Commentaire de l’arret cass 1ere civ 24 janvier 1995

Commentaire de l’arret cass 1ere civ 24 janvier 1995

Faut-il limiter le domaine de la reglementation des clauses abusives aux seuls contrats de consommation, c’est-a-dire aux seuls contrats conclus entre un professionnel et un consommateur « final » ? Faut-il, au contraire, l’etendre aux relations entre professionnels, dans la mesure du moins ou l’un d’eux n’a pas la meme competence que son partenaire ? Il est sur qu’un professionnel qui contracte en dehors de sa specialite peut tout aussi bien qu’un simple consommateur se laisser abuser et s’engager dans une convention dont le contenu comporte, a son detriment, un « desequilibre significatif » (cf. . consomm. , art. L. 132-1, issu de la loi n° 95-96 du 1er fevr. 1995). Un professionnel comme un consommateur peuvent se lier dans des contrats d’adhesion et s’exposer ainsi au jeu de clauses parfois draconiennes. Ces arguments sont impressionnants (V. D. Mazeaud, obs. sous Cass. com. , 10 mai 1994, Defrenois 1995. 347), mais ne semblent plus convaincre la jurisprudence. Un temps, la Cour de cassation avait decide que devait etre reputee non ecrite une clause abusive stipulee dans un contrat qui echappait a la competence technique du contractant professionnel (Cass. re civ. , 28 avr. 1987, D. 1988. 1, note P. Delebecque ;

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JCP 1987. II. 20893, note G. Paisant ; RTD civ. 1987. 537, obs. J. Mestre). La Cour avait ensuite rompu avec sa jurisprudence en affirmant que le caractere abusif d’une clause limitative de garantie « ne pouvait etre invoque a propos d’un contrat conclu entre professionnels » (Cass. 1re civ. , 24 nov. 1993, Contrats, conc. , consomm. 1994. Chron. 3, obs. L. Leveneur) et avait maintenu cette ligne dans toutes ses autres decisions (V. Cass. com. , 10 mai 1994, prec. ) Le premier arret rapporte ne surprendra donc pas.

Des l’instant, souligne-t-il, que le contrat de fourniture de biens ou de services (le concept recouvre en realite tous les contrats quelle que soit leur nature, car tous portent soit sur des biens soit sur des services) a un rapport direct avec l’activite professionnelle exercee par le cocontractant (du fournisseur, donc du contractant professionnel), ce contrat ne releve pas de la reglementation des clauses abusives. La Cour de cassation raisonne ici en termes objectifs en se fondant sur le rapport que le contrat en cause peut entretenir avec l’activite de l’interesse. On retrouve la les termes de a directive communautaire du 5 avr. 1993 qui reserve sa protection contre les clauses abusives aux « seules personnes physiques qui agissent a des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activite professionnelle ». Cette ligne dure, si l’on ose dire, et la conception stricte de la notion de consommateur qu’elle sous-tend ne manquent pas de justifications. Tous les textes (quasi) communautaires a l’exemple de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles (art. 5) ou de la Convention de Bruxelles sur la competence judiciaire (art. 13) sont en ce sens.

La jurisprudence sur les autres aspects du droit de la consommation l’est egalement (V. not. , en matiere de credit a la consommation, Cass. com. , 4 fevr. 1992, Bull. civ. IV, n° 61), avec toutefois une exception importante en matiere de vente a domicile (Cass. 1re civ. , 6 janv. 1993, JCP ed. E 1993. II. 464, note G. Paisant. – Plus generalement, G. Paisant, Essai sur la notion de consommateur en droit positif, JCP ed. E 1993. I. 267). La coherence legislative a certainement ses raisons. En outre, et surtout, le droit de la consommation peut etre considere comme un droit d’exception ce qui ne veut pas dire necessairement subversif – qui ne saurait des lors etre etendu en dehors de ses limites naturelles. Enfin, et de toute facon, il n’est pas interdit de penser que le droit commun protege aussi bien sinon mieux que ne peut le faire une reglementation bureaucratique les victimes d’abus. Precisement, en l’espece, le litige opposait l’EDF a un chef d’entreprise qui avait du subir l’effet de plusieurs greves et qui contestait l’application de la clause de non-responsabilite dont l’EDF s’etait naturellement prevalue.

Aucune faute lourde ne pouvait etre reprochee au fournisseur d’electricite, mieux, aucune faute ne pouvait lui etre imputee, le caractere de force majeure de la greve ayant ete etabli. La clause de non-responsabilite ne pouvait donc pas ne pas etre appliquee. La solution aurait sans doute ete differente si la bonne foi de l’EDF avait pu etre prise en defaut. C’est sur cette notion de bonne foi que la Cour de cassation s’etait fondee dans une affaire semblable a celle qui a donne lieu au second arret rapporte du 31 janv. 1995. A l’epoque, la Haute juridiction avait censure une decision qui avait ecarte une clause obligeant a ayer dans son entier une annee scolaire a peine commencee, sans caracteriser en quoi la clause aurait ete constitutive d’un abus de nature a la priver d’effet (Cass. 1re civ. , 6 dec. 1989, D. 1990. 289, note Ghestin ; JCP 1990. II. 21534, note P. Delebecque ; Defrenois 1991. 366, obs. J. -L. Aubert). Voila que les Hauts magistrats recidivent, et tres logiquement, la clause etant la meme. Le visa est certes different, car la Cour de cassation ne prend plus en consideration l’art. 1134 c. civ. , mais uniquement la reglementation des clauses abusives (c. consomm. , art. L. 132-1).

Mais la solution n’a pas change (la cour d’appel avait en l’occurrence utilise l’argument tire de « la clause de style », en ce sens qu’elle avait fait observer que la clause etait licite parce qu’elle etait habituelle. Generalement, l’argument est avance dans un autre sens et pour combattre la stipulation. Mais, techniquement, l’argument n’est d’aucune valeur : une clause est valable si elle repond aux conditions de validite des conventions et cela suffit. – Cf. Cass. 3e civ. , 3 mai 1968, Bull. civ. III, n° 184). Il y a de quoi s’interroger sur l’apport reel du droit des clauses abusives.