Balzac sur Internet « Father Goriot » et « The Lily of the Valley », si l’on en croit Roger Pol Droit ( « Honore de Web », Le Monde des Livres du 25 juin 99) Balzac, sur Internet, deviendrait un romancier anglophone ! Fort heureusement, il n’en est rien. Roger Pol Droit a eu la sage prudence de preciser qu’il n’avait effectue sur Internet qu’une « promenade de neophyte », une « promenade de profane avec quelques coups de sonde ». Ces quelques coups de sonde ne lui auraient permis que la decouverte de quatre textes « en v. o. a l’ecran ».
Mais pourquoi diable un neophyte et un profane recherchant une lecture de La Comedie humaine, sur ecran, va-t-il se promener dans les allees de la « Globe Gate Research Library » ou dans la cour des Universites de Liverpool ou de Sunderland ? Qu’allait-il faire dans cette galere ? Il suffisait, a quelques enjambees de la rue Claude Bernard, de visiter l’excellent site de la « Bibliotheque nationale de France » ( http ://gallica. bnf. fr/ ). Ce site, d’une convivialite remarquable pour les profanes et les neophytes, propose l’integralite ou presque ( ? de La Comedie humaine : 106 oeuvres numerisees en « mode texte » et 14 en « mode image ». Le corpus depasse meme La Comedie Humaine puisque l’on y
L’acces tres large a ces romans de Balzac sur « Gallica » a notamment ete rendu possible grace aux documentations numerisees fournies par les Editions « Acamedia » ( http ://www. acamedia. fr) ainsi que celles fournies par la Societe « Bibliopolis » (http ://www. bibliopolis. fr) En dehors de ce Chemin de Grande Randonnee (et de grande qualite) qu’est le site de la BNF, d’autres promenades permettent de rencontrer des textes de Balzac sur Internet, en v. o. : http ://www. france. diplomatie. fr ropose sept oeuvres bien choisies : Jesus-Christ en Flandre, Le Colonel Chabert, Les chouans, Melmoth reconcilie, Sarrasine, Une passion dans le desert, ainsi qu’un texte qui ne fait pas partie de la Comedie humaine : le Traite des excitants modernes. J’encourage egalement le promeneur a aller visiter http ://www. le-chateau. ilias. com qui propose le telechargement d’ Eugenie Grandet, du Colonel Chabert et des Chouans. Eugenie et le colonel pardonneront certainement a l’internaute le choc cybernetique qu’ils ne manqueront pas de ressentir a l’occasion de ce « telechargement ».
Balzac sur ecran, Balzac « electronique » et en francais, c’est donc aujourd’hui possible, tant sur Internet que par le truchement d’un cederom ( Bibliopolis, Acamedia, et l’annee prochaine Champion ). Ces editions numerisees peuvent etre tres utiles aux balzaciens qui, grace aux developpements de la recherche hypertextuelle, retrouveront aisement une citation, gagneront du temps dans la quete des occurrences d’un mot ou d’une expression, chercheront la presence – meme fugitive – des personnages reparaissants de la Comedie humaine. Roger Pol Droit, apres s’etre promene sur http ://www. lolita. unice. r, nous dit y avoir rencontre 104 fois le mot « courtisane » dans toute la Comedie humaine. Ce site ne comprend malheureusement pas toute la Comedie humaine, il y manque encore pas moins de 40 romans et nouvelles ! Une recherche exhaustive aurait permis a Roger Pol de gonfler son thesaurus « courtisane(s) » a 196 occurrences ( 144 au singulier et 52 au pluriel ). Soit. Mieux vaut peut-etre lire d’abord Splendeurs et miseres, betement, sur papier conclut Roger Pol. Il a ici cent fois, mille fois raison ; sauf sans doute pour le « betement ». On lit aujourd’hui Balzac, intelligemment, sur papier.
Les editions numerisees, disponibles sur Internet, ne peuvent reproduire que les textes tombes dans le domaine public, ces editions electroniques ne peuvent bien evidemment pas offrir a l’internaute les appareils critiques sous copyright. Balzac sur ecran ? Pour le chercheur peut-etre, pour le lecteur surement pas ; pourquoi se priverait-il en effet de l’avantage de lire et de relire la Comedie humaine dans une edition de qualite, enrichie d’introductions, prefaces, notices, notes, avec un choix judicieux des variantes relevees dans les editions successives parues du vivant de Balzac et sous son controle ?
C’est l’occasion ici de porter hommage au regrette Pierre-Georges Castex qui a su s’entourer des eminents balzaciens auxquels on doit l’edition en douze volumes, aujourd’hui incontournable, de la Bibliotheque de la Pleiade (Gallimard). Tous ceux qui se limiteront a quelques incursions selectionnees dans le monde de Balzac, qui n’ont que faire de savoir si l’on y rencontre 104 ou 196 courtisanes, pourquoi iraient-ils se promener sur le web, au risque d’y faire des rencontres parfois moins agreables que celles qui consistent a croiser les courtisanes balzaciennes, souvent sympathiques et emouvantes ?
A l’ecran blafard d’un ordinateur, ces lecteurs prefereront les excellentes editions separees des romans et nouvelles constituant la Comedie humaine. Ces editions sont nombreuses et le plus souvent de grande qualite, relire Le Colonel Chabert, presente et annote par Nadine Satiat ( GF Flammarion ), ou encore Les Chouans presentes par Roger Pierrot ( folio classique, Gallimard ), est un bonheur que l’on ne trouve pas sur Internet ! Il y a aussi le lecteur qui ne compte pas les courtisanes et qui ne serait pas interesse d’apprendre, par une note en fin de volume, que le marechal de Saxe encontre dans Le Cabinet des Antiques, se prenommait Maurice, etait comte, ne en 1696 et avait servi le prince Eugene et Pierre le Grand ( edition de Nadine Satiat, folio classique). Ce lecteur pourrait se contenter du texte affiche sur l’ecran d’un site Internet, mais pourquoi devrait-il se priver du plaisir de lire Beatrix, Les Secrets de la Princesse de Cadignan, ou encore La Recherche de l’absolu, dans une petite edition ancienne ?
Plaisir sensuel de tourner les pages legerement jaunies, rousseurs et mouillures sur ce papier a l’odeur un peu acide et poussiereuse, ce plaisir incomparable est certainement autre que celui qui consiste a appuyer sur la touche F9 d’un clavier d’ordinateur. L’ecran ne remplacera jamais le livre. Je dois toutefois avouer, qu’isole a plusieurs milliers de kilometres de Paris, je viens pourtant de lire l’article de Roger Pol Droit grace aux « Archives » de l’excellent site Internet du Monde : http ://www. emonde. fr ( on peut toutefois regretter que ces archives ne couvrent que ces douze dernieres annees ! ) Les internautes balzaciens y decouvriront qu’au cours de ces douze dernieres annees, 1118 articles du journal Le Monde contiennent une ou plusieurs occurrences du nom « Balzac » ( articles qui sont loin d’etre tous consacres, il est vrai, a l’auteur de la Comedie humaine ). Je n’ai pas compte le nombre des occurrences « courtisane(s) » dans ces douze annees du journal. Herve YON