Extrait de L’Assommoir de Zola, Chapitre XII : Perdue dans la cohue du large trottoir, le long des petits platanes, Gervaise se sentait seule et abandonnee. Ces echappees d’avenues, tout la-bas, lui vidaient l’estomac davantage ; et dire que, parmi ce flot de monde, ou il y avait pourtant des gens a leur aise, pas un chretien ne devinait sa situation et ne lui glissait dix sous dans la main ! Oui, c’etait trop grand, c’etait trop beau, sa tete tournait et ses jambes s’en allaient, sous ce pan demesure de ciel gris, tendu au-dessus d’un si vaste espace.
Le crepuscule avait cette sale couleur jaune des crepuscules parisiens, une couleur qui donne envie de mourir tout de suite, tellement la vie des rues semble laide. L’heure devenait louche, les lointains se brouillaient d’une teinte boueuse. Gervaise, deja lasse, tombait justement en plein dans la rentree des ouvriers. A cette heure, les dames en chapeau, les messieurs bien mis habitant les maisons neuves, etaient noyes au milieu du peuple, des processions d’hommes et de femmes encore blemes de l’air vicie des ateliers. Le boulevard Magenta et la rue du Faubourg-Poissonniere en lachaient des bandes, essoufflees de la montee.
Dans le roulement plus assourdi
Celui-ci est un extrait du Chapitre XII. Il raconte l’histoire de Gervaise Macquart (l’heroine de l’Assommoir. Elle est boiteuse et, avec ses deux enfants, a suivi son amant Lantier a Paris. Mais il la quitte, elle devient blanchisseuse et se remarie avec Coupeau. Elle finit par sombrer dans l’alcool, avec son mari). Dans cet extrait, le narrateur raconte le mal-etre de la jeune femme, par rapport a sa vie miserable, et sa fureur envers les gens aises de la ville, qui ne remarque pas sa presence et qui ne viendront pas l’aider alors qu’elle est en train de mourir de faim.
Les themes sont : les ravages dus a la misere, la faim et l’alcoolisme. L’ Assommoir a pour these les classes laborieuses, et veut montrer que, meme si la societe du dix-neuvieme siecle permet une ascension sociale aux basses classes, il suffit d’un rien pour rechuter. On ne sait pas vraiment si le narrateur est omniscient et qu’il joue a ne pas tout dire, ou bien si c’est un temoin qui se presentera plus tard, mais nous dirons donc que c’est un narrateur externe, en focalisation interne sur Gervaise.
Dans la premiere phrase de l’extrait « Perdue dans la cohue du large trottoir, le long des petits platanes, Gervaise se sentait seule et abandonnee », le narrateur est omniscient, mais dans « et dire que, parmi ce flot de monde, ou il y avait pourtant des gens a leur aise, pas un chretien ne devinait sa situation et ne lui glissait dix sous dans la main ! » on dirait que le narrateur parle a la place de Gervaise, c’est donc une focalisation interne sur Gervaise. Il n’y a aucun dialogue dans cet extrait.
La lutte des classes est montre dans cet extrait entre Gervaise, et les passants de la rue. En effet, on voit bien ici la misere dans laquelle Gervaise se trouve. On la decrit comme « perdue », « seule », « abandonnee » et « lasse ». Elle n’a pas mange depuis longtemps car on dit : « Ces echappees d’avenues, tout la-bas, lui vidaient l’estomac davantage », d’avantage signifiant qu’elle a deja le ventre vide mais que ce qu’elle voit tout la-bas le lui vide encore plus. On nous indique sa miserable situation et sa auvrete : « pas un chretien ne devinait sa situation et ne lui glissait dix sous dans la main ! », elle n’a pas d’argent. On trouve ensuite une anaphore du mot « trop », et de verbes a l’imparfait, ce qui donne un certain rythme a la phrase : « c’etait trop grand, c’etait trop beau, sa tete tournait et ses jambes s’en allaient ». Trop grand a cause de tout ce monde autour d’elle (qui se relate a « un si vaste espace » un peu plus loin dans l’extrait), et trop beau pour la misere dans laquelle elle se trouve. Sa tete tournait et ses jambes s’en allaient » decrit ce qui ressemble a un malaise, elle a du mal a rester debout tellement elle est fatiguee. On evoque le suicide, lorsqu’elle parle de la couleur du crepuscule : « une couleur qui donne envie de mourir tout de suite », puis ajoute « tellement la vie des rues semble laide ». C’est en sous-entendu sa vie qui une vie des rues, une vie laide. On voit bien d’apres toutes ces descriptions la misere de Gervaise. En opposition se trouvent les passants aises.
Le narrateur fait une description d’eux pejorative au debut, qui mettra le lecteur du cote de Gervaise : « et dire que, parmi ce flot de monde, ou il y avait pourtant des gens a leur aise, pas un chretien ne devinait sa situation et ne lui glissait dix sous dans la main ! ». « Et dire que » veut montrer ici une injustice : « Et dire qu’ils ont de l’argent et qu’ils ne viennent pas l’aider ! ». Le narrateur parle de « chretien », car selon la Bible, ils doivent aider leur prochain, aider les gens dans le besoin.
Comme aucun ne devine sa situation, elle demeure sans aide de leur part. Le narrateur continu plus loin dans le texte de parler des bourgeois en les decrivant comme : « les dames en chapeau, les messieurs bien mis habitant les maisons neuves » ou ici la richesse se trouve dans les habits des dames et les messieurs qui habitent les maisons neuves. Opposition avec Gervaise qui n’a que des guenilles et aucune maison ou vivre.
On retrouve donc bien dans cet extrait un raisonnement qui oppose les pauvres (Gervaise, fatiguee de sa vie des rues, sans argent et nourriture) et les riches (les passants de la rue, qui ne sont pas pour tous « bourgeois » mais qui ont de quoi vivre). Les arguments dans cet extrait sont plutot du domaine moral lors de la description de la vie de Gervaise, ou on explique sa misere, son mal-etre. Il y a aussi un argument religieux en rapport avec un texte de la Bible, et des arguments descriptifs (les avenues, le ciel, la couleur du crepuscule, les passants,… ). Ces arguments ne s’enchainent pas dans un ordre precis.