?L’homme est-il capable d’atteindre une connaissance des choses, ou plus exactement, est-il capable de d’atteindre la realite des choses, d’avoir une connaissance et une certitude objectives ? L’importance de cette question n’est que trop evidente car, si l’homme est incapable d’arriver a une certitude objective, c’en est fait de toute connaissance. L’homme, incapable de depasser sa propre subjectivite est enferme dans le monde des phenomenes.
Pour repondre a cette question importante, nous traiterons les points suivants : 1° Nature et division de la certitude, 2° les systemes niant la certitude, 3° la faussete de ces systemes et la legitimite de la certitude Nature et division de la certitude Nature de la certitude. On peut definir la certitude de la facon suivante : « l’etat de l’esprit qui consiste en l’adhesion ferme a une verite connue, sans crainte de se tromper. L’evidence est ce qui fonde la certitude.
On la definit comme la pleine clarte avec laquelle le vrai s’impose a l’adhesion de l’intelligence[1] » Autrement dit, on certain de quelque chose, quand on porte un jugement qui exclut le doute et la crainte de l’erreur. Le criterium de la certitude est l’evidence par laquelle l’esprit humain est place dans une espece de contrainte
Elle peut etre -Metaphysique ou absolue quand elle est fondee sur l’essence des choses, un principe metaphysique : « le tout est plus grand que la partie », « tout effet a une cause », « impossible d’etre et de ne pas etre en meme temps et sous le meme rapport ». L’assertion contraire est absurde et inconcevable. -Physique quand elle est fondee sur les lois de la nature ou sur l’experience ; l’assertion contraire est fausse, mais non absurde ni inconcevable[3] : « les corps tombent vers le centre de la terre, le metal conduit l’electricite », « l’eau en se solidifiant augmente de volume ». Morale quand elle est fondee sur une loi psychologique c’est-a-dire sur le mode constant ou habituel de l’agir humain : « les parents aiment leurs enfants », « l’homme repugne au mensonge ». Les assertions suivantes, sans etre toujours vraies[4], le sont dans la majorite des cas. En effet, les certitudes morales concernent l’agir constant d’etres pourvus de liberte (donc d’une certaine maniere indetermines), tandis que les certitudes physiques concernent l’agir constant d’etres depourvus de liberte (donc determines). b)Du oint de vue de la matiere dont on l’obtient, la certitude peut etre : -Immediate ou mediate selon qu’elle est acquise par l’examen de l’objet lui-meme, ou par l’intermediaire d’une demonstration. Ainsi : Tout effet a une cause (certitude immediate) Un triangle dont les cotes sont 3, 4 et 5 est un triangle rectangle. (certitude mediate) -Intrinseque ou extrinseque selon qu’elle est fondee la vue de l’objet lui-meme ou sur l’autorite de celui qui a vu l’objet. Par exemple : La somme des angles d’un triangle est egale a 180 degres (certitude scientifique ou intrinseque)
Napoleon est mort a sainte Helene (certitude extrinseque, ou historique). Cette distinction est tres importante, car la plupart de nos certitudes sont d’ordre extrinseque. C’est le cas de toutes les affirmations d’ordre historique, mais aussi d’un certain nombre d’affirmations scientifiques : la plupart des gens croient que la terre tourne autour du soleil, non parce qu’ils ont refait l’experience du pendule de Foucault et tous les calculs necessaires, mais parce qu’ils font confiance a leurs professeurs et a la communaute scientifique.
De meme, si nous croyons que le nazisme et le communisme ont fait des millions de victimes, c’est parce que nous faisons confiance aux historiens et aux temoins de ces tragiques evenements. Nier la realite des camps de concentration ou du goulag implique, en effet, nier cette loi morale qui veut que la plupart des temoins disent la verite et que les historiens sont, pour la plupart, des gens soucieux d’une certaine objectivite.
Pourtant dans ce cas, la certitude que nous avons ne « porte pas sur le fait, mais sur son attestation (evidentia attestationis) ; elle ne nous montre pas le fait lui-meme, mais la connaissance qu’en a eue le temoin (evidentia in attestante). Des lors, l’assentiment devra etre determine par la volonte, car l’intelligence n’est mue que par l’evidence de l’objet ou par la volonte, et ici l’evidence de l’objet est absente »[5] Les systemes niant la certitude Il nous faut examiner ici ce que l’on peut appeler le rationalisme ou naturalisme et ses diverses formes qui pose comme principe fondamental l’autonomie absolue de la raison humaine.
Un discours de Jean Jaures definit assez bien ce tour d’esprit « Ce qu’il faut sauvegarder avant tout ; ce qui est le bien inestimable conquis a l’homme a travers tous les prejuges, toutes les souffrances, tous les combats, c’est cette idee qu’il n’y a pas de verite sacree, c’est-a-dire interdite a la pleine investigation de l’homme, c’est ce qu’il y a de plus grand dans le monde, c’est la liberte souveraine de l’esprit, c’est que toute verite qui ne vient pas de nous est n mensonge, c’est que si l’ideal meme de Dieu se faisait visible, si Dieu lui-meme se dressait devant les multitudes sous une forme palpable, le premier devoir de l’homme serait de refuser l’obeissance et de le considerer comme l’egal avec qui l’on discute, non comme le maitre a qui l’on obeit »[6] Trois systemes retiendront notre attention : le scepticisme, l’empirisme et l’idealisme. A)Le scepticisme Le scepticisme est la forme primitive du rationalisme.
On le rencontre dans l’antiquite sous une forme achevee chez le philosophe Phyrron et il traversera les siecles[7] en reprenant grosso modo les memes arguments. L’affirmation fondamentale du scepticisme est que l’homme est incapable de discerner le vrai et le faux, et qu’il doit, par consequent, suspendre son jugement et se garder de rien n’affirmer. Selon le scepticisme, il n’y a pas de verite, ou du moins, s’il en existe une, elle reste inconnaissable a l’homme qui doit se contenter de douter de tout.
C’est l’eternelle tentative de l’homme de dissoudre l’attitude dogmatique de l’esprit humain. B)L’idealisme L’idealisme est la forme moderne du rationalisme, et a notre sens, sa forme la plus aboutie et la plus seduisante. Il nait avec Descartes, qui, par son doute methodique, va enfermer l’homme dans sa propre subjectivite. Cependant, ce serait une grossiere erreur que d’imaginer que Descartes est idealiste, car, passe le doute initial, qui contient les germes de l’idealisme, son systeme et ses conclusions sont realistes. En fait, c’est Kant qui a formalise l’idealisme.
Le principe fondamental de l’idealisme est le suivant : l’espace et le temps sont des formes a priori de notre sensibilite. Cela veut dire que l’espace et le temps ne sont pas des proprietes reelles des choses, mais seulement des lois de notre esprit. De la, tout s’enchaine : nous ne connaissons pas les choses telles qu’elles sont, mais telles qu’elles apparaissent en vertu des lois de notre subjectivite. Notre connaissance, nos idees sont donc quelque chose de fabrique : nous avons organise les phenomenes suivant les lois de notre esprit et leur imposant les formes a priori de l’entendement.
Il ne faut pas se meprendre pourtant :Kant ne met pas a un seul moment en doute l’existence du monde exterieur :« par le nom d’idealiste, il ne faut pas entendre celui qui nie l’existence des objets exterieurs des sens, mais seulement celui qui n’admet pas qu’elle puisse etre connue par une perception immediate et qui en conclut qu’aucune experience ne peut jamais nous rendre entierement de la realite de ces objets » (Critique du quatrieme paralogisme). Ainsi, cette realite (mettons cette table sur laquelle j’ecris), ne nous est donnee que sous la forme de notre intuition sensible.
Il y a bien une table qui nous est donnee a connaitre, mais ce n’est pas cette table que nous connaissons. De cette table en soi, on ne peut connaitre que la maniere dont elle apparait, et cette maniere est propre a l’organisation des facultes sensorielles. Ainsi il y a bien des « choses en soi », parce qu’elles sont causes de nos impressions sensibles, mais ces « choses en soi », nous demeurent inconnaissables. Plus brievement, nous ne connaissons que nos idees et ces idees sont le produit d’une organisation des donnees sensibles (phenomenes) imposee par le filtre de nos categories subjectives.
Le sujet pensant est alors enferme a l’interieur de sa propre pensee et finalement, la seule realite qui existe vraiment ce sont nos idees. Les arguments de l’idealisme sont au fond les memes que celui du scepticisme et on voit par-la la parente qui unit les deux doctrines. Le seul argument vraiment original est celui du principe d’immanence. Une formule d’un idealiste francais, Edouard Le Roy, le resume tres bien : « un au-dela de la pensee est impensable ». Qu’est-ce a dire ?
L’idealisme part de cette intuition vraie que nous ne connaissons pas l’etre mais uniquement la representation de l’etre. Comment, du coup, etre certains de la valeur de cette representation, puisqu’il nous est impossible de la comparer avec une chose extra-mentale ? Pour prendre une image, supposons que quelqu’un soit enferme dans une piece avec des portraits et qu’il lui soit impossible de sortir de la piece. Jamais cette personne ne pourra savoir si les tableaux sont fideles aux modeles situes au-dela de la piece.
Eh bien, il en est de meme avec nos idees : nous ne connaissons que celles-ci et nous ne pouvons aller au-dela et savoir ce que sont les « choses en soi ». La faussete de ces systemes et la legitimite de la certitude Meme si nous sommes alles assez vite, nous pensons avoir resume honnetement ces differents systemes. Nous n’avons pas la pretention de rediger un traite de philosophie, mais, s’il nous a paru important et fondamental de presenter avec toute la force possible les objections de ces systemes, c’est parce que le monde dans lequel nous vivons en est fortement impregne.
Notre epoque est en effet tres fortement marquee par le relativisme et il est frequent d’entendre des reflexions comme : « a chacunsa verite » ou « toutes les opinions se valent ». Avant d’entamer la refutation dans le detail de ces opinions, notons tout d’abord qu’elles choquent le bon sens. Tout homme en effet vit de certitudes. A chaque instant, nous affirmons. « Nous ne pourrions faire aucun compte, s’il n’etait vrai que 2+2 = 4. Nous ne pourrions pas user d’un thermometre s’il n’etait pas vrai que la chaleur dilate une colonne de mercure.
Tous nos tuyaux craqueraient s’il n’etait pas vrai que le gel dilate l’eau. Nous ne pourrions garder aucun objet en verre ou en porcelaine se ne savions pas qu’il est vrai qu’il se casse en tombant par terre. Et comment vivrions-nous si quand le jour tombe nous ne savions pas qu’il est vrai que le jour reviendra le lendemain[8]. » De la meme facon, l’homme base sa vie entiere la verite. Enfant, il passe son temps a fatiguer ses parents en posant des questions comme : « pourquoi ? » , « qu’est-ce que c’est ? » ; adolescent, il passe des heures assis devant son bureau, pour apprendre des connaissances.
Et pourquoi se donne-t-il tant d’efforts ? Pour apprendre des connaissances vraies. Adulte, s’il se marie, que demande-t-il a son epouse, si ce n’est la certitude ou du moins la verite de l’amour ? Quand il est malade, pourquoi s’adresse-t-il a un medecin et non a un charlatan ? Nous pourrions multiplier les exemples, mais c’est inutile. Nous voyons bien que, meme si nous nions theoriquement la capacite de notre intelligence a atteindre le vrai, pratiquement nous agissons toujours en fonction d’un certain nombre de certitudes.
Nous pourrions nous arreter la, mais nous allons entreprendre la refutation detaillee des systemes que nous avons exposes. A)Examen du scepticisme Les arguments des sceptiques sont impressionnants, mais si l’on les examine de plus pres, on s’apercoit qu’il n’ont aucune portee decisive -Les contradictions entre les hommes ne prouvent pas qu’il n’y a pas de verite. Ils prouvent juste que la verite est difficile a atteindre ; qu’elle exige un labeur important et que l’erreur est possible. On ne peut pas lui donner plus de poids que cela.
De plus, les contradictions entre les opinions peuvent venir du fait que la realite est complexe ; des lors chacune des deux parties peut avoir partiellement raison. Par ailleurs, s’il existe des divergences d’opinions, il est tout aussi incontestable qu’un certain nombre de points est hors de discussion : les hommes sont en general d’accord sur les principes ; ils divergent quant a leur application seulement. Enfin dire qu’il n’y a pas de verite est poser une contradiction, car il y a au moins une verite : c’est qu’il n’y en a pas.
Cela suffit pour que tout l’argument perde toute sa force. -L’argument de l’erreur se retourne contre le sceptique : « d’une facon generale, d’abord, pour que l’argument soit valable, il faut que l’erreur soit un fait, c’est-a-dire qu’elle soit reelle et apercue. Mais dire qu’elle est reelle, c’est dire qu’il est vrai qu’on se trompe Par consequent, s’il est vrai que l’on se trompe souvent, il n’est pas possible qu’on l’on se trompe toujours. D’autre part, l’erreur ne peut etre connue que par rapport a la verite, elle n’apparait que sur un fond verite (…. si nous etions constamment dans l’erreur, nous n’aurions pas la notion d’erreur[10] ». Ce qui vient d’etre dit est particulierement vrai pour l’hypothese du reve coherent : le reve ne peut se comprendre que par rapport a l’etat de veille, par consequent si nous revions toujours, nous ne saurions pas que nous revons et nous n’aurions pas meme l’idee de reve : dans le reve, la conscience est captive du jeu des images et incapable d’une activite reflexe. L’erreur des sens n’ont guere plus de poids : nos sens ne nous trompent pas ; c’est le jugement qui se trompe en interpretant mal les donnees sensorielles. L’argument de la relativite de notre connaissance ne vaut pas car, avant d’etre relative au sujet, la connaissance est relative a l’objet. C’est la chose qui mesure notre connaissance, c’est elle qui en definitive mesure notre connaissance. On le voit tres bien dans l’experimentation scientifique qui est ce va-et-vient entre la theorie et l’objet qui mesure la validite de cette theorie. -L’argument du diallele est specieux : il n’a que les apparences de la rigueur. Le critere ultime de la verite en effet n’est pas la demonstration, mais l’evidence. C’est elle qui en definitive vaut par elle-meme.
Toute demonstration s’appuie sur des principes, mais parmi ceux-ci un certain nombre sont indemontrables et n’ont pas besoin d’etre demontres : ils sont par eux-memes evidents. Tel est le cas des principes premiers (par exemple : ce qui est, est) qui sont donnes a l’esprit dans une intuition qui ne laisse place ni au doute, ni a l’hesitation. Il faut aller encore plus loin et dire que le scepticisme est une attitude impossible a tenir. Pascal ecrit ainsi « Je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait ». En effet, il est impossible de douter de tout.
Celui qui doute de tout, tient au moins pour certaine la these suivante : il faut douter de tout. Mais alors il n’est plus sceptique ! Veut-il echapper a la contradiction ? Il devra pretendre : il est probable qu’il faille douter de tout ! Mais alors, pour affirmer cela, il faudra qu’il tienne au moins comme certain un critere de probabilite, qu’il distingue la probabilite de la non probabilite et le voila de nouveau pris a son propre piege. Dirait-il simplement « je ne sais rien », il a cesse d’etre sceptique, car il sait deja quelque chose (qu’il ne sait rien) ; bien plus, en disant simplement « Que sais-je ? , il emploie une expression qui a un sens defini et il sait bien qu’en disant cela, il se distingue du « je ne sais rien ». De fait, Aristote disait deja « pourquoi notre philosophe se met-il en route vers Megare, au lieu de rester chez lui et de penser seulement qu’il y va ? Pourquoi, s’il rencontre un puits ou un precipice, ne s’y dirige-t-il pas, mais pourquoi le voyons-nous au contraire l’eviter comme s’il pensait qu’il n’est pas bon et mauvais d’y tomber ? Il est clair qu’il estime que telle chose est meilleure et telle autre est pire » (Meta. IV, 4, 1008b 10-30).
Que faut-il penser du doute methodique de Descartes[11] ? Echappe-t-il aux contradictions des sceptiques ? Notons tout d’abord qu’une telle attitude n’est pas intellectuellement honnete : c’est une position simulee, une feinte et masque dont l’esprit s’affuble pour se jouer a soi-meme une terrible comedie : « Un homme qui, a vingt ou quarante ans, s’avise tout a coup de se comporter comme l’enfant qui vient de naitre, qui ne connait rien, qui ouvre pour la premiere fois les yeux sur la realite, pretendant qu’il ne sait pas meme s’il est capable de l’atteindre : cet homme-la se joue lui-meme une comedie.
Il n’est pas vraiment dans cet etat ; personne ne saurait s’y mettre. S’arreter au milieu du chemin de la vie pour annuler arbitrairement tout son avoir intellectuel, pour frapper d’interdit toutes ses connaissances, jusqu’a ce que chacune soit controlee et verifiee, c’est, on l’a dit spirituellement, comme si l’on ‘fermait les yeux pour les rouvrir ensuite, afin de s’assurer qu’ils sont aptes aux couleurs’[12] » Par ailleurs, une telle position n’echappe pas au dilemme suivant : ou le doute le doute est universel et dans ce cas, il ne peut pas etre reel, ou bien il doit etre reel, mais ne peut etre universel.
Si l’on choisit le doute reel, on excepte les evidences immediates et donc le doute n’est pas universel. Aucun effort, aucun artifice ne peut mettre reellement en question les evidences immediates. Si on le faisait, on se condamnerait a echouer dans la tentative, car il serait impossible de fonder quelque certitude que se soit, puisque qu’on ruine dans son fondement le critere qui doit servir a etablir indubitablement la verite. En choisissant le doute universel, on prononce par avance la solution probleme ou plutot on se condamne a n’en trouver aucune.
Car quoi, avant comme apres le doute, c’est toujours la meme faculte qui connait. Si avant le doute cette faculte peut errer gravement, qu’est-ce qui nous garantit qu’elle ne peut pas se tromper apres ? Et si l’evidence ne vaut rien avant le doute, par quel miracle, par quel tour de passe-passe vaudrait-elle apres le doute et meme pendant le doute ? De fait, nous voyons la qu’il s’agit d’un mauvais depart. Il peut etre legitime de verifier chacune de nos affirmations, sans pour autant les rejeter toutes d’emblee. Ce sont deux demarches differentes : la critique peut etre universelle sans pour autant que le doute le soit.
Que l’on essaye de douter de tout, on verra bien qu’il y a un certain nombre d’evidences immediates, reflechies ou spontanees qui ne peuvent pas etre mises en doute. De meme, « on ne peut mettre en doute, de facon reflechie, la valeur de toute certitude, sans se referer, de facon expresse, a un ideal absolu et incontestable de certitude, a une notion, deja acquise et tenue pour assuree, de la certitude, a un principe rigoureux qui commandera toute discussion subsequente : savoir, que la certitude valable, scientifique –celle qui a pour correlatif la verite objective- porte tels caracteres, requiert telles conditions. …) Voila une certitude reflechie et meme philosophique, bien reconnaissable, que l’on est oblige de soustraire au doute universel. Or elle implique tous les elements de la philosophie critique : notions de la verite, de la realite, de l’objectivite etc. ; la philosophie critique a deja commence avant le commencement qu’on lui assigne »[13] . Par consequent, la methode cartesienne n’est pas la bonne. Si les conclusions de Descartes sont realistes[14], sa methode ne l’est pas : elle aboutit droit a l’idealisme, comme l’histoire de la philosophie le montre.
D’un sujet purement pensant, on n’arrivera jamais a tirer un au-dela de la pensee ou des choses existantes, on ne tirera, en bonne logique que des objets penses. C’est le fameux probleme du pont : comment passer du sujet pensant au reel extra-mental ? Ce n’est certainement pas on l’a vu, par le doute methodique. En effet, pour prendre une metaphore classique, a un crochet peint sur un mur, on ne peut peindre qu’une chaine peinte sur un mur[15] : on ne peut pas passer des idees au reel extra-mental.
Rien ne nous oblige a embrasser cette methode qui est absurde dans ses fondements et, s’il faut donner un point de depart a la philosophie de la connaissance, ce serait plutot le suivant : ce n’est pas parce que je pense que je suis, mais parce ce que je suis que je pense. A partir du moment ou je pense, j’atteins le reel : je connais quelque chose, c’est-a-dire un etre qui se revele. B)Examen de l’idealisme Nous avons deja eu l’occasion de toucher un mot de l’idealisme en parlant du doute methodique.
Nous avons vu en effet que celui-ci est une entreprise contradictoire et qu’il conduit a l’idealisme. Ceci est tres important, car nous avons deja refute un des fondements de l’idealisme. Pour prendre une comparaison, l’idealisme est comme une chaine dont tous les maillons sont indissociables. Mais cette chaine n’est pas invulnerable, car elle est suspendue a un crochet tres fragile et ce crochet est precisement le probleme du pont. Or nous l’avons vu, c’est un faux probleme. Pourtant, ce n’est pas la seule contradiction de l’idealisme. ° L’idealisme pretend que nous ne pouvons pas connaitre les essences et les « choses en soi » (les noumenes). Or il y a au moins une chose en soi que l’idealisme pretend connaitre tres bien : c’est l’essence de l’intellect humain. « Toute epistemologie idealiste, ecrit Jacques Maritain, est une doctrine se refutant soi-meme, un heautontimorousmenos parmi les monstres philosophiques. Toute doctrine de la connaissance doit en effet pouvoir se retourner soi-meme, je veux dire se verifier de la connaissance comme de la connaissance des choses.
Or toute l’epistemologie idealiste enseigne, en tant qu’idealiste, que la connaissance ne nous livre pas les choses comme elles sont, et en tant qu’epistemologie elle se donne necessairement pour une connaissance qui nous livre la connaissance comme elle est. On aura beau raffiner, on ne sortira pas de cette aporie[20] ». 2° Kant affirme l’existence du monde exterieur (celui des « choses en soi ») contre l’idealisme materiel grace au principe de causalite. Or selon Kant ce meme principe de causalite est une categorie de notre entendement.
On voit mal comment un meme principe peut etre a la fois subjectif et transcendantal. 3° L’idealisme refuse la definition de la verite classique (adequation de l’intellect a la chose). Selon lui la verite ne consiste pas a connaitre les choses telles qu’elles sont, mais a mettre la pensee en accord avec elle-meme. Or ses theses sur l’etre, la connaissance, l’esprit et la verite pretendent etre conformes a la realite ; quand l’idealisme s’affirme, il se regle bien sur qu’il croit etre. Refusant en theorie d’etre realiste, il restitue le realisme en fait. Examinons enfin la preuve de l’idealisme.
Celle-ci consiste a dire que, parce que nous ne connaissons que nos idees, il suit de la que nous ne pouvons pas connaitre les choses en soi. Mais c’est la un paralogisme que l’on peut exprimer de la maniere suivante : -L’objet connu, qui est le terme de la connaissance, est dans le sujet connaissant ; s’il n’y est pas, il n’est pas connu. En effet, le terme d’une operation immanente (et la connaissance est bien une operation immanente) reste par definition dans l’agent. -Or, ce qui reste dans le sujet connaissant n’est pas transubjectif. -Donc, l’objet connu n’est pas transubjectif : un au-dela de la pensee est impensable.
La majeure du syllogisme enonce une verite incontestable : la connaissance est un acte immanent. C’est donc sur la mineure que se concentre la difficulte. Saint Thomas d’Aquin, cet esprit genial, s’etait deja pose cette objection qui essaye de prouver la mineure sous la forme suivante : « Rien n’est connu que s’il est dans le sujet connaissant. Or, les realites extra-mentales ne peuvent etre dans le sujet connaissant. Donc elles ne peuvent etre connues ; nous ne connaissons que nos propres idees » (I, q. 85, a. 2). C’est la qu’il faut operer une distinction fondamentale entre l’ordre physique et l’ordre intentionnel.
Il est evident en effet que l’objet transubjectif ne peut pas etre physiquement present dans le connaissant ; pour autant, il ne suit pas de la qu’il ne peut pas etre present selon un autre ordre que l’on peut appeler intentionnel. L’idealisme commet une erreur grossiere, parce qu’il « considere l’idee comme un objet ferme, et non comme une relation ouverte » [21]. Ce qui nous interesse ce n’est pas la pensee nue, videe de tout contenu, mais la connaissance. Or, il est evident que la connaissance est saisie d’un objet ; elle atteint d’emblee autre chose qu’elle-meme.
L’idee n’est pas ce qui est connu premierement et directement, mais ce par quoi un objet est connu ; elle est moyen de connaissance et non objet de connaissance. Par consequent, bien que le terme de la connaissance reste dans le sujet connaissant, celui-la est transubjectif. Et, s’il fallait employer une image pour designer le concept, ce ne serait pas un portrait representant une similitude de l’objet, mais une fenetre ouverte sur le monde. Par l’idee et dans l’idee nous atteignons immediatement un autre- chose, un au-dela : elle est ce qui permet, selon une belle formule de Pere GARDEIL, a l’au-dela d’avoir « son chez soi chez nous ».
Il est donc possible de refuter par l’absurde l’idealisme en montrant les consequences qu’implique l’identification de l’idee a ce qui est premierement connu. En effet dans un premier temps par l’idee nous saisissons un objet (un «quelque chose » ; la conscience est «extatique »)et ce n’est que dans un second temps par la reflexion (par un retour sur soi-meme) que nous prenons conscience de ce que nous pensons : l’intelligence ne peut reflechir sur elle-meme lorsqu’elle n’est encore l’intelligence de rien. Avant de se connaitre elle et ses idees, il lui faut penser a quelque chose.
Or si nous saisissions d’abord l’idee, ce mouvement reflexif serait impossible. C’est ce que montre tres bien le pere GARRIGOU LAGRANGE : « Si l’idee est ce qui est connu et non pas ce par quoi on connait, alors l’idee ou representation n’est pas essentiellement relative a un represente. Mais alors elle n’est l’idee de rien. Ce qui revient a dire qu’elle est en meme temps et sous le meme rapport idee et non idee[22] ». De meme, comme l’ecrit Maritain, « il s’ensuivrait que ‘tout ce qui apparait a l’esprit serait vrai, et qu’ainsi toutes les contradictoires seraient vraies ensemble’ (Saint Thomas I, q. 5, a 2 ). Car si la faculte de connaitre ne connait que ses propres modifications c’est d’elles seules qu’elle juge ; or ces representations sont toujours comme elles lui apparaissent, c’est toujours selon qu’elle est modifiee ou affectee, que les choses lui apparaissent. Elle jugera toujours de l’objet dont elle juge, – c’est-a-dire de ses modifications propres ou representations, – selon ce qu’est cet objet : et ainsi tous ses jugements seront vrais. Si je juge que Rousseau est un fou (ce qui veut dire : il y a en moi telle modification mentale exprimee par ces mots), ce jugement sera vrai.
Et si vous jugez que Rousseau est un saint (ce qui veut dire il y a en vous telle modification mentale exprimee par ces mots), ce jugement sera vrai. Ainsi toute opinion sera egalement vraie, et toute assertion quelle qu’elle soit, ce qui est absurde. Si l’intelligence n’atteint qu’elle-meme et ses representations, il faut rejeter le principe d’identite. [23] ». Conclusion : Ce parcours nous aura montre trois verites. 1° Contre le scepticisme, nous avons etabli que l’esprit humain est capable d’arriver a un certain nombre de certitudes et qu’il est absurde de douter de tout. ° Contre l’empirisme,que l’on ne peut pas s’en sentir a une vision purement phenomeniste de l’intelligence humaine, et que nos certitudes portent bien sur des concepts intelligibles et se reportant a l’etre 3° Contre l’idealisme enfin, que ces concepts ont une realite objective et nous livrent bien l’etre tel qu’il est reellement et non tel qu’il apparait. Notre connaissance est donc bien objective et il est legitime d’affirmer que nous pouvons parvenir a une connaissance certaine. La verite se definira donc par la conformite de notre jugement avec les choses telles qu’elles existent independamment de notre esprit.
Elle pourra etre acquise de deux facons : -soit par l’evidence qui est le motif supreme de la certitude : tout ce qui est evident sera vrai. -soit par le raisonnement et la demonstration qui nous fera passer de principes certains a une conclusion certaine. Cela ne veut evidemment pas dire que l’erreur soit impossible, car nous pouvons toujours nous tromper en adoptant des principes faux ou en raisonnant de maniere erronee. Mais nous avons desormais la certitude que nous pouvons porter des jugements vrais et cela nous suffit pour poursuivre notre entreprise.