Les aspects culturels du comportement mafieux Dominique Lebleux[1] L’analyse du comportement individuel dans le cadre de la criminalite organisee donne peu de recherches, alors qu’il y a profusion pour la criminalite ordinaire[2]. Les questions que l’on peut se poser sont : les criminels ont-ils le meme profil, les memes motivations ; quelle est la part de l’influence de l’organisation sur le comportement ? On remarque certaines analogies.
Dans le contexte de la mafia sicilienne, les auteurs – historiens, criminologues, sociologues – assignent une place preponderante a l’influence de l’environnement culturel. Dans le cadre de la criminalite ordinaire, les sociologues mettent l’accent sur l’influence significative des origines sociales et familiales. Le profil lui, comporte analogies et differences. Certains tueurs de la mafia presentent le meme profil psychologique que les psychopathes ordinaires ou les tueurs en serie.
Cependant leur comportement semble davantage influence par l’organisation (ils sont les soldats, au service de l’organisation, doivent respecter regles, discipline, hierarchie) que par les circonstances. Quant aux economistes, s’ils ne sous-estiment pas l’influence de parametres sociaux, ils leur attribuent toutefois moins d’influence. Pour eux ces donnees ne sont que des variables que l’individu va traiter mentalement afin de rationaliser son action criminelle. La intervient une difference fondamentale : chez les sociaux-culturalistes l’environnement
Toutefois les psychologues cognitifs s’eloignent des economistes en ce qui concerne l’apprehension de la criminalite. Pour eux, les activites deviantes ou pathologiques sont la consequence d’un dysfonctionnement du traitement des informations, alors que pour les economistes elles sont le fait d’une action raisonnee et logique. I. ASPECTS ECONOMIQUES P. Fajnzylber et al. (1998) font etat des recherches sur les analyses economiques de la criminalite[4]. Ils montrent que l’analyse du comportement criminel se refere a la theorie economique de l’agent rationnel[5].
Le delinquant est pour eux un individu qui agit en fonction du calcul des profits (des delits) et des couts (amende, prison, duree de peine). C’est a dire que les individus n’agissent que si l’avantage prime sur les consequences de leur acte. Les chercheurs cites partagent la vision du criminel comme individu rationnel, mais ne sont pas toujours d’accord sur l’influence (positive ou negative) des parametres incitatifs. La faiblesse a remarquer dans cet article concerne la pertinence des comparaisons.
En effet, on peut s’interroger sur les conclusions issues de comparaisons de donnees issues de differents types d’enquetes (dont certaines sont citees, d’autres non), avec parfois jusqu’a 20 ans de distance[6]. 1. Les parametres economiques et sociaux Les travaux retiennent les variables suivantes, incitant a commettre un delit : le niveau de revenu du delinquant, le niveau de revenu de la victime, les inegalites sociales, le niveau d’education, les roles de la repression policiere, de la sanction, de l’arrestation, de l’environnement social.
Fleisher (1966) et Ehrlich (1973) mettent l’accent sur les niveaux de revenu du delinquant et de la victime ainsi que les inegalites sociales. Ils se contredisent a propos du niveau de revenu legal du delinquant, et se confirment sur les plans du niveau de revenu de la victime et des inegalites sociales. Un revenu faible entraine la recherche d’activites illegales pour augmenter le profit. Une etude econometrique menee par Fleisher sur 101 villes des USA montre que plus le revenu legal des individus est eleve, moins ils commettent de delits.
Ehrlich (1973), le contredit, affirme l’inverse en se referant au taux national de criminalite. On peut cependant difficilement comparer ces resultats de facon pertinente, puisque les donnees d’enquetes n’ont pas le meme profil. En revanche ces deux auteurs s’accordent sur les parametres du niveau de revenu de la victime et des inegalites sociales. Le statut eleve de la victime incite a l’atteinte a ses biens, en particulier. Les inegalites sociales – appuyees par le chomage, parametre cependant moins important que les inegalites – incitent egalement a commettre des delits.
Usher (1993) et Ehrlich (1973) interviennent contradictoirement sur le niveau d’education. Pour le premier, l’education a un effet « civilisateur » tendant a reduire les activites criminelles. Ehrlich au contraire constate que le niveau d’instruction est etroitement correle au niveau de delit. Mais la aussi peut-on comparer ces points de vue lorsque l’on constate que les travaux ont 20 ans d’ecart et que les auteurs de l’article ne citent pas les sources d’enquete de Usher.
Becker (1968), Ehrlich (1973), Davis (1988), Leung (1995) considerent que le role des forces de police, des inculpations et de la severite des sanctions ont un effet dissuasif sur l’activite criminelle influent sur la motivation a commettre un crime fonction du risque d’etre pris et puni. Becker, Ehrlich et Davis examinent egalement l’attitude des individus face au risque. Ils s’accordent a penser que la prise de conscience du risque diminue la motivation a commettre un delit
Sah (1991) souligne l’influence de l’environnement : ceux qui evoluent dans un milieu delictueux, sous-estiment le risque d’une arrestation car les moyens d’action de la police sont insuffisants dans ces zones. Posada (1994) confirme que le niveau des crimes est lie a la faiblesse de l’action de repression. Enfin Glaeser et al. (1996) contestent les auteurs precedents en accordant une priorite a l’influence de la diversite des interactions sociales sur le delinquant potentiel. 2. le comportement criminel en equation Stigler et al. (1988), s’inspirant d’Ehrlich, ont mis en equation les variables du comportement criminel :
AN : avantage du crime ; B : valeur du butin ; C : cout de la preparation et la realisation ; S : valeurs des salaires abandonnes a cette occasion ; pr : perception du cout ; pe : perception de la peine encourue. Ils mettent ces variables en equation : AN= B – C – S (pr*pe) La taille de B depend de la valeur du butin (ex. le trafic de stupefiants peut donner un B tres eleve) C depend de la difficulte (trafic de stupefiant : depend de la participation directe ou non) S depend de la valeur des salaires abandonnes qui pourraient etre obtenus dans l’economie legale Pr et pe dependent de l’efficacite des systemes policiers et judiciaires.
Ses representations influencent la reflexion. Enfin le climat moral d’une societe peut influer. Examinons cette equation a la lumiere de la delinquance d’affaires, telle qu’elle est analysee par la juge Eva Joly (2000). Celle-ci prend en compte essentiellement les facteurs pr et pe . En effet, selon elle, la difficulte de la lutte contre la propension a tricher est liee au sentiment d’impunite (pr) qui est lie a plusieurs facteurs (pe) : la priorite a la lutte contre la delinquance ordinaire[7], la faiblesse des peines, la faiblesse des moyens[8], la pression exercee sur ceux qui luttent contre ce type de delit.
En particulier elle illustre le comportement des inculpes par leurs reactions de defense : ils se refugient dans le deni, et plus ils ont une place elevee, souligne-t-elle, plus ils nient. Elle remarque que ce comportement differe de celui des delinquants ordinaires : quand on leur met les preuves sous le nez, les delinquants ordinaires avouent, alors que les delinquants d’affaires paraissent tomber des nues. Enfin elle ajoute au facteur environnemental celui de la connivence : les delinquants d’affaires evoluent dans un reseau protege.
En tant que juriste, elle analyse donc le comportement criminel non sous forme d’equation, mais de correlation. Cependant, elle ne sous-estime pas l’aspect rationnel du comportement, car generalement la criminalite organisee possede, entre autres specificites, une connaissance precise du droit, se referant au principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis. Un autre juriste, Maillard, (1994) considere en effet que le comportement du criminel des affaires est de nature suradaptee : utilisation du droit, des regles, des institutions pour commettre les delits, detourner de l’argent.
Cette rationalite s’opere par exemple sur le plan de la corruption (strategie de palier) ou du blanchiment (systeme complexe d’utilisation des systemes financiers, bancaires et informatiques et logistiques[9]). Cependant, reconnaissons que l’analyse de la corruption est complexe, car ou finissent les echanges de services, les remerciements et corruption est tenue : (cadeaux aux responsables des contrats d’affaires[10], aux journalistes) et ou commence la corruption ? La frontiere est tenue.
Catanzaro (1993) peut effectivement considerer que le comportement mafieux dans le registre economique est rationnel dans le sens ou la violence est un instrument normalise pour regler les rapports de concurrence, de maintien de l’offre et de la demande, de maintenir son pouvoir. II. ASPECTS SOCIAUX-CULTURELS Les chercheurs en sciences sociales et humaines, specialistes de la mafia, quel que soit leur domaine (criminologie, droit, sociologie, politique), – confirmes par les temoignages des repentis – effectuent une approche socio-culturelle du comportement mafieux.
Ils mettent en evidence que l’environnement, l’organisation sociale, les interactions individuelles conduisent a « construire » l’identite mafieuse. Comme le souligne P. Arlacchi[11], « on ne nait pas mafieux, on le devient ». Nous verrons que les facteurs generateurs du comportement mafieux criminel sont les valeurs d’une societe traditionnelle qui ne reconnait pas la legitimite de l’Etat pour organiser et reguler la vie sociale, mettant l’accent sur la predominance des comportements individuels, familiaux et claniques. 1. Le comportement criminel dans les sciences sociales Panorama
La question de la responsabilite de l’individu criminel constitue un veritable debat de societe. En matiere penale, le droit cherche a etablir le degre de responsabilite individuelle devant determiner la nature et le degre de la peine. Cette responsabilite sera determinee lors du proces grace a l’avis des experts psychiatres, des temoins, des circonstances du delit. Le droit penal prend donc en compte autant la personnalite de l’individu que son environnement. Du point de vue economique, l’individu criminel est considere comme un etre rationnel qui agit en fonction des couts et des profits de son acte.
L’anthropologie, la sociologie et la psychologie sociale tiennent compte de l’influence de la culture, de l’environnement familial et social, du groupe sur les comportements individuels. La psychiatrie biologique et la psychologie cognitive mettent respectivement l’accent sur le fonctionnement neuronal et le traitement des informations. La psychanalyse retient l’influence de la structure psychique de l’individu, soit de la predominance des pulsions sur les valeurs morales. Seule la criminologie effectue une approche integrative en se referant a tous les domaines des sciences sociales cites ci-dessus.
Comportement violent et environnement Les chercheurs en sociologie, anthropologie, psychologie sociale considerent l’environnement comme un facteur determinant du comportement criminel. En sociologie, Durkheim (1893, 1997) decrit la societe comme une entite constituant « un veritable moule » des conduites individuelles. Ces attitudes s’acquierent au cours de la socialisation de l’enfant, puis de l’insertion de l’adulte dans les domaines d’activites de la vie sociale. L’individu interiorise les valeurs et les normes collectives sous une double influence : la coercition (discipline imposee) et la desirabilite (acceptation volontaire).
Chaque forme de societe influence donc le comportement, les representations et les valeurs. Durkheim justifie son raisonnement en observant que les comportements different selon les cultures. En effet aujourd’hui, lorsque l’on retient le cas des talibans islamistes d’Afghanistan, on realise que la reference fondamentaliste a l’islam conditionne certains aspects de la vie sociale. En particulier les regles absolues : pour les hommes de porter la barbe non taillee ; pour les femmes de ne pas avoir acces a l’instruction, de ne pas sortir seules dans la rue, d’etre voilees ; d’observer une pratique religieuse stricte.
Cependant Durkheim ne defend pas un point de vue completement deterministe. Ils admet que la nature de l’interiorisation differe en fonction des personnalites, ce qui explique les differences de valeurs et de comportements ainsi que le changement social. En anthropologie les chercheurs americains du courant « culture et personnalite » (R. Benedict, A. Kardiner, R. Linton, M. Mead) reprennent et developpent le point de vue durkheimien en l’appliquant aux societes specifiques qu’ils etudient. Ils developpent l’hypothese que chaque culture determine un certain style de comportement commun a ’ensemble des individus qui la composent (Cuche, 1996). Ils montrent que les personnalites et les comportements sont directement influences par l’environnement humain (les interactions individuelles) et institutionnel (education, religion, travail). R. Benedict montre que les comportements violents ou non-violents different selon les types de societes. Dans Echantillons de civilisations (1934), elle etablit une typologie des tribus indiennes en comparant les Pueblo (Nouvelle-Guinee) et les Kwakiutl (Cote Nord-est).
Elle en deduit que chez la premiere predominent les comportements calmes (bienveillants, paisibles, courtois, modestes, mesures) et chez la seconde les comportements violents (volonte de prestige, de domination, de competition). Elle explique ces differences par l’influence de la culture, soit des interactions individuelles et de l’organisation sociale. Pour leur part, A. Kardiner et R. Linton ont developpe la notion de personnalite de base qu’ils considerent constituee a partir de l’influence de la societe. La personnalite de base exprime la normativite du groupe.
Elle suggere une certaine maniere de vivre acceptee ou non (Vinsonneau, 1997). Cependant ces points de vue ont ete critiques au cours du temps. S’ils s’adaptent aux petites societes, ce n’est pas le cas pour les grandes societes ou la multitude cree des comportements differents. Neanmoins, en sociologie et en anthropologie le point de vue culturaliste a ete utilise pour expliquer le fonctionnement des sous-ensembles de la societe (groupe, mouvements, associations) en utilisant le concept de sous-culture qui semble tout a fait pertinent pour apprehender la culture mafieuse.
En psychologie sociale, les comportements violents ont ete particulierement etudies. Dans le cadre des etudes sur les petits groupes, les chercheurs, en particulier Bales (1950), montrent que les normes individuelles s’alignent ou se calquent sur celles du groupe en fonction de differents parametres d’influence : le prestige du groupe et du leader, le besoin d’etre accepte, l’identification. Les celebres experiences de Milgram (1974) ont deduit que, sous influence institutionnelle et hierarchique, 65% des sujets avaient continue a infliger des decharges electriques malgre les plaintes de la victime.
D’autre part, plus les executants sont eloignes de leur victime, plus leur degre de decharge electrique est eleve. Lors de son proces, le criminel de guerre nazi Eichmann considere qu’il etait heureux de n’avoir pas eu a etre en contact direct avec les exterminations sur le terrain, qu’il ne l’aurait pas supporte, car une fois il avait ete tres mal a l’aise en assistant a une execution. Eichmann reitere de facon lancinante qu’il n’a fait « qu’obeir aux ordres ». Selon lui le respect de la discipline hierarchique etait incontournable en raison de l’ideologie nazie et parce cette discipline etait necessaire a la bonne marche du systeme.
Il denie toute responsabilite, argumentant qu’il etait impossible de s’opposer a ce qui se passait et considerant qu’il n’etait qu’un rouage, les chefs etant les seuls responsables (Arendt, 1963). Nous en arrivons ici au phenomene de « dispersion de la responsabilite » que l’on observe chez les mafieux. Lorsque l’autorite hierarchique et l’environnement sont tres importants, les individus ressentent leur culpabilite individuelle diminuer ou disparaitre, en attribuant essentiellement a leurs chefs, voire aux circonstances, la responsabilite de leurs propres actes.
L’historien Christopher Browning (1992) pose la question de la responsabilite nazie a travers l’analyse d’un groupe de police speciale charge des exterminations en Pologne, dont tous les membres etaient volontaires. Il fait appel aux theories de la psychologie sociale en interrogeant l’influence des circonstances, de l’environnement nazi, du profil des soldats. Il evoque en particulier la theorie du « dormeur » : les pulsions agressives de certains individus pourraient etre en sommeil et activees par les circonstances. En conclusion il se dit peu convaincu par les theories de l’influence environnementale et groupale sur l’individu.
Il privilegie l’irreductible parametre de responsabilite individuelle, considerant que quelles que soient les circonstances, un individu doit toujours conserver son libre arbitre. Ces debats des sciences sociales me semblent d’autant plus pertinents qu’ils permettent l’eclairage des comportements mafieux comprenant de nombreuses analogies avec les cas cites ci-dessus. 2. Societe traditionnelle et valeurs Nous pouvons considerer que l’individu mafieux fait partie d’une famille d’un point de vue organiciste et fonctionnaliste.
Lorsque l’un des membres est atteint, ce sont tous les autres et l’equilibre de l’ensemble qui sont concernes. Chacun remplit une fonction hierarchique particuliere qui contribue a l’harmonie et la securite du groupe. La societe sicilienne est percue par les chercheurs comme une societe traditionnelle, faisant reference a un groupe de personnes liees par des rapports de hierarchie, de proximite, de reciprocite et partageant des valeurs precises. Ils organisent et regulent la vie sociale de maniere endogene, eprouvant une forte defiance vis-a-vis de ce qui est exogene et cherche a s’immiscer dans leur univers.
J. L. Briquet[12] (1995, p. 140) ecrit que la majorite des anthropologues apprehendent la mafia comme un objet culturel : « la mafia percue comme une forme culturelle, ancree dans la societe sicilienne plus que comme une organisation structuree, est le produit de la permanence de modeles traditionnels et de l’organisation sociale et de la legitimation du pouvoir, permanence qui s’explique par l’incapacite de l’Etat italien, au lendemain de l’Unite, d’imposer en Sicile ses propres normes de legitimite et ses propres regles de fonctionnement ». P.
Arlacchi ecrit que « le comportement mafioso fait partie d’un systeme culturel centre sur le theme de l’honneur obtenu au moyen de la violence individuelle » (1983, p. 17) X. Raufer et S. Quere (2000a, pp. 34-36 ; 94). identifient le parametre clanique du comportement des mafieux albanais : Une societe clanique : En Albanie, surtout dans le Nord montagneux – du fait de son isolement durant tout le XXe siecle – la societe clanique traditionnelle mediterraneenne est respectueuse d’ancestrales traditions d’honneur et de vengeance transmises oralement.
Il existe un code d’honneur ecrit (kanun) que l’on trouve meme dans les librairies ! C’est une societe fascinee par les armes a feu : elles sont le gardien de son foyer, l’objet de son admiration/ Une organisation complexe, une discipline de fer : une cellule de base composee de 4 a 10 hommes issus du meme clan, du meme village, voire de la meme famille biologique – Specialisee dans un type precis d’activite criminelle – Obeissance aveugle a un chef – Au niveau intermediaire, des sous-chefs controlent une zone geographique ou une branche d’activites Au sommet un chef, assiste d’un conseil de direction qui fixe les grandes orientations et sert d’arbitre en cas de crise G. Falcone[13], apprehende aussi la mafia sous un angle culturel. Il la qualifie au sens anthropologique de « subculture » (sous-culture) definie par les aspects suivants : le mode de recrutement (selectif base sur le critere de la criminalite), l’omerta, des valeurs personnelles telles que la discretion et l’absence de pitie. Son point de vue est d’autant plus pertinent que lui-meme sicilien, a baigne dans cette culture tout au long de sa jeunesse (Falcone, Padovani, 1992, p. 14). M. Cusson[14] (1998, p. 117) confirme ces points de vue, postulant que la « culture archaique » sicilienne ignore la loi et l’Etat. Elle ne reconnait que les rapports de force bases sur la domination, la servitude et la peur. On peut donc supposer que la mafia concurrence l’Etat sur le plan du monopole de la violence legitime (au sens de Weber), mais aussi sur ceux de l’organisation et la regulation sociale. Le sens de la famille L’organisation mafieuse repose sur la notion de famille au sens consanguin et au sens large.
Elle est organisee en termes de reseaux dont les membres sont relies par des rapports de proximite et de hierarchie plus ou moins forts. M. Cusson decrit la famille comme le « noyau de base » de Cosa Nostra qui se compose d’un reseau de parents et d’amis. Un reseau mafieux est selon lui compose de trois niveaux : le cercle restreint d’un petit nombre de parents, amis intimes, fideles collaborateurs. Les liens qui les unissent sont ceux de parente, autorite, cooperation.
Un second cercle est fait de relations moins serrees avec les proteges des mafieux et les membres des autres familles : les rapports se basent sur la protection, l’echange de services, l’hospitalite, la collaboration episodique. Le troisieme cercle, le plus elargi se constitue du reseau des relations exterieures : commercants, avocats, medecins, politiciens, chauffeurs de taxi : echanges de cadeaux, services, informations, rapports marchands (Cusson, 1998, pp. 110-111). P. Arlacchi met l’accent sur les rapports hierarchiques, de subordination, et ’exercice du droit du plus fort qui regissent les rapports entre les membres de la famille (Arlachi, 1983, p. 22). G. Falcone retient la notion la famille consanguine. Pour lui aussi la structure de base de la mafia est constituee par la famille et ses valeurs traditionnelles : honneur, respect, liens du sang, fidelite, amitie (Falcone, Padovani, 1992, p. 106). Enfin T. Cretin[15] (1995) considere aussi que les individus mafieux se referent et appartiennent prioritairement a la famille. Le culte de l’honneur P. Arlacchi (1983, p. 5-32) a consacre un developpement important au comportement mafieux. Il attribue une importance determinante au culte de l’honneur, qu’il percoit comme le pivot du comportement violent. Se comporter de maniere honorable signifie etre conforme aux regles de courage, ruse, ferocite, aux pratiques de vol. En Sicile et en Calabre, ecrit-il, l’honneur est « l’unite de mesure de la valeur d’un individu, d’une famille ou d’une chose… le comportement mafioso fait partie d’un systeme culturel centre sur le theme de l’honneur obtenu au moyen de la violence individuelle » (P. 17).
Il lie le concept d’honneur a l’identite sexuelle : la virilite de l’homme, la virginite et la pudeur sexuelle de la femme. « Etre un homme signifie, en pays mafioso, manifester l’orgueil et l’assurance, la promptitude a reagir avec rapidite et efficacite aux menaces contre l’honneur individuel et familial… le devoir de l’homme d’honneur est de faire preuve de sa propre virilite en toute occasion, quitte a utiliser violence et rapt avec les femmes » (p. 18). Il dit que dans chaque famille les hommes protegent l’honneur des femmes qui doivent rester vierges et pudiques.
Dans les zones mafieuses, l’honneur feminin constitue le symbole le plus typique de l’integrite de l’honneur de la famille. Cette sensibilite a l’egard de l’honneur feminin se mesure selon lui aux taux de statistiques : 60% des homicides dans la plaine de Goia Tauro entre 1940 et 1950 ont concerne cette atteinte. Le devoir de vengeance est corollaire au devoir de reaction a l’agression : la non-vengeance conduit a la perte irreparable de toute reputation sociale et a l’exclusion de la communaute locale. Il cite par exemple le cas d’un homme dont la femme a eu une aventure lorsqu’il etait a la guerre.
A son retour, il n’a pas juge necessaire de se venger. Cette non-reaction lui valut la perte de consideration au sein de sa communaute : meme les enfants se moquaient de lui dans la rue. Il dut se resoudre a emigrer en Amerique : « Il n’y a aucun espace dans la vie sociale pour l’individu et la famille qui a perdu son honneur. L’emigration represente par consequent, et tres souvent dans ces cas, l’unique alternative a la mort civile » (p. 19-20). Le psychiatre militaire C. Barrois (1993, p. 197) evoque egalement l’importance de l’honneur et du deshonneur pour le guerrier.
Il ecrit que le deshonneur retentit avec force sur l’individu qui l’interiorisant et s’identifie a lui : le deshonneur « detruit litteralement le guerrier : il ne fait qu’un avec la faute commise (lachete, desobeissance, abandon du groupe et/ou de ses hommes en position dangereuse, soumission a l’ennemi, conduite malhonnete avec ses camarades, mensonges, etc. ), le chef d’accusation, la sanction et l’expiation ». Selon Arlacchi, symbole de virilite et de prestige, l’honneur se determine essentiellement par la force personnelle (physique et mentale).
Le mafieux recherche cet honneur a tout prix, n’hesitant pas a transgresser normes et valeurs morales : « Que signifie avoir un comportement de type mafioso ? Cela signifie se faire respecter, etre des hommes d’honneur, capables de se venger avec ses propres forces, n’importe quelle offense faite a sa personne meme et a ses proches et capables de porter offense sous n’importe forme a un ennemi. Ce comportement, defensif ou agressif, est non seulement justifie, mais encourage et idealise par la culture particuliere ou vit le mafioso, meme si le recours a la violence rentre en contradiction avec le Droit ».
Le sociologue considere que l’usage de la violence homicide est indispensable a l’homme d’honneur, pour inculquer la peur, etre reconnu et respecte. Son prestige nait de ses potentialites criminelles. T. Cretin partage un point de vue identique : « le mafieux est un homme d’honneur en ce sens qu’il est soumis a une regle qui constitue la seule loi a ses yeux.. Elle gradue a sa facon les valeurs. La qualite d’homme d’honneur renvoie au mythe fondateur de Cosa Nostra… qui se determine, qui connait le juste par soi-meme, qui s’extrait de la tutelle des pouvoirs centraux lointains » (Cretin, 1997, pp. 115-116).
I. Sommier[16] les suit aussi sur ce terrain : « mafieux designe a son origine un homme valeureux qui ne laissera pas le nom de sa famille souille sans reagir, mais lavera l’affront, au besoin physiquement ». Enfin le repenti T. Buschetta temoigne « s’il existe des motifs serieux, si l’on humilie ma famille et qu’on ne peut mettre hors d’etat de nuire celui qui lui fait du mal, moi je suis pret a tuer. Par legitime defense et par sens de la justice. Je le dis de tout c? ur, je le ferais aussi pour un ami si je le voyais malheureux a cause d’une injustice dont il ne peut se defendre » (Arlacchi, 1994b, p. 2). L’omerta L’omerta (la loi du silence)[17] constitue un parametre essentiel dont le respect rigoureux garantit la survie du systeme mafieux. G. Falcone (1992), P. Pezzino[18] (1999) considerent que les structures du systeme mafieux n’ont ete veritablement connues qu’a partir des premiers temoignages des repentis. L’omerta joue un role au niveau de la population : elle doit respecter la loi du silence. Une victime de delinquance ou de meurtre ne doit pas s’adresser aux representants de l’Etat : les litiges doivent se regler entre familles ou clans.
On reconnait ici la defiance vis-a-vis de l’Etat comme regulateur d’ordre. L’omerta s’exerce aussi entre mafieux : un mafieux ne doit pas se presenter comme tel ni a son entourage, ni a d’autres mafieux, ni a sa famille. Le repenti T. Buschetta dit par exemple que sa premiere femme n’a appris que de nombreuses annees apres leur mariage son appartenance a la mafia (Arlacchi, 1994a). Ascetisme et puritanisme Les mafieux respectent la valeur d’ascetisme. Il s’agit de vivre discretement, de ne pas faire etalage de ses richesses afin de ne pas attirer inutilement l’attention sur soi.
Cependant certains individus derogent a la regle, notamment en ce qui concerne les trafiquants de drogue italiens et ceux du cartel de Medellin (Colombie) qui affichent une richesse ostentatoire. La solidarite Un mafieux en danger doit pouvoir compter sur ses pairs. Meme a l’etranger il peut compter sur d’autre mafieux qui doivent lui apporter aide et collaboration. Cependant ce principe de solidarite est largement remis en cause lors des guerres entre familles (voir point suivant). III. LES FONCTIONS DU COMPORTEMENT VIOLENT
Dans le cas de la mafia, le comportement violent est percu positif, legitime et fonctionnel. Nous avons vu precedemment a propos du culte de l’honneur que la violence est legitimee a travers le prestige qu’elle procure a son auteur. La violence a pour but d’intimider les personnes a corrompre et de se venger de ses adversaires potentiels (collaborateurs de la justice, membres de la police et la justice). Elle constitue un critere important de recrutement. Pour etre recrute dans Cosa Nostra, il faut etre dote de la reputation et de la capacite de tuer.
Si l’on a pas encore tue, il faut faire preuve de cette capacite, soit commettre un acte violent ou un meurtre pour etre initie (Cusson, 1998, p. 113 ; Falcone, 1991, p. 106). Le temoignage du mafieux repenti T. Buschetta confirme ce point de vue. Il dit avoir ete recrute grace a sa reputation de violence active durant la lutte contre les Allemands au cours de la Seconde guerre mondiale (Arlacchi, 1994a). La violence est un outil de regulation des rapports entre familles mafieuses : lutte pour les controles du territoire et/ou du pouvoir (Cusson, 1998).
Ces luttes provoquent d’autant plus de victimes qu’elles sont assorties du devoir de venger les morts. Le repenti mafieux Calderone dit qu’il y va du prestige de la famille. Si elle ne reagit pas, ou si elle tente une conciliation, elle est percue par la famille adverse comme faible, meprisable. La perte de son prestige entraine l’accentuation des menaces a son encontre (Arlacchi, 1994b). Les combats entre mafieux, regis par la loi du plus fort et l’acces au pouvoir par l’extermination, peuvent s’illustrer par l’expression « ? il pour ? l, dent pour dent ». Ainsi A. Calderone dit par exemple que si un fils de chef de famille a ete tue, la famille attaquee reagit en tuant le fils de l’autre chef. Lorsqu’il y a conciliation, les mafieux d’une famille disent a ceux de l’autre : nous avons perdu un fils vous aussi nous sommes quittes (Arlacchi, 1994b). L’utilisation de la violence permet aussi a un mafieux de se reconstituer un capital de prestige qui s’etait amenuise. T. Buschetta cite le cas d’un homme qui a tue quelqu’un d’important uniquement pour regonfler son prestige. A.
Calderone cite aussi le cas d’un mafieux qui n’hesite pas a tuer quatre enfants afin de regagner son prestige perdu (Arlacchi, 1994a, 1994b). La vengeance s’exprime tout particulierement a l’egard des transgresseurs de l’omerta. Les collaborateurs de la justice, des membres de leur famille sont les victimes incontournables de la vengeance mafieuse. Cette derniere est tres active en prison : les mafieux font executer les repentis par d’autres detenus (etranglement, poison), par mesure de prevention contre leur temoignage (Arlacchi, 1994a et 1994b).
Toutefois il ne suffit pas de faire preuve de sa capacite de violence, encore faut-il tuer beaucoup. Comme lors des chasses animales, ou le nombre de pieces de gibier et la qualite de l’animal tue conferent du prestige au chasseur, le nombre et la qualite des personnes tuees conferent eux aussi du prestige aux auteurs des assassinats. Plus on tue, plus on fait preuve de sa force ; plus la personne tuee possede un statut eleve, plus on fait preuve de son intelligence. Ainsi la guerre provoquee par la famille Riina de Corleone a fait plus de 1000 victimes en deux ans entre 1981 et 1983 (Cusson, 1998, pp. 13-115). Les repentis Buschetta et Calderone ont eu plusieurs dizaines de personnes tuees autour d’eux (famille, proches) Enfin la violence a un caractere ineluctable : la mafia ne pardonne pas, a partir du moment ou la sentence de mort a ete prononcee, elle sera executee, meme si cela doit prendre des annees. Selon Catanzaro (1993), sur le terrain economique, la violence est un instrument incontournable instrument de pression pour regler la concurrence economique, asseoir son prestige et maintenir l’offre de protection. IV.
TYPES DE COMPORTEMENTS 1. Le profil des tueurs Du point de vue de la structure psychique, Freud (1915) montre que chez tout etre humain coexistent pulsions de vie et de mort qui participent a l’instinct de conservation. Selon la personnalite et les evenements, ce sont les pulsions de vie ou les pulsions de mort qui predominent en fonction de la fermete des barrieres morales. En effet la theorie du passage a l’acte enonce qu’un individu passe a l’acte lorsqu’il y a faiblesse des valeurs morales, soit defaut de socialisation des pulsions agressives.
Le psychiatre P. Debray (1981) ecrit que les tueurs psychopathes ne ressentent a l’egard de leurs victimes, ni emotion, ni empathie ou culpabilite. J. Pinatel considere que la personnalite des criminels se caracterise par les traits suivants : egocentrisme, agressivite, besoin de domination, intolerance a la frustration, indifference aux victimes, faiblesse du sens moral (Luci, 1999, p. 31). Le repenti Buschetta met sur le meme plan le fait de trafiquer et de tuer, et ne manifeste aucune sensibilite emotionnelle.
Toutefois, sa sensibilite commence a emerger lorsqu’il est lui-meme concerne, c’est a dire a partir du moment ou il est menace par la mafia. Quant a Calderone, parce que fils de mafieux, il n’a pas ete oblige de tuer pour entrer dans la mafia. Sa sensibilite a lui ne se developpe qu’apres avoir directement assiste a l’assassinat de 4 jeunes de 12 a 15 ans etrangles et jetes dans un puits : « Ce que j’ai eprouve dans ces moments-la ? Rien. Mon ame n’etait pas la. Ma conscience n’existait pas. C’etait comme si le fait d’avoir fait mourir des etres humains n’avait pas eu lieu.
Je m’etais juste un peu fache quand j’avais vu mes amis les assassins frapper les victimes a coups de poing et a coups de pied au moment ou ils les massacraient. Les remords sont venus apres, peu a peu, et j’ai commence a me sentir mal a l’aise » (Arlacchi, 1994b, p. 266). Ces temoignages de mafieux, tout comme celui d’Eichmann, corroborent la correlation entre le degre de distance vis-a-vis de la victime et le passage a l’acte. Cependant, soulignons que cela n’est pas toujours valable. En effet, les mafieux doivent aussi etre capables de tuer des personnes qui leur sont proches, voire des membres de leur propre famille.
Mais dans ce cas precis, nous rejoignons la aussi la theorie de la soumission a l’autorite : la discipline, le respect de la hierarchie impliquent l’accomplissement d’ordres qui surpassent les considerations personnelles. 2. La culture de la mort Nous avons largement developpe la relation entre la violence et la culture de l’honneur. M. Cusson confirme que le prestige du mafioso repose sur sa reputation d’homme menacant. Il a tout interet a cultiver son apparence. Il doit apparaitre comme un personnage inquietant : ort de lunettes a verres fumes ; froideur ; durete, voire cruaute, distance, visage impenetrable, propos allusifs, silences inquietants, sous-entendus menacants. Il doit aussi entretenir une certaine familiarite avec la mort : etre capable de tuer, mais aussi etre conscient qu’il peut etre tue. Le criminologue ajoute que le mafioso vit dans un « univers paranoiaque » : il vit dans une angoisse continuelle, devant s’attendre a tout moment a etre tue, etre conscient que la difference entre amis et ennemis est « tenue », ce qui accentue sa mefiance legendaire (Cusson, 1998, pp. 114-115). V.
LES FORMES DE VIOLENCE La violence est utilisee soit de facon directe (assassinat, blessures, mutilations), soit de facon indirecte (intimidation, atteinte aux biens, a l’entourage). Son utilisation est strategique et graduelle : apres l’offre de service suivent l’intimidation, les menaces, puis le passage a l’acte contre l’environnement (materiel et humain) de la victime, puis contre elle-meme. 1. Les atteintes materielles et physiques Les atteintes contre les biens s’effectuent au moyen de la destruction de maison, d’entreprise ; moyen de transport (bateau, avion, voiture) par le feu, les explosifs.
Contre les personnes sont utilises l’etranglement, les armes, le poison, la mutilation. En particulier l’usage de la lupara bianca[19] permet de faire disparaitre le corps : au fond de l’eau, sous terre (voire enterre vivant), dans un puits, coule dans du beton, dissous dans l’acide, coupes en morceaux. 2. Les aspects pervers Un mafieux peut etre a la fois bon epoux, bon pere de famille et tueur de sang froid. Il peut respecter certaines valeurs reconnues socialement et respecter les valeurs mafieuses delictueuses. Tel Buschetta que la pratique d’assassinat n’empechait pas d’aller a la messe regulierement (Arlacchi, 1994a, p. 1). L’hypocrisie est une pratique courante lorsque les mafieux veulent influencer leur future victime. La premiere approche se fait sous le motif de l’echange de service, soulignant l’interet dont beneficiera l’interlocuteur. Si celui-ci est reticent, la menace apparait, mais voilee, toujours sous l’angle d’une reciprocite[20] interessante suggerant qu’on a toujours, un jour ou l’autre, besoin d’un mafieux. Les mafieux utilisent aussi cette pratique du double visage lorsqu’ils cherchent a s’eliminer entre eux. Ils utilisent un proche, un parent, un ami pour approcher la future victime de facon a endormir sa mefiance.
Ils utilisent le pretexte d’une rencontre ou d’une activite ordinaire pour confirmer l’endormissement de la mefiance, puis passent a l’acte (Arlacchi, 1994b). Soulignons que ces aspects ont largement ete mis en scene dans les productions cinematographiques. 3. La symbolique de la violence Le type de violence utilisee presente un aspect symbolique dans le sens ou il a valeur de message, d’avertissement ou de sanction, dont le motif est symbolise : envoi d’une lettre avec un dessin de cercueil ; envoi d’une lettre comprenant la phrase « ces acances vous mangerez des douceurs, pour les prochaines vous mangerez de la poussiere » ; on coupe la langue d’un delateur ; on coupe le bras du fils d’un execute qui avait menace de venger son pere… Lors d’assassinats, on place les organes genitaux dans la bouche de l’amant d’une femme de mafieux, on place des billets de banque dans la bouche et entre les testicules d’une personne particulierement venale (Arlacchi, 1994a, 1994b) Corse : Ce sont les attentats par explosifs qui predominent : en 1998 Attentats a l’explosif : 99, vols a main armee : 63, Tentatives d’homicide volontaire : 21, Homicides volontaires 20.
Alors que l’ile ne represente que 0,50% (256000 habitants, soit le volume d’une ville moyenne) de la population francaise, 20% sont inscrits au fichier national du grand banditisme. J. P. Courtois et R. Garrec Conclusion L’ensemble des auteurs specialistes de la mafia mettent donc en valeur avec une certaine unanimite l’importance de l’influence culturelle et familiale sur le phenomene mafieux. Ils montrent que le comportement criminel mafieux repose sur les valeurs traditionnelles de la societe sicilienne qui concourent, chacune a leur maniere, a la protection et la perrenite du systeme mafieux.
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Tel. 01 45 49 76 72, mail : lebleux@ehess. fr [2] En particulier Lopez et Bornstein (1994) n’etudient que les criminels ordinaires, Moser (1987) n’accorde qu’un developpement mineur au criminel en situation de groupe. [3] La psychologie cognitive effectue une analogie entre le cerveau humain et l’ordinateur : ces deux systemes traitent les informations de maniere logique et procedurale. [4] Cette partie s’appuie donc sur l’analyse de ces auteurs. Lors du developpement de la question, je reviendrai aux sources, mais ici cela suffit pour poser les hypotheses et les termes du debat. 5] En reference a l’article de l’economiste Gary Becker, (1968). L’individu effectue le choix de mener ou non une activite delinquante en calculant de facon optimale, par anticipation, les couts et les avantages de son action future en fonction des informations dont il dispose. [6] D’ou la necessite, comme je le souligne dans la note precedente d’avoir recours aux ouvrages originaux. [7] Selon elle, la criminalite des affaires est largement sous-estimee, estimee non devoilee a 80%. L. Wacquant (2000) developpe cette these dans son ouvrage Les prisons de la misere consacre aux prisons americaines.
Il considere egalement que l’accent est mis prioritairement sur la criminalite ordinaire. Il etablit une correlation entre pauvrete et delinquance, pour soutenir que cette situation resulte des inegalites inherentes au systeme capitalise. Il sous-entend donc que les delinquants ne sont pas entierement responsables, qu’ils sont determinees par les inegalites sociales, et n’ont que ce moyen a leur disposition pour se revolter. Il soutient l’hypothese d’une volonte deliberee du systeme capitaliste de reprimer les pauvres. Il utilise, dans la lignee de M.
Foucault (Histoire de la folie a l’age classique, Surveiller et punir), la these du « grand renfermement » du peuple par la bourgeoisie. Cette analyse teintee d’ideologie, prete a discussion. Les etudes sociologiques montrent que la delinquance est inherente a chaque forme de societe (cf. Durkheim : le crime est un phenomene social normal) et n’est pas uniquement le pur produit d’un seul facteur. Enfin, quoique les recherchent montrent que la pauvrete est souvent facteur de delinquance, tous les pauvres ne sombrent pas dans ce type de pratique. Il y a toujours d’autres manieres dans la societe de surmonter son handicap social. 8] Elle raconte que, nommee au pole financier en 1993, elle ne disposait dans son petit bureau, ni d’ordinateur, ni de fax, ni de minitel, et qu’elle ne dispose que d’un poste et demi d’inspecteur pour l’affaire Elf. [9] Un ouvrage est d’ailleurs paru recemment sur ce theme : Le guide de l’utilisation des paradis fiscaux, Darphin, 1998. [10] Un architecte a la retraite m’a relate qu’aucun des grands chantiers sur lesquels il a travaille n’a echappe a ces types de transactions : des remerciements aux pots de vin, selon les cas, quasi incontournables dans toutes les municipalites (quelque soit leur etiquette politique) pour obtenir un contrat. 11] Pino Arlacchi est un sociologue italien, specialiste de la mafia. Il a contribue a la mise en place du plan de lutte gouvernementale contre la mafia (1980-1982). Il a mene les interviews biographiques des mafieux « repentis » T. Buschetta et A. Calderone (1994a et 1994b). [12] Politologue [13] Juge italien assassine par la mafia en 1992 [14] Criminologue [15] Juriste [16] Politologue [17] La pratique de l’omerta existe aussi en Corse. Les auteurs du rapport parlementaire sur la securite en Corse disent que les policiers sont confrontes u mutisme de la population, ou a l’emploi systematique de la langue corse. Cette loi du silence qu’ils qualifient de « loi de la peur » repose sur « la crainte – loin d’etre infondee – de represailles sur leur entourage, ou sur eux memes en cas de temoignages » (pp. 100-102). J. P. Courtois, R. Garrec (1999), L’integrale du rapport de la commission d’enquete du Senat sur la securite en Corse, Paris, Editions 1. [18] Historien [19] La lupara est un ancien fusil traditionnel sicilien. 20] Cet element de reciprocite, vu comme un don/contre-don du point de vue anthropologique, est fondamental dans les relations qu’entretiennent les mafieux avec la population, se substituant a l’Etat dans le domaine de la regulation sociale. Le repenti Caderone raconte que son frere, chef dans la mafia, avait du louer un appartement supplementaire pour recevoir la foule des quemandeurs qui faisaient quotidiennement la queue devant son domicile : pour une place a l’hopital, un logement, un travail, une bonne note a l’examen, des litiges entre voisins…
En echange les individus aides prenaient l’engagement sur l’honneur de repondre a l’appel de la mafia, a quelque moment (voire des annees plus tard) et pour quelque motif que ce soit. Calderone souligne que le prestige de son frere aux yeux de la population dependait etroitement de sa reputation de mafieux important : lorsqu’il est tombe en disgrace lors des guerres inter-mafieuses, plus personne ne venait s’adresser a lui ! (Arlacchi, 1993).