0. Introduction Meme si elles ont pris un tournant particulier avec les modernes et les contemporains, les preoccupations philosophiques sur le langage ne commencent pourtant pas avec eux. D’ailleurs, il nous semble qu’il n’y a pas de langage qui ne soit porteur de philosophie et inversement, pas non plus de philosophie qui ne soit vehiculee dans un quelconque langage. Mais la n’est pas le probleme. Autant cela est vrai, autant il faudra aussi reconnaitre que l’interet accorde au langage par les philosophes s’est fait sentir depuis l’antiquite.
C’est ainsi que ce travail se veut une investigation sur la conception platonicienne de la nature du langage (articule) telle qu’exposee dans le Cratyle. Il s’agit de savoir si la langue est un systeme des signes arbitraires ou naturels (demontrant une relation intrinseque avec ce qu’ils representent). Autrement dit, les mots entretienne-ils des rapports naturels ou arbitraires avec des choses qu’ils designent ? Pour le mener a bon port, ce travail aura une ossature bipartite.
Dans un premier temps, nous exposerons le point de vue platonicien sur la problematique sous examen ; en deuxieme lieu, nous elaborerons un petit etat de la question qui sera suivie d’une conclusion appreciative. 1. Nature de la langue selon Platon
Trois interlocuteurs sont mis en scene ad hoc : Hermogene, Cratyle et Socrate. Dans leur conversation, deux attitudes se dessinent : d’une part celle de Cratyle qui soutient le caractere naturel de la langue, et d’autre part celle d’Hermogene pour qui la langue n’est rien d’autre que le fruit d’une convention et donc, elle est arbitraire. Et Socrate de se pointer comme trancheur du debat a travers une argumentation aussi bien logique que pertinente.
En effet, dans la pensee d’Hermogene qui affirme que la propriete du nom ne reside nulle part « ailleurs que dans la convention et le consentement des hommes, que le vrai nom d’un objet est celui qu’on lui impose, que si a ce nom on en substitue un autre, ce dernier n’est pas moindre que n’etait le precedent » , Socrate y lit en filigrane la these protagorassienne de l’homme – mesure qui donne un sens a toute chose. La verite du monde appartient des lors au monde social humain. Il y a ainsi un subjectivisme qui s’installe dans l’acte de parler. Contre Hermogene, Socrate tablit que les mots sont des instruments qui servent a nommer la realite. Mais plus que des instruments, ils entretiennent un lien naturel avec elle : les choses ont une existence, une essence qui ne depend pas des hommes et donc les actes qui s’y rapportent ne dependent pas non plus d’eux. Or parler est un acte comme couper, percer, demeler le tissu, bruler qui exigent une maniere de faire leur liee. De meme qu’on ne coupe pas avec n’importe quoi, qu’on ne brule avec pas n’importe quoi, qu’on ne perce pas avec n’importe quoi, qu’on ne demele pas avec n’importe quoi, de meme on ne parle pas comme on veut.
Car, comme tous ces actes, le parler en est aussi un. Et nommer est une partie de cet acte qui se rapporte aux choses. D’ou, « on ne peut parler veritablement, affirme Socrate, qu’autant que l’on dit les choses comme la nature veut qu’on les dise et q’elles soient dites, et avec ce qui convient pour cela, tandis qu’autrement on se trompe et on ne fait rien de bon. » Ainsi, Socrate soutient qu’il n’appartient pas a tout homme d’imposer les noms aux choses, mais a un veritable artisan de noms.
Ce faiseur de noms, c’est le legislateur qui compose les noms correspondant aux choses et les etablit a partir des syllabes quel que soit le milieu ou il se trouve. Il faut signaler que c’est de ce point de vue que Socrate explique la multiplicite des noms pour designer les memes choses selon qu’on se trouve dans un milieu ou dans un autre. L’important selon lui reside dans la capacite qu’ont les legislateurs de pouvoir nommer les choses en vertu de la correspondance qu’elles ont avec les noms. C’est dire que pour Socrate, la langue entretient un lien naturel avec les choses.
Pour lui, les mots sont une image des choses. Les noms ne revelent pas les choses in extensio mais les imitent. En ce sens, les mots sont plus que des instruments qui servent a nommer la realite. Ils sont des images qui renvoient a la realite . En effet, pour Socrate, une image n’imite jamais parfaitement une chose (sinon ce n’est plus une image, mais une copie qui devient independante de son original). Comme une icone, le nom doit conserver son statut d’image. Le nom ne doit pas etre exactement la chose mais simplement designer les caracteristiques d’une chose ou la chose en soi.
Bref, il sied de retenir que pour Socrate, il y a des noms naturels aux choses. Et ce n’est pas tout homme qui doit nommer. C’est le legislateur seul qui sait en realiser l’idee dans les lettres et les syllabes qui est habilite a le faire. Pour trouver la propriete naturelle des noms, Socrate se refere a Homere et aux autres poetes. Homere distingue les noms dont se servent les hommes de ce dont se servent les dieux. Entendant par la que ceux-ci ne peuvent nommer que de maniere parfaite parce qu’ils sont plus sages que les hommes .
Aussi recourt-il en plus a l’etymologie pour retrouver le lien qui unit les choses aux mots. 2. Etat de la question Dans ce point, nous voudrions eplucher l’evolution du debat portant sur la nature du langage (articule) tel qu’introduit par Platon. Lequel debat a genere deux courants d’idees antipodiques : naturalistes et conventionnalistes. Sans pretention aucune a l’exhaustivite, nous focaliserons notre attention sur les analyses combien cardinales faites par Ferdinand de Saussure. En effet, apres Platon, Aristote reprendra le point de vue conventionnel de la langue.
Selon ce penseur grec, le signe fonctionne par convention entre les hommes (thesei) non par nature (phusei). Mais il appartenait a un linguiste contemporain, Ferdinand de Saussure de preciser, d’approfondir cette idee ancienne et d’en tirer toutes les consequences. Dans le Cours de linguistique generale, publiee en 1916, trois ans apres la mort de l’auteur, Saussure enseigne expressement que la nature du signe est arbitraire. Entre le signe linguistique (que nous appellerons signifiant, sons emis) et le concept qu’il represente (ce que nous appellerons le signifie, pensee), il n’y a pas de relation intrinseque.
Il n’y a pas de relation interne entre tel signifie : s? ur par exemple et la chaine phonique qui le represente(S+O+R). L’idee de s? ur n’est liee par aucun rapport interieur avec la suite de sons qui lui sert de signifiant. Saussure emploie l’expression « signe » de preference a « symbole » pour designer les elements du langage et bien souligner leur caractere arbitraire. Sans doute le sens de ce terme est-il un peu flottant. On appelle d’ordinaire fonction symbolique l’aptitude de l’intelligence a creer des signes.
L’etymologie meme du mot de symbole evoque bien la fonction de communication propre au langage. Cependant, en general, les termes « signe » et « symbole » se distinguent : si d’une certaine facon tout symbole est un signe c’esr-a-dire une chose qui tient lieu d’une autre, un « signifiant » qui renvoie a un « signifie », il faut preciser que le rapport du symbole a ce qu’il symbolise, ce n’est pas d’ordinaire purement extrinseque comme le rapport du signe au signifie. Le sylmbole ressemble a ce qu’il symbolise, il ne se contente de representer d’une facon toute conventionnelle et arbitraire a realite symbolisee mais il l’incarne, elle vit en lui. C’est ainsi que la balance est proprement le symbole de la justice dont elle evoque l’ideal de precision et d’impartialite mathematique. Le symbole n’est pas arbitraire, on ne peut le remplacer par n’importe quoi, tandis qu’on peut sans inconvenient substituer le mot « sister » au mot « s? ur ». Ainsi, pour Saussure, le langage est plutot qu’un fait naturel une institution. Le fait universel de la parole (pratiquee par tous les peuples) indique sans doute que la fonction symbolique est naturelle a l’homme.
Mais la pluralite des langues manifeste le caractere institutionnel de chacun des codes linguistiques. On peu aller plus loin et faire observer que la fonction symbolique n’etait pas de droit assujettie a la parole. Les hommes auraient pu s’exprimer par gestes et c’est pour des raisons pratiques que les paroles ont ete preferees aux gestes. Darwin estimait que c’est parce que le langage par gestes d’une part mobilise tout le corps, d’autre part est impraticable dans l’obscurite que les peuplades primitives l’ont tres vite elimine.
Helene Keller, sourde, muette, aveugle a pu s’initier au langage en constituant les donnees exclusivement tactiles. On lui mettait la main sous le robinet en dessinant sur l’autre main avec une aiguille les lettres qui composent le mot « water ». Le jour ou elle a compris qu’il y avait un rapport de signifie au signe entre les deux impressions, celle de l’eau et celle de l‘aiguille qu la piquait selon une certaine forme, elle possedait le secret du langage. L’usage de la parole est lui-meme institutionnel.
Le sourd congenital demeure muet s’il n’est pas eduque (n’entendant pas les sons, il n’a pas spontanement tendance a les produire). Notons cependant que le qualificatif d’arbitraire dont se sert Saussure pour caracteriser les signes linguistiques est de l’aveu meme du grand linguiste, equivoque. Il voudrait peut-etre mieux dire que le signe est immotive. En effet un signe arbitraire est un signe qu’on choisit librement. Le mathematicien peut inventer des nouveaux signes pour traduire des fonctions qu’il a decouvertes.
Mais nous trouvons tout faits les signes de notre langue maternelle et il ne depend de nous, precisement, de les changer arbitrairement. Les signifiants, dit tres bien Saussure, sont imposes par la communaute linguistique dont ils relevent. C’est donc la dimension sociologique de la langue qui est mise en exergue au sens ou les codes linguistiques sont certes conventionnels, mais ils ne sont pas quelconques. Dans chaque langue se refletent les idees, la mentalite, la vision du monde propre a la communaute qui l’emploie. Conclusion
En definitive, notre travail a porte sur la nature de la langue dans le Cratyle de Platon. Il s’ensuit apres lecture et interpretation que ce philosophe grec antique croit en une relation naturelle entre les mots et les choses qu’ils designent. Plus explicitement, Platon pense que les mots traduisent vraiment ce que sont les choses. D’ou prohibe-t-il un usage arbitraire du langage (articule). Voila un grand merite que nous devons a ce penseur antique qui, a son epoque refusa le subjectivisme de l’acte du parler qui du reste, est normatif.
Cependant, les mots entretiennent-ils vraiment un rapport naturel avec les choses qu’elles designent ? La-dessus, la difficulte demeure. Pour preuve, Platon lui-meme a du mal a le prouver. Car, en fin de compte, il nous renvoie aux dieux pour chercher le fondement de cette conception naturaliste de la langue. Toutefois, nous estimons que le point de vue saussurien ne manque pas d’epaisseur semantique et il sied de le prendre en compte. Les dimensions symbolique et sociologique de la langue que Saussure introduit dans le debat apporte un souffle nouveau et depasse, toute proportion gardee, le point de vue platonicien.