Commentaire d’arret : cour de cassation, chambre mixte, 10 avril 1998.

Commentaire d’arret : cour de cassation, chambre mixte, 10 avril 1998.

« Tout homme peut defendre ses droits et ses interets par l’action syndicale et adherer au syndicat de son choix». L’alinea 6 du preambule de la Constitution du 27 octobre 1946 reconnait ainsi la liberte syndicale comme un principe a valeur constitutionnelle. Ce principe a notamment ete consacre en 1884 par la loi Waldeck Rousseau, loi fondamentale qui reconnait la libre constitution syndicale. Mais il n’en demeure pas moins que « la liberte des uns s’arrete la ou commence celle des autres. La constitution des syndicats est donc libre mais se heurte a quelques difficultes quant a sa dissolution. C’est ce dont a du traiter la chambre mixte de la Cour de Cassation dans un arret rendu le 10 avril 1998. Elle avait ete saisie de trois affaires, deux traitaient de la contestation de la qualite de syndicat professionnel et la derniere, soumise notre analyse, traitait de l’action en nullite d’un syndicat. En l’espece, un groupement se prevalant de la qualite de syndicat professionnel a ete declare le 6 novembre 1995 et a pris la denomination de Front National de la Police (FNP).

La Confederation Generale de Travail (CGT), confederation de travailleurs, et la Federation Autonome des Syndicats de Police (FASP) ont

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assigne la FNP « aux fins de lui voir interdire de se prevaloir de la qualite de syndicat et d’utiliser la denomination de Front National de Police. » Plusieurs autres organisations syndicales de policiers sont intervenues volontairement dans l’instance. La Cour d’Appel de Paris leur donne droit le 17 juin 1995 confirmant ainsi un jugement du Tribunal de Grande Instance d’Evry qui avait interdit a ce groupement de se prevaloir de la qualite de syndicat de la fonction publique.

Le FNP se pourvoit en cassation et fait grief a l’arret d’avoir accueillie la demande et de ce fait d’avoir ordonne a son encontre plusieurs interdictions. Le FNP soutient ainsi, d’une part, que seul le procureur de la Republique est competent pour remettre en cause l’existence meme d’un syndicat et solliciter de ce fait sa dissolution. Il remet ainsi en cause la recevabilite de l’action en nullite intentee par les divers syndicats. L’interdiction faite au FNP porterait de ce fait atteinte au principe de la liberte syndicale.

Et, d’autre part, le seul fait d’avoir adopte pour partie la meme denomination qu’un parti politique n’enlevait pas a l’objet du syndicat sa conformite a ce qui avait ete redige dans les statuts. La question qui s’est ainsi posee a la Cour de Cassation relevait tout d’abord de la recevabilite de l’action en nullite d’un syndicat. En effet, le procureur de la Republique est-il seul competent pour solliciter la dissolution d’un syndicat dont il nierait l’existence meme ? Et, en second lieu, la

Cour de Cassation a eu a se pencher sur les dits cas de dissolution. Le fait pour un syndicat professionnel d’avoir un objet fonde sur un parti politique est-il en soi illicite et peut-il donner lieu a sa dissolution ? La chambre mixte de la Cour de Cassation, le 10 avril 1998, repond a l’affirmative a ces deux questions. En effet, elle considere que « toute personne justifiant d’un interet a agir est recevable a contester la qualite de syndicat professionnel d’un groupement dont l’objet ne satisfait pas aux exigences des articles L. 2131-1 et L. 131-2 du code du travail » et affirme dans son deuxieme attendu qu’un syndicat professionnel ne peut etre fonde sur une cause ou en vue d’un objet illicite. Le FNP n’etant que l’instrument d’un parti politique. La Cour de Cassation rejette ainsi le pourvoi du groupement ayant pris la denomination de Front National de la Police. D’une part, elle etend la notion d’interet a agir en ce qui concerne l’action en nullite d’un syndicat (I) et, d’autre part, elle creee un nouveau cas de dissolution qui vient se greffer a ceux deja prevus par la loi (II). I.

Extension de la notion d’interet a agir pour l’action en nullite d’un syndicat a toute personne interessee. Si le principe en droit du travail est celui de la libre constitution d’un syndicat, ce dernier doit respecter une procedure declarative. Le syndicat doit ainsi deposer ses statuts et les noms de ceux qui seront charges de l’administration ou de la direction. Il doit egalement avoir un objet precis : « l’etude et la defense des droits ainsi que des interets materiels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnees dans leurs statuts » (article L. 2131-1 du code du travail).

Lorsqu’un syndicat n’est pas legalement constitue, le procureur de la Republique est competent pour solliciter sa dissolution (A), mais la Cour de Cassation est venu preciser ce 10 avril 1998 qu’il n’etait pas seul a avoir cette competence et que toute personne justifiant d’un interet a agir pouvait solliciter cette dissolution (B). A) Une action en principe reservee au procureur de la Republique. L’article L. 2135-1 du code du travail enonce dans son deuxieme paragraphe que « la dissolution du syndicat ou de l’union de syndicats peut en outre etre prononcee a la diligence du procureur de la republique. On peut ainsi parler de liberte destructrice qui viendrait a l’encontre du principe fondamental de liberte syndicale. C’est ce que rappelle la Cour de Cassation dans son premier attendu, les syndicats peuvent se constituer librement mais ce principe ne fait pas obstacle a ce que le procureur de la Republique puisse demander la dissolution d’un syndicat dans les conditions prevues par l’article L. 2135-1 du code du travail « en cas d’infractions commises par ses dirigeants ou ses administrateurs. L’interet a agir du Procureur de la Republique se justifie donc par l’infraction a la loi commise par le syndicat. C’est par exemple, lorsque ce dernier constate une violation des regles de constitution. Cette possibilite est prevue a l’article L. 2136-1 du code du travail, c’est la dissolution judiciaire. On assimile cette dissolution a une dissolution forcee. L’inobservation des regles de fond auxquelles est soumise la creation d’un syndicat expose donc ce denier, sur le plan civil, a une action en annulation sur l’initiative du Procureur de la Republique .

Mais le probleme qui se pose ici est que la dissolution n’a pas ete sollicitee par le Procureur de la Republique mais par divers syndicats qui estimaient que le FNP « n’etait qu’une emanation d’un parti politique dont il reprenait le nom et qu’il s’appropriait une denomination identique a celle des policiers membres du Comite national de la Resistance (…) ». Legalement, seul le Procureur est habilite a contester l’existence meme d’un syndicat, mais la Cour de Cassation va venir etendre la recevabilite de cette action a la demande de toute personne interessee. (B)

B) Les syndicats de la CGT et des organisations syndicales de policiers ont un interet a agir. L’article L. 2132-3 du code du travail pose le principe selon lequel « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits reserves a la partie civile concernant les faits portant un prejudice direct ou indirect a l’interet collectif de la profession qu’ils representent. » Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice pour les interets collectifs de la profession a laquelle appartiennent leurs adherents.

En l’espece, les declencheurs de l’instance sont des syndicats professionnels dont la CGT et de nombreux syndicats de Police. Ils sembleraient ainsi agir dans l’interet de leur profession. Et c’est ce que la Cour de Cassation a retenu. Elle considere que ces syndicats justifient d’un interet a agir. En effet, ces syndicats professionnels sont en droit de contester la qualite de syndicat professionnel de ce groupement qui ne satisfait pas aux exigences des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code du travail.

Ils remettent en cause l’objet du FNP et sa constitution meme. La nouveaute de cet arret est bien sur que la Cour de Cassation a etendu la recevabilite de l’action en contestation de la qualite de syndicat a toute personne justifiant d’un interet a agir. Les syndicats professionnels acquierent par le depot des statuts le droit d’agir en justice en meme temps que la personnalite morale. Le droit d’ester en justice dans l’espece se justifie par le prejudice porte a l’interet collectif de la profession. Ce prejudice peut etre soit direct ou indirect.

Dans l’espece, il est notamment reproche au FNP d’avoir commis des actes de discrimination syndicale. La Cour de Cassation affirme en cette matiere que les syndicats professionnels ont un interet a agir en cas de discrimination syndicale qui porterait atteinte a l’interet collectif de la profession. Ainsi, l’action en contestation de la qualite de syndicat est recevable pour toute personne justifiant d’un interet a agir. Apres avoir etendu l’action en contestation, la Cour de Cassation vient ensuite clarifier les conditions de l’action (II). II.

Extension des cas de dissolution initialement prevus par le code a la disqualification pour cause et objet illicite. L’article L. 2131-6 du code du travail enonce qu’en cas de dissolution volontaire, statutaire ou prononcee par decision de justice, les biens du syndicat sont devolus conformement aux statuts ou, a defaut de dispositions statutaires, suivant les regles determinees par l’assemblee generale. En aucun cas, les biens du syndicat ne peuvent etre repartis entre les membres adherents. » Ainsi, la loi prevoit trois cas de dissolutions.

Mais la Chambre mixte de la Cour de Cassation vient renverser cette stabilite legislative en affirmant « qu’un syndicat professionnel ne peut etre fondee sur une cause ou en vue d’un objet illicite ». Elle considere ainsi que l’objet du syndicat n’est pas reel (A) et par ailleurs, elle denonce des agissements contraires aux principes de non-discrimination qui justifient la demande de dissolution du syndicat par toute personne ayant interet a agir (B). A) Un objet illicite : La poursuite d’objectifs essentiellement politiques. L’article L. 131-1 du code du travail enonce « les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’etude et la defense des droits ainsi que des interets materiels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnees dans leurs statuts. » Lorsque cet objet fait defaut, le Procureur de la Republique, et desormais toute personne justifiant d’un interet a agir, peut solliciter la dissolution du syndicat. En l’espece, on reproche au FNP de n’etre que « l’emanation d’un parti politique ». Ce parti politique n’est autre que le Front National actuellement dirige par Marine LE PEN.

Les cas de dissolutions prevus par la loi sont de trois ordres : statutaire, volontaire ou forcee. Le fait pour un syndicat de n’etre que la simple emanation d’un parti politique ne saurait, en principe, etre une cause de dissolution. Mais la Cour de Cassation vient enoncer le principe selon lequel « un syndicat professionnel ne peut etre fonde sur une cause ou en vue d’un objet illicite. » Par consequent, il ne peut « poursuivre des objectifs essentiellement politiques ». L’objet du FNP serait donc illegal au regard des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code du travail, relatifs a l’objet et a la constitution des syndicats.

L’article L. 2131-1 decoule d’une des lois loi Auroux de 1982, elle instaure desormais des activites interdites aux syndicats et ainsi, les activites strictement ou exclusivement politiques sont prohibees. On va par cela empecher un syndicat qui n’a qu’un but politique et qui va seulement suivre un programme politique. C’est le cas du FNP dans cet arret de 1998, la Haute juridiction va ainsi enoncer dans son second attendu « que le FNP n’est que l’instrument d’un parti politique qui est a l’origine de sa creation et dont il sert exclusivement les interets et les objectifs. Apres avoir decrete l’objet du FNP illicite, la Cour de Cassation va egalement declarer sa cause illicite. En effet, elle considere que le FNP « sert exclusivement des interets et des objectifs pronant des distinctions fondees sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique. » (B) B) Une cause illicite : La preconisation d’interets et d’objectifs discriminatoires. Le syndicat ne peut etre fonde sur une cause ou en vue d’un objet illicite. Il a ete demontre par la Cour de

Cassation que le FNP se prevalait d’un objet illicite puisque son objet etait purement et exclusivement politique. Le FNP se contentait de suivre le programme politique du Front National et n’etait que son instrument. Mais un deuxieme reproche va etre porte contre le FNP. En effet, la Cour de Cassation va tirer comme consequences de son deuxieme attendu qu’un syndicat ne peut agir contrairement « aux principes de non-discrimination contenus dans la Constitution, les textes a valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie. Le FNP agirait en contradiction avec les articles L. 1132-1 a -4 du code du travail et l’article L. 1134-1 du meme code. Ces articles ont trait au principe de non discrimination en droit du travail. L’article L. 1132-1 enonce qu’aucune personne ne peut etre ecartee d’une procedure de recrutement ou de l’acces a un stage ou a une periode de formation en entreprise, aucun salarie ne peut etre sanctionne, licencie ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses m? rs, de son orientation sexuelle, de son age, de sa situation de famille ou de sa grossesse, (…) de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son etat de sante ou de son handicap. » La cause du FNP est donc illicite puisque basee sur des interets et des objectifs pronant des distinctions discriminatoires. Ces activites sont prohibees au sens de l’article L. 2131-1 du code du travail. En effet agir de maniere discriminatoire et avoir une action fondee sur des considerations discriminatoires est considere comme une activite interdite.

Le reproche de la cour de cassation peut paraitre contestable. En effet, la Cour de Cassation reproche au FNP d’etre la simple emanation du parti politique du Front National, elle disqualifie le groupement pour non-respect du principe de non-discrimination mais pourtant le parti politique a l’origine de sa creation dont il « sert exclusivement les interets et les objectifs en pronant des distinctions » discriminatoires est, lui, legal.

Bien sur, de nombreux debats et de nombreuses polemiques se soulevent au sujet du Front National mais pourquoi sanctionner son emanation alors que le sujet principal lui-meme ne subit pas d’interdictions ? Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que la cause du FNP etait discriminatoire donc illicite, de meme que son objet, purement et exclusivement politique. La Cour de Cassation, dans son arret du 10 avril 1998, introduit donc un nouveau cas de dissolution, non prevu par les textes : La disparition pour objet illegal qui fait suite a une action en contestation de la qualite de syndicat.