « dime », « les trois quarts », « un quart », « un sou par jour ». c) Verite de la seule phrase au style direct (entre guillemets) : « voila pour vous tous, et qu’on ne tourmente personne ». d) Pas de morale : Balzac constate simplement le fonctionnement de la societe. Neanmoins, on sent son admiration amusee pour Poupillier qui trompe tous ces mediocres. Conclusion redigee
Ainsi, cet extrait des Petits Bourgeois est assez caracteristique de Balzac. Il presente un milieu et dans ce milieu peint un personnage, lie ou oppose aux autres par des passions si puissantes qu’elles en font un type. Poupillier est un personnage tres vivant par son physique, ses passions, son temperament, ses moeurs. Il devient le type du mendiant et justifie par son caractere son insertion dans La Comedie humaine. Le romancier, par la stylisation qu’il lui fait subir, lui confere une ampleur theatrale. Pourtant Balzac ne denature pas la realite : il en accentue les contours. C’est pourquoi on peut le qualifier de visionnaire.