Travaux diriges de droit penal Commentaire d’arret Cass. Crim. 1er fevrier 1990 « Nullum crimen, nulla paena sine lege ». Cet adage semble etre une illustration ideale de la decision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er fevrier 1990. Traitant du respect du principe de la legalite en ce qui concerne la legislation relative au service des pompes funebres, la chambre criminelle a rendu un arret de cassation.
En l’espece, Jean-Claude X…, qui exploitait une entreprise de pompes funebres, avait organise des obseques au debut de l’annee 1987, sans etre attributaire de la concession definie dans le Code des communes. La Societe des pompes funebres regionales, beneficiaire de la concession, s’est alors constituee partie civile et a poursuivi Jean-Claude X…, sur le fondement de l’art. R. 362-4 dudit Code, afin d’obtenir le montant des prestations facturees.
Le tribunal correctionnel a accueilli la demande de la societe concessionnaire, apres quoi Jean-Claude X… a interjete appel devant la Cour d’appel d’Amiens. La chambre correctionnelle de celle-ci, par un arret du 11 janvier 1989, a confirme le jugement, en relevant que les faits n’etaient pas contestes. En consequence, elle a condamne Jean-Claude X… au paiement des prestations. Celui-ci a donc forme
En raison de ce pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu a se prononcer sur la question suivante : un article reglementaire prevoyant des peines d’amendes sans pour autant definir d’incriminations peut-il servir de fondement a une condamnation penale ? Affirmant que « toute infraction doit etre definie en des termes clairs et precis pour exclure l’arbitraire et permettre au prevenu de connaitre exactement la nature et la cause de l’accusation portee contre lui », la Cour de cassation a casse l’arret rendu par la Cour d’appel d’Amiens.
Aux visas de l’article 8 de la DDHC, des articles 34 et 37 de la Constitution, de l’article 4 du (de l’ancien) Code penal et des articles 6 et 7 de la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertes fondamentales, la Cour a constate l’illegalite de l’article reglementaire en ce qu’il meconnaissait le principe de legalite defini par ce visa. Par suite, elle a refuse la possibilite de se servir de cet article pour fonder la condamnation penale de Jean-Claude X… La chambre criminelle de la Cour de cassation raisonne ici en deux temps.
Tout d’abord, elle exige que les normes, pretendant servir de fondement a une condamnation penale, respectent le principe de legalite (I). Constatant l’illegalite de la norme en question, elle va alors s’opposer a une condamnation sur son fondement (II). I. Un respect necessaire du principe de legalite La chambre criminelle de la Cour de cassation, apres avoir affirme dans son arret du 1er fevrier 1990, le principe selon lequel les textes repressifs doivent respecter le principe de legalite (A), a montre que ce principe n’avait pas ete respecte par l’autorite normative (B).
A. Un principe constitutionnel et conventionnel devant etre respecte Cet arret de la chambre criminelle de la Cour de cassation met en application un principe bien connu en matiere penale qui n’est autre que celui de la legalite, principe encore connu sous le titre du « principe de la legalite des delits et des peines ». Ce principe n’etant pas nouveau, ce n’est evidemment pas la premiere fois que la Cour en fait l’application. Montesquieu deja, dans son ouvrage « De l’esprit des lois » accordait une importance majeure a ce principe.
Il a ensuite ete complete par Beccaria, qui affirmait que « Seules les lois peuvent fixer les peines qui correspondent aux delits, ce pouvoir ne pouvant etre detenu que par le legislateur qui reunit toute la societe reunie par un contrat social ». Ce principe est ne de l’exigence de conciliation entre le principe de securite et celui de liberte individuelle. Bien qu’ancien, il a progressivement evolue et necessite un respect de par sa valeur legislative, constitutionnelle et conventionnelle. Tout d’abord, le principe de la legalite des delits t des peines apparait a l’article 4 de l’Ancien Code Penal que la Cour mentionne dans son visa. Ce principe, au terme duquel « Nul ne peut etre puni pour un crime ou pour un delit dont les elements ne sont pas definis par la loi, ou pour une contravention dont les elements ne sont pas definis par le reglement. Nul ne peut etre puni d’une peine qui n’est pas prevue par la loi si l’infraction est un crime ou un delit, ou par le reglement si l’infraction est une contravention », resulte de l’art. 111-3 du nouveau Code penal. En integrant cet article au visa, elle fait donc du respect de ce principe une exigence.
Ensuite, la Declaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) dans son article 8 consacre ce principe en enoncant que « La loi ne peut etablir que des peines strictement et evidemment necessaires et que nul ne peut etre puni qu’en vertu d’une loi etablie et promulguee anterieurement au delit et legalement appliquee ». Dans notre espece, la Cour exige que ce principe soit respecte, en integrant cet article au c’ ur de son visa. En effet, puisqu’il fait partie du bloc de constitutionnalite, le respect du principe de legalite est donc une obligation constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel, dans une decision du 19 janvier 1981 lui a d’ailleurs consacre cette valeur constitutionnelle, en affirmant precisement que « Nul ne peut etre puni qu’en vertu d’une loi etablie et promulguee anterieurement au delit et legalement appliquee ». Enfin, ce principe de la legalite necessite d’etre respecte, eu egard a sa valeur conventionnelle. En effet, la Cour, dans son visa encore une fois, fait reference a la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertes fondamentales, convention qui consacre a son tour ce principe.
Ainsi, par ce visa compose de sources multiples consacrant le principe de la legalite, la Cour se positionne logiquement en faveur du respect de celui-ci. Le but est simple, il faut a tout prix eviter que le « pouvoir de punir » soit exerce de maniere arbitraire. Reste a savoir si le texte repressif dont il est question, et servant de fondement a la condamnation penale de Jean-Louis X…, est en accord avec ce principe de legalite. B. Le principe de legalite non respecte par l’autorite normative
Si, a l’epoque de Beccaria, seul le legislateur detenait le pouvoir de definir les delits et de fixer les peines leur correspondant, les choses ont depuis evolue. En effet, la multitude des sources normatives a conduit a reconnaitre a l’autorite reglementaire le pouvoir de fixer les incriminations et les sanctions correspondantes en matiere de contraventions. C’est d’ailleurs dans cette situation que se situe le cas d’espece etudie. En effet, le fondement de la poursuite contre Jean-Louis X… n’etait autre que l’article R. 62-4 du Code des communes, article resultant du pouvoir reglementaire autonome consacre par l’article 37 de la Constitution. Selon cet article « toute infraction aux dispositions des articles L. 362-1 [et suivants] est punie des peines d’amende prevues pour les contraventions de la 5e classe ». L’article legislatif en question, quant a lui, dispose « Le service exterieur des pompes funebres [… ] appartient aux communes a titre de service public ». Faisant l’etude de ces dispositions, la Cour de cassation en a conclu que cet article ne definissait aucune incrimination.
Or, le principe de la legalite exige que l’incrimination soit clairement definie, comme l’a reaffirme la Cour dans son attendu de principe qui declare que « toute infraction doit etre definie en des termes clairs et precis pour exclure l’arbitraire et permettre au prevenu de connaitre exactement la nature et la cause de l’accusation portee contre lui ». Des lors que cette definition claire et precise des incriminations n’existe pas, l’exercice arbitraire du pouvoir repressif n’est plus exclu, ce qui devient dangereux pour les justiciables qui ne disposent alors d’aucune garantie de securite.
L’autorite normative n’a donc pas respecte le principe affirme par la Cour, puisqu’il semble que la norme servant de fondement a la condamnation de Jean-Louis X…, en l’espece l’art. R. 362-4 du Code des communes, contrevienne a ce principe de legalite. Il serait alors logique qu’elle soit consideree comme illegale (et, par extension, inconstitutionnelle). Ce principe de legalite s’imposant aux autorites normatives, il s’impose par ailleurs au juge, dont le role est d’appliquer ces normes repressives. Dans notre cas, le juge penal va se prononcer sur l’illegalite de la norme et sur ce qu’il va advenir de la condamnation de Jean-Louis X…
II. L’impossibilite d’une condamnation penale sur le fondement d’un texte illegal En prononcant l’illegalite de la norme repressive, eu egard a sa meconnaissance du principe de legalite, le juge penal s’est borne a exercer son pouvoir de controle de la norme servant de fondement a la condamnation (A). Etant subordonne au principe de legalite, il s’est vu contraint d’ecarter la norme illegale, celle-ci ne pouvant donc fonder une condamnation (B). A. Le pouvoir du juge penal de controler la norme servant de fondement a la condamnation
Si le juge penal a conclu son arret en constatant l’illegalite de l’art. 362-4 du Code des communes, c’est qu’il a exerce un controle de legalite sur cette norme. En effet, il est de son devoir de veiller au respect de la legalite des normes repressives, ce devoir s’expliquant par la subordination du juge au respect du principe de legalite. Puisque « toute infraction doit etre definie en des termes clairs et precis », il faut que le juge verifie la clarte et la precision de ces infractions. En l’espece, la Cour de cassation a constate que l’art. L. 362-1 du
Code des communes prevoit « seulement que le service exterieur des pompes funebres appartient, a titre de service public, aux communes qui peuvent l’assurer soit directement, soit par entreprise ». Elle en a deduit que, l’infraction commise par M. X… n’etant definie de maniere claire et precise, « l’article R. 362-4 du Code des communes, servant de fondement de la poursuite […] ne definit aucune incrimination ». Il est donc du devoir du juge repressif de controler la legalite de la norme qui sert de fondement a une condamnation penale. Ce cas d’espece exprime bien ce devoir qui lui incombe.
En effet, le demandeur au pourvoi aurait pu, devant la juridiction, soulever l’exception d’illegalite (et, en outre, l’exception d’inconstitutionnalite) de la norme reglementaire servant de fondement a sa condamnation, puis que celle-ci est vraisemblablement contraire au principe de la legalite. Cependant, lJean-Louis X…, dans son pourvoi, n’a pas souleve ce moyen. Or il est du devoir du juge penal de ne pas condamner une personne a tort, notamment en ce que le fondement de la condamnation serait illegal. N’ayant pas souleve ce moyen, le juge s’en est charge et l’a souleve d’office.
De plus, le juge repressif beneficie de ce controle de legalite par voie d’exception, en ce qui concerne notamment les actes reglementaires, « lorsque de cet examen depend la solution du proces penal qui leur est soumis » (principe consacre a l’art. 111-5 NCP). En l’espece, la solution du proces dependait evidemment de l’art. 362-4 du Code des communes. Si cet article avait clairement defini une incrimination, en respect avec le principe de la legalite, Jean-Louis X… aurait sans doute ete condamne a la peine prevue relativement a cette incrimination.
Tel ne fut pas le cas. Ainsi, le juge a controle la qualite de la norme penale et, celle-ci ne respectant pas le principe de legalite, il a considere qu’elle etait entachee d’illegalite. Cependant, malgre cette illegalite, il n’appartient pas au juge d’annuler cette norme ou d’en assurer la suppression. Le seul moyen dont il dispose est d’ecarter cette norme pour la solution du proces. Bien plus qu’un moyen, c’est un devoir. B. Le devoir du juge penal d’ecarter une norme illegale servant de fondement a la condamnation
Si « toute infraction doit etre definie en des termes clairs et precis », le juge doit en effet veiller au respect de ce principe lorsqu’il doit rendre sa decision. Plus loin encore, si un texte servant de fondement a une condamnation penale contrevient a ce principe, le juge doit ecarter l’application de cette norme. En effet, cela traduit la encore sa subordination au principe de legalite. Ce principe enonce que le juge doit faire une interpretation stricte de la loi. Si, en droit civil, les textes sont vagues et laissent un pouvoir d’appreciation important aux juges, le droit penal exige au ontraire que les normes definies soient precises, strictes et rigoureuses, afin que le juge ne puisse en faire des differentes interpretations suivant les cas d’espece. Ainsi, le justiciable se voit protege de l’exercice arbitraire du pouvoir repressif. En l’espece, la Cour conclu son arret en annoncant qu’ « au regard du principe [de legalite, l’art. R. 362-4] ne saurait servir de base a une condamnation penale ». En effet, ce principe suppose que le juge ne peut en aucun cas sanctionner un comportement qui ne serait pas precisement defini dans un texte repressif.
Le juge, au titre de son obligation de qualification des faits, a donc l’obligation de rechercher sur quel texte se fonde l’incrimination. Ainsi, le juge penal, avant d’aboutir a une quelconque sanction, doit qualifier les faits (via les textes qui fondent l’incrimination), se conformer au texte (en le respectant a la lettre), et en faire une application stricte (sans creer de nouveaux comportements sanctionnables, ni de nouvelles peines qui ne seraient definies clairement et precisement).
Ainsi, en constatant que le fondement de la condamnation de Jean-Louis X… est entache d’illegalite, le juge, sans avoir a annuler les dispositions du texte en question, va tout simplement ecarter celui-ci. Le juge repressif fait ici une application rigoureuse du principe de legalite, en affirmant que « les faits poursuivis ne peuvent etre l’objet d’aucune incrimination ».