Colloque sentimental, Paul Verlaine, 1869 Bien des poemes evoquent un amour brise. C’est un amour de ce genre que Verlaine, poete symboliste de la 2eme moitie du 19eme siecle evoque ds le poeme Colloque Sentimental, extrait du recueil Les Fetes Galantes, inspire des tableaux du peintre Watteau (18eme). Ds ce poeme a la forme originale, puisqu’il n’est constitue que de distiques, il depeint un decor etrange de tonalite fantastique, ou 2 etres dialoguent, evoquant le souvenir qui ressurgit et l’oubli qui l’efface. I. Un lieu etrange, de tonalite fantastique a) Le cadre
Le lieu est presente ici sous un double aspect. Tt d’abord comme un parc, connu sans doute des 2 e puisque le poete utilise l’article defini «le». Ms le parc, lieu conventionnel des rencontres amoureuses (de nos jours comme au 18eme), est ici extrememt degrade, comme en temoignent le qualificatif «vieux» v. 1,5, ou la presence a l’avt-dernier vers d’«avoines folles». Le lieu est en fait humanise, mais dote de caracteristiques qui le deprecient. Presente comme capable d’eprouver des sentimts par l’adj «solitaire» v. 1, 5, il ne connote que le sentimt de solitude ou d’abandon. «glace», v. , 5, qt a lui suggere l’hiver ou mm la mort. b) Le temps
Le tps d’ailleurs n’est pas evoque ici d’une facon chronologique : cette confus° temporelle ajoute a l’aspect inquietant de la scene. Au v. 2, le passe cpse «ont passe» parait indiquer une act° achevee. L’express° adverbiale «tt a l’heure» n’ajoute guere de precis°. Or, aux v. 3-4 st utilises des psts qui semblent anterieurs au passe compose «ont passe». Le 3eme distique evoque a nouveau par le mm tps du passe cpse (ont evoque) le mmt considere comme acheve, des le 1er distique. 4 strophes de 2 vers rapportent ensuite le dialogue, necessairemt anterieur au depart des spectres. Le dernier distique souligne par l’impft «ils archaient» leur attitude pdt le dialogue ; le passe sple «entendit» (v. 16) rejette enfin ds un passe tres lointain (et depourvu d’interet : et la nuit seule entendit) leurs propos. Cet aspect flou du tps s’ajoute dc a celui du lieu pr creer une impress° des + etranges. c) Les personnages Apres avoir ete depeints slmt comme des silhouettes peu distinctes (deux formes), les persos ne prennent figure + humaine que pr evoquer des e defunts, a l’ame tourmentee. Le mot «spectre» en effet, aux sonorites tres dures, succede a la 1ere vis° globale encore floue pr connoter la mort, ms aussi l’insatisfact°.
Car le fantome, a l’inverse des autres defunts immobiles a jms, hante pr tjrs certains lieux. 2 gpes de termes evoquent ici le mvmt auquel cette sorte d’e semble condamnee a jms (v. 2, 15 : ont passe, marchaient). De +, outre leur silhouette, certains points precis st depeints, ms de maniere tres pejorative. Les yeux et les levres, constantes du discours amoureux car il permettent d’ordinaire d’exprimer les sentimts ou de communier ds l’amour, sont ici victimes d’une decomposit° (rapprochemt par les sonorites de «mort» et «molles» v. 3) physique, contrastant avc l’aspect immateriel que l’on prete ’ordinaire aux fantomes. 2 images de la mort se superposant dc ici, celle de la decomposit° du cadavre (ici «deambulant») et celle du fantome, incapable de trouver le repos eternel. Mm la parole qui leur est pretee temoigne de leur degradat° physique : s’ils parlent, c’est de facon a peine perceptible (v. 4, 16). Le narrateur de cette scene (ici represente par le prnm indefini «on» au v. 4, et assimilable p-e au poete) est le seul, avc la nuit personnifiee a pouvoir distinguer ce discours chuchote. II. Un dialogue pathetique a) Un couple apparent Les 2 e forment de l’exterieur un couple.
Bcp de pronoms persos ou d’adj possessifs les presentent en effet reunis (notre v. 7, nous, nos, v. 12). Ils sont aussi constitues en couple apparent par les express° «deux formes», «deux spectres» v. 2, 6, ou par leurs caracteristiques communes (v. 3). De mm, le pronom perso «ils» v. 15, renforce par l’adj «tels», les reunins a nouveau ds la vis° finale. Ms en fait, les 2 e st profondemt desunis. b) Une desunion profonde Nous avons peu d’indice sr l’identite du 1er perso. Est-il homme ? Est-il femme ? Au 19eme siecle, l’homme prenait svt l’initiative du dialogue amoureux.
Ce 1er protagoniste serait dc un homme, a qu’on ne considere que la mort ait efface les caracteres physiques qui d’ordinaire separent les 2 sexes. Ce 1er perso en tt cas utilise le voc de l’amour-passion, comme en temoignent les mots «extase, c ur, ame, beaux jours, bonheur indicible» v. 7-11. L’amour parait dc idealise par cet e, qui l’evoque a la x sr le plan physique (v. 12 joignons nos bouches), ms aussi sur le plan affectif (c ur, reve v. 9-10), voire spirituel. Les mots «ame» et «extase» donnent en effet une dimens° presque mystique a l’amour.
L’exaltat° de cette creature (finalemt enigmatique, dc assimilable a tt lecteur), son elan, sa ferveur sont soulignees par l’interject° «Ah ! » au debut d’une principale exclamative, ses quest° pressantes et ses exclamat°. Ses repliques st en general + longues. Son langage est svt metaphorique, voire allegorique. Au v. 7, la tournure impersonnelle «Te souvient-t-il» au lieu de «te souviens-tu», montre qu’il aimerait que la force de l’amour l’amene a ressurgir de lui-mm ds le c ur de l’autre. Chez le second perso au contraire, il y a oubli total et reniemt du passe. Ceci est traduit d’abord par une replique lapidatoire (Non v. 0) mise en relief en fin de distique, puis par une formule tres vague (c’est possible v. 12). La seule reponse plus longue qu’il fait a l’autre est constituee par l’invers° pejorative des termes employes par le 1er : bleu, le ciel ? ciel noir ; grand l’espoir ? l’espoir a fui vaincu. A l’optimisme du 1er succede dc une allegorie de la defaite. Il repond ainsi au moyen d’un double chiasme, d’une facon tt a fait opposee a ce que desirait l’autre. Les termes detaches par des virgules ds le discours du 1er (bleu, le ciel, et grand,…) en sont d’autant + nies. Le 1er de tte facon n’evoquait qu’au passe l’amour qui les avait reunis (le passe v. , ancienne v. 7, idee d’achevemt connotee par «qu’il m’en souvienne» v. 8 ou l’adj «tjrs» reclament une continuite du passe ds le prst ; voir aussi l’impft v. 12, 13). Il ne pretend dc pas eprouver encore de l’amour ds le prst ; ce qu’il voudrait, c’est s’entendre dire plutot qu’il a ete et qu’il est encore aime par l’autre. C’est la preuve de sa part d’un certain egoisme, traduit en particulier v. 9-10, ou il tente de savoir s’il est tjrs essentiel aux yeux et au c ur de l’autre. C’est dc un poeme qui traduit a merveille, dans un cadre, un lieu, et a travers des personnages symboliques, la mort de l’amour…