Commentaire compose- les deux coqs, la fontaine

Commentaire compose- les deux coqs, la fontaine

Envoye par Sandrine. Commentaire de texte : Le Songe d’un habitant du Mogol (Fables, XI, IV) Les enjeux du texte Le Songe d’un Habitant du Mogol est l’une des quelques fables dont la moralite prend la forme d’une meditation personnelle longue de plusieurs dizaines de vers : petit poeme a part entiere ou La Fontaine, sur le ton de la confidence lyrique, fait l’eloge de la retraite en celebrant la douceur d’une vie consacree a la reverie et a la poesie.

Au XVIIe siecle, le terme de retraite designait aussi bien le mouvement d’abandon du monde, de fuite de soucis et de contraintes de la vie en societe, que le lieu ecarte ou l’on cultivait cette solitude en meditant, et, le plus souvent, en priant. L’extreme beaute de cet eloge a souvent conduit a detacher le passage du recit qui donne son titre a la fable : entre les deux parties du texte existent pourtant des liens complexes et subtils, susceptibles d’aider le lecteur a mieux comprendre l’ideal de vie reve par le poete. I- Du recit a la meditation lyrique Un apologue en forme de paradoxe.

Avant de commenter l’eloge de la solitude que La Fontaine entreprend dans la seconde partie de la fable, il

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est indispensable de s’interesser au recit qui en est le pretexte (v. 1-17). Cette petite histoire est plus complexe qu’il n’y parait : elle est construite sur deux niveaux de recit, et sa signification repose sur quelques sous-entendus qu’il importe de bien comprendre. Au premier niveau de narration, deux personnages : un dormeur qui donne son titre a la fable (« certain Mogol », v. 1) et un songe capable d’interpreter les songes du premier (« L’interprete », v. 12).

A l’interieur de ce recit, une autre histoire, enigmatique (second niveau de narration) : le songe lui-meme (v. 1-6), qui donne a voir un Ermite aux Enfers (« entoure de feux, v. 5) et un Vizir aux « champs Elysiens » (v. 2), autrement dit au Paradis. Pourquoi ce songe est-il paradoxal (« etrange, et contre l’ordinaire », v. 7) ? En toute logique, l’Ermite aurait du gagner le Paradis, s’etant retire du monde pour prier, alors que le vizir, sans doute moralement corrompu par la vie a la cour et l’exercice du pouvoir, semblait a priori voue aux flammes infernales… Or c’est l’inverse qui apparait au dormeur d’ou son etonnement (v. ) : le juge des Enfers (« Minos », v. 8) aurait-il commis une erreur ? Le reveil du Mogol surpris marque un retour au premier niveau de narration (v. 9-15). La cle du songe. Pour decouvrir le « sens » cache (v. 13) de cette vision mysterieuse, il faut recourir a l’interprete. Celui-ci complete le songe sur deux points importants (retour au second niveau de narration, v. 15-17) : le Vizir a su parfois s’abstraire de la cour pour chercher la solitude (v. 16) ; il a garde ses distances avec les charmes trompeurs du monde et fait preuve d’une sagesse salutaire.

L’Ermite, au contraire, se faisait volontiers courtisan (v. 17) : malgre les apparences, il n’a pas su se detacher de ses desirs (l’ambition, la vanite ? ) pour se consacrer tout entier a la priere ; pire, il a dissimule ces desirs sous le masque de la devotion – conduite hypocrite qui lui vaut un chatiment eternel. Au terme du recit, le paradoxe est resolu : le sage n’etait pas celui que l’on croyait. Comme La Fontaine l’ecrit un peu plus loin dans ce meme livre XI, « Il ne faut point juger les gens sur l’apparence » (Le Paysan du Danube). Un recit seulement esquisse ?

Ce petit recit, malgre la seduction de sa couleur orientale et le charme qu’il tire du va-et-vient entre songe et « realite », differe sur bien des points de la maniere habituelle de La Fontaine. On remarque d’abord qu’aucun des personnages n’est reellement caracterise, evoque a l’aide de petits details pittoresques : le dormeur n’existe guere que par le songe etrange qui nous est rapporte ; l’interprete, bien que ses paroles soient transcrites au discours direct, n’a d’autre fonction que de reveler le sens de la vision du Mogol. Le plus etrange est que le fabuliste n’ait pas precise ’avantage le caractere des deux personnages du recit interieur : de l’Ermite hypocrite abandonnant la solitude et la priere pour faire sa cour, il aurait pu tirer une satire comparable au cruel portrait du Rat qui s’est retire du monde (VIII,3) ; le vizir aurait pu prendre les traits d’un personnage attendrissant, desabuse de la vanite des intrigues de cour, comme le berger dans Le Berger et la roi. Ce n’est pas le cas : La Fontaine semble ne s’interesser qu’a la valeur symbolique du recit : pour lui, le songe est « un avis des Dieux » v. 5) surtout parce-qu’il invite a rechercher la solitude ; c’est la seule lecon qu’il retient dans sa moralite, en l’etendant a des proportions considerables. On voit comment La Fontaine a oriente sa fable dans une direction precise, alors que le recit qu’il emprunte aux conteurs de l’Orient (en l’occurrence le poete persan Saadi) offrait d’autres voies possibles. Il faut maintenant etudier les caracteristiques propres de l’eloge de la solitude, sans perdre de vue pour autant ses liens avec le recit. Lyrisme, harmonie et douceur L’art de la transition.

Le long commentaire se differencie d’abord du recit du point de vue de la metrique. Les vers 1-17 melent quelques octosyllabes a des alexandrins, ce qui leur donne un rythme varie ; variete renforcee par le jeu des rimes : rimes plates (v. 1-6), rimes embrassees (v. 7-10), rimes croisees (v. 14-17). L’eloge de la solitude se presente au contraire comme un discours serieux entierement compose en alexandrins a rimes plates (a une exception pres : le vers 22 qui rime avec les vers 18-19, ce que l’on nomme une rime redoublee ; il y en a une egalement dans le recit, au v. 1 qui rime avec les v. 7-9). Ce passage a une forme beaucoup plus reguliere indique immediatement au lecteur que ce qui fait suite au recit est d’une nature plus grave et plus profonde. Autre element de rupture : le passage d’une narration impersonnelle a un discours sur le ton de la confidence, qui recourt avec une frequence inhabituelle dans les Fables au pronom « Je » (impossible ici dans faire le releve : en 22 vers, 16 tournures renvoient a la premiere personne).

La Fontaine semble presque s’excuser de cet epanchement, et souligne en tout cas le changement de nature de son poeme : il ouvre son discours presque timidement, en enoncant son projet sous une forme hypothetique que renforce le verbe « oser ». « Si j’osais ajouter au mot de l’interprete, / J’inspirerais ici l’amour de la retraite » : il s’agit seulement d’ajouter quelques reflexions personnelles a la morale apparente enoncee par le personnage du recit, sous forme d’un « avis des Dieux ». Un appel aux sentiments du lecteur. La facon dont La Fontaine presente son projet n’est pas indifferente : « J’inspirerais ici l’amour de la retraite ».

Le discours vise moins a convaincre le lecteur en faisant appel a sa raison qu’a l’emouvoir, a lui faire percevoir de facon sensible (« inspirer ») les charmes de la solitude. En temoigne la metaphore amoureuse (« l’amour de la retraite »), filee au vers suivant (« Elle offre a ses amants ») et discretement reprise un peu plus loin (« Lieux que j’aimais toujours »). Par ce recours au vocabulaire galant, le poete presente la retraite comme une maitresse capable de combler ceux qui l’aiment : « Elle offre a ses amants des biens sans embarras, / Biens purs, presents du Ciel, qui naissent sous les pas » (v. 0-21) ; elle prodigue une « douceur secrete » (v. 22). Le pluriel du mot « biens » et sa reprise evoquent l’abondance des plaisirs ; l’alliteration en s du v. 22 suggere aussi une certaine sensualite dans ce retrait du monde. Seduire par l’harmonie. La solitude apparait meme comme un plaisir presque divin, celeste : au vers 21, l’expression « biens purs, presents du Ciel » renvoie implicitement a la felicite goutee par le Vizir rencontre dans le songe, « Aux champs Elysiens possesseur d’un plaisir / Aussi pur qu’infini » (v. 2-3), et la construction meme de certains alexandrins souligne cet effet ’echo : le double balancement du vers 24 (« Loin du monde et du bruit, gouter l’ombre et le frais ») evoque discretement celui du vers 3 (« Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en duree ») : tout rapproche les deux vers, leur construction (deux groupes binaires) et leur rythme (alexandrins coupes a 3/3/3/3, ou tetrametres, rythme particulierement harmonieux). Le debut du discours joue d’ailleurs beaucoup sur ces effets de symetrie : au vers 26, l’hemistiche final « loin des cous et des villes » rappelle l’hemistiche initial du v. 4, « Loin u monde et du bruit » ; le vers 23 est construit tres subtilement sur une antithese (« lieux que j’aimais toujours, ne pourrais-je jamais »), combinee avec une sorte de rime interieure («  j’aimais/ jamais »). Les sonorites choisies de ces vers concourent aussi a creer un sentiment d’harmonie, de douceur et de plenitude : voir la delicatesse de l’assonance en ou qui scande les vers 22-23 (« Solitude ou je trouve une douceur secrete / Lieux que j’aimais toujours ne pourrais-je jamais »…), souvent associee a la consonne r, comme pour prolonger la resonance du mot « amour » (v. 9). La Fontaine remplit donc parfaitement le projet qu’il s’etait fixe : il inspire l’ « amour de la retraite » en rendant sensible son calme, sa douceur dans la beaute et l’harmonie de ses vers. Il ne suffit pourtant pas de faire pressentir au lecteur les charmes de la solitude par le lyrisme et la poesie : encore faut-il decrire les biens qu’elle prodigue et l’ideal de vie qu’elle peut representer. C’est sur ces points que la confidence du poete se developpe. II- La retraite concue comme un ideal de vie

La solitude, objet de nostalgie ou de desir C’est d’abord une definition negative des charmes de la solitude que propose La Fontaine : devenir « amant » de la retraite, c’est choisir de vivre « loin du monde et du bruit » (v. 24), « loin des cous et des villes » (v. 26) ; c’est s’abstraire du tumulte incessant de la societe pour trouver le calme a l’ecart des hommes – opposition clairement marquee dans la rime « asiles » / «  villes », ou la retraite apparait par contraste comme un refuge, un lieu protege et propice a la paix de l’ame .

Cette quietude transparait aussi dans les notations sensibles « sombres asiles », « l’ombre et le frais » (v. 24-25) : elle exprime le reve d’un lieu a l’abris de la lumiere et de la chaleur, comme du « bruit » et des tracas de la vie sociale (suggeres dans l’expression « des biens sans embarras » (v. 20). Pourquoi cette definition negative ? La solitude est eprouvee sur le mode de la nostalgie ou du desir ; elle est concue comme un ideal auquel on aspire ardemment, et s’oppose a l’existence reelle marquee par le poids des obligations sociales.

Ainsi s’explique l’importance dans la fable des tournures exclamatives, des futurs et des subjonctifs : « Oh ! qui m’arretera » (v. 25), « quand pourront les neuf s? urs » (v. 26), « Que les ruisseaux m’offrent de doux objets ! / Que je peigne en mes vers… » (v. 32-33). La retraite appartient a un futur hypothetique, desire avec passion : elle constitue un veritable ideal de vie. Retraite et inspiration poetique Comment remplir cet espace exempt de trouble ? Par le plaisir, bien sur, (voir le verbe « gouter », v. 20), mais surtout par la poesie.

Si La Fontaine recherche la solitude, c’est parce-qu’elle est le sejour des muses (designees par la periphrase « les neuf s? urs » v. 26), et donc de l’inspiration poetique (theme suggere des le v. 19 : « J’inspirerais ici l’amour de la retraite). La poesie ne se cultive ni au milieu des courtisans, ni dans les salons, mais par la contemplation de la nature et des astres (designes par l’elegante periphrase du v. 19 : « ces clartes errantes » : La Fontaine renoue avec l’ideal antique d’une poesie scientifique, et meme cosmique, illustree notamment par le poete epicurien Lucrece (v. 7-30). Il presente l’astronomie comme une science propre aux esprits les plus eleves, qui revele l’organisation secrete du monde (« …m’apprendre des cieux / Les divers mouvements inconnus a nos yeux » v. 27-28), et permet meme de connaitre le cours de la vie des hommes (v. 30). Cet ideal poetique s’inscrit dans la filiation de la poesie antique, mais semble quelque peu en contradiction avec les opinions de La Fontaine, qui se moque des faiseurs d’horoscopes («L(Horoscope, VIII, XVI). Sans pretendre meme s’illustrer dans cette poesie cosmique decrivant les grandes forces a l’? vre dans la nature, La Fontaine se plie humblement a la puissance des muses (« Que si je ne suis ne pour de si grands projets / Du moins… ») et declare se contenter d’une inspiration plus modeste : son gout pour la solitude champetre le conduit naturellement a la poesie bucolique, exaltant les beautes de la nature, « ruisseaux «  et « rives fleuries »… On trouve la de nouvelles allusions a la poesie antique, en particulier a Virgile, dont les Bucoliques et les Georgiques celebrent ainsi les charmes des rivieres et des bois.

Retour au theme du sommeil et de la mort Le theme de l’inspiration poetique pourrait apparaitre comme le point culminant du poeme, la secrete raison de l’eloge de la solitude : pourtant, au v. 34, le discours de La Fontaine s’inflechit vers un nouveau developpement. « La Parque a filet d’or n’ourdira point ma vie » : cette allusion mythologique aux divinites tissant la estinee des humains au moyen de fils de laine (le fil d’or symbolisant ici une existence doree) est bien dans la continuite de l’eloge de la retraite qui se complete traditionnellement par l’exaltation de la vie rustique et de ses plaisirs simples ; mais le developpement de cette idee nous ramene insensiblement au theme du sommeil (« Je ne dormirai point sous de riches lambris », v. 35) dont le poete propose une peinture voluptueuse (« En est-il moins profond et moins plein de delices », v. 7, nouveaux tetrametres de construction symetrique), qui fait echo aux charmes de la solitude comme a la felicite eternelle goutee par le Vizir aux « champs Elysiens » (v. 3 : « Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en duree » ; v. 36 : « Mais voit-on que le somme en perde de son prix ? »). Cet eloge de la paresse est conforme a l’image que La Fontaine aimait a donner de lui-meme (ne se vantait-il pas avec humour de disposer sagement de son temps, le divisant en deux parts qu’il passait « L’une a dormir et l’autre a ne rien faire » ?  ; il surprend en revanche par le recours au vocabulaire religieux. Le sommeil est presente comme l’objet d’une sorte de culte se substituant a la priere que l’on attendrait d’un ermite ; le vers 38 (« Je lui voue au desert de nouveaux sacrifices ») et meme franchement irreverencieux – les « sacrifices » consistant simplement … a dormir pour honorer le sommeil ! Par une transition naturelle, enfin, le sommeil appelle l’evocation de la mort, presentee en une formule assez desinvolte, presque mondaine (« Le moment… d’aller trouver les morts », v. 9) : c’est une mort apaisee, sans resonance dramatique, dans la continuite d’une vie insoucieuse, pleine de charmes et exempte de trouble (« J’aurai vecu sans soins »), une mort curieusement depourvue de tout arriere-plan religieux : nul repentir (« Je mourrai sans remords »), nulle anticipation de l’au-dela, a la difference du recit de songe qui peignait les plaisirs infinis du Vizir, les tourments eternels de l’ermite… L’ambiguite religieuse et philosophique de la fable

Cette derniere remarque conduit a souligner en conclusion un fait remarquable : l’ambiguite extreme des references religieuses disseminees tout au long de la fable. Le recit d’abord presente un curieux melange d’allusions disparates : il est cense etre issu d’un conte oriental, mais le paradis y est evoque selon l’imaginaire de la mythologie greco-latine ( les « champs Elysiens ») cependant que la description des « feux » de l’enfer et le terme meme d’ «ermite » renvoie a l’univers du christianisme.

Dans la seconde partie, les termes de « retraite », de « solitude », de « desert », evoquent directement les lieux ecartes ou les esprits chretiens se retirent pour prier, mediter et gagner le salut de leur ame ; mais toute idee de priere est absente du poeme, la meditation fait place a l’inspiration poetique, sinon a la reverie et au sommeil… Les seules divinites evoquees (metaphoriquement) sont encore issues de la mythologie, ce sont les muses, ce sont les Parques.

En totale contradiction avec la vision chretienne de l’existence, enfin, l’image de la mort est adoucie de facon a ne pas inquieter l’ame et a permettre ainsi de jouir en paix (sans soucis, « sans soins ») du bonheur present : « plaisir aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en duree » que goute le Vizir dans son paradis incertain, mais qu’il appartient a chacun de rechercher ici bas dans les delices de la solitude ou les voluptes du sommeil.

Bannir la crainte de la mort et les interrogations sur l’au-dela, se contenter de jouir des plaisirs simples que procure le spectacle de la nature : c’est un ideal de vie profondement epicurien rendu sensible par la douceur meme du poeme, et par la puissance de seduction que l’idee de retraite peut exercer sur tout lecteur mele a l’agitation de la societe… Dans cette vision de l’existence reside la grande audace du poeme – celle peut-etre qu’annonce discretement le vers introductif : «  Si j’osais ajouter au mot de l’interprete… ».