Conference de sociologie Roussel Claire Fiche de lecture Christian Baudelot et Roger Establet Allez les filles ! Une revolution silencieuse en 1992 Editions du seuil : edition mise a jour en 2006 Plan de la fiche : I Presentation rapide des auteurs II Enjeux de l’ouvrage III Synthese IV Les methodes sociologiques utilisees V Commentaires critiques, discussion I Presentation rapide des auteurs ¦ Christian Baudelot est un sociologue francais ne en 1936.
Il a fait des etudes a l’Ecole normale superieure (1960-1964). Il a une agregation de Lettres Classiques et un doctorat en sociologie. Il s’interesse tout particulierement a l’education et a la sociologie du travail. Il enseigne aujourd’hui la sociologie au departement de sciences sociales de l’Ecole normale superieure (Ulm) et travaille comme chercheur au Centre Maurice-Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS). ¦ Il a deja publie plusieurs ouvrages en collaboration avec Roger Establet tels que le niveau monte et l’ecole capitaliste en France.
Il a enseigne a l’ENSAE (Ecole nationale de la statistique et de l’administration economique) et a ainsi participe a la construction des bases theoriques de la statistique francaise. ¦ Ses premiers ouvrages s’inscrivent dans le paysage marxiste puis peu a peu l’ideologie marxiste disparait pour laisser place a une sociologie plus Durkheimienne (exemple : Suicide.
Il a participe au projet d’Althusser qui consistait en une lecture nouvelle du Capital de Marx. Il est specialiste de la sociologie de l’education et enseigne aujourd’hui a l’universite de Provence. II Enjeux de l’ouvrage La these de l’ouvrage est annoncee clairement des la premiere phrase de l’avant-propos : « Pour l’instruction des femmes le grand siecle c’est le vingtieme siecle. » Les auteurs font le constat d’une progression spectaculaire et reguliere des scolarites feminines : montee des effectifs feminins au lycee et dans le superieur, augmentation des taux d’acces au baccalaureat.
Ils mettent meme en avant une superiorite feminine dans le domaine de l’education : moins de redoublements que les garcons a l’ecole primaire, moins de depart pour l’apprentissage au college, plus nombreuses que les garcons au lycee et meilleurs resultats au baccalaureat, plus nombreuses a l’universite. Ce mouvement social de grande ampleur est le signe d’un changement de mentalites et de la reduction des discriminations de sexe a l’ecole.
Mais cette vision optimiste est a nuancer car il existe une ombre au tableau : les progres scolaires des filles ne se concretisent pas forcement par des ameliorations sur le marche du travail (inegalite de salaire, segregation de l’emploi) ou dans les familles (separation des taches ce qui laisse les taches les plus quotidiennes et les plus astreignantes aux femmes). Meme dans le domaine scolaire il faut relativiser les progres effectues car il y a une forte segregation de filieres : les filieres scientifiques restent « reserves » aux garcons.
Pour un meme fait social on constate deux orientations contradictoires : progression des scolarites feminines MAIS persistance de segregations hommes-femmes. L’ouvrage va donc chercher a savoir si la progression des filles a l’ecole doit etre considere comme un fait social de grande ampleur capable de bouleverser les rapports entre les sexes dans la societe ou juste comme un fait social a portee limitee qui se contenterait de repousser la barriere entre les sexes vers le haut (sur le marche de l’emploi par exemple).
III Synthese de l’ouvrage « Plus de bachelieres que de bacheliers » Les auteurs constatent la progression fulgurante du nombre total de bacheliers de 1900 a nos jours. En 1971 les filles devancent les garcons en decrochant plus de baccalaureats. L’augmentation du nombre de bachelieres ne s’explique pas uniquement par des donnees demographiques et sociales mais egalement par leur « energie scolaire » ce qui montre que les filles ont ete les actrices de ce fait social.
Cette energie scolaire feminine se manifeste par d’avantage d’admissions au premier tour du baccalaureat et d’avantage de mentions que les garcons. Les donnees statistiques concernant le baccalaureat 2000 (regressions lineaires et cartes) permettent de degager quelques grandes tendances. En terme de taux d’acces au baccalaureat les filles progressent dans toutes les series mais les garcons progressent plus vite que les filles dans les filieres scientifiques alors que les filles progressent plus vite que les garcons dans les filieres litteraires.
Enfin plus le taux d’acces augmente pour les filles moins elles sont nombreuses dans les baccalaureat professionnels et techniques. Le baccalaureat est le temoin de l’amelioration rapide des scolarites feminines mais aussi des segregations qui se creent suivant les filieres, les filles etant plus souvent releguees dans les voies litteraires moins prometteuses. « La poussee des etudiantes, un phenomene mondial » Le but de ce chapitre, pour les auteurs, est de montrer que la situation des etudiantes est globalement la meme partout dans le monde.
Cela va leur permettre de generaliser leur analyse de la France a tout le monde : « L’avantage de notre tour du monde, on pourra le faire en restant chez soi ». La premiere correlation positive observee a l’echelle mondiale concerne le niveau de richesse et le nombre d’etudiants. La deuxieme relation indique que plus il y a d’etudiants plus il y a d’etudiantes. Enfin la diminution des ecarts entre les taux d’acces feminin et masculin est liee au developpement social.
Dans les pays pauvres le taux d’acces des femmes a l’universite est inferieur a celui des hommes alors que c’est l’inverse dans les pays riches. Un autre fait marquant que l’on retrouve dans la grande majorite des pays est la dominance des femmes dans certaines filieres tandis que les hommes en monopolisent d’autres. Ainsi les formations des artistes, du personnel de sante, des enseignants, des litteraires sont l’apanage des femmes dans la plupart des pays. (Les sciences medicales, de la sante et de l’hygiene sont a dominance feminine dans 78 pays sur 91). Mixite des structures, sexisme des mentalites » Des etudes revelent l’immobilite des idees, des comportements, des mentalites alors que les institutions (ecole) se sont transformees pour satisfaire des exigences de mixite, d’egalite hommes-femmes. Pour les deux auteurs, certains stereotypes traditionnels persistent aujourd’hui. Ils definissent le stereotype de sexe comme la maniere dont « chaque garcon et chaque fille est contraint de construire son identite personnelle en prenant position par rapport a des attentes sociales traditionnellement propres a son sexe. Une enquete nantaise avec des lycees professionnels symbolise bien la persistance de stereotype. On demandait aux eleves quelles etaient les qualites et les defauts des hommes et des femmes. Les qualites accordees aux garcons etaient « le gout du bricolage », « la force », « le courage » alors que celles accordees aux filles etaient « la beaute », « la tendresse », « la sensibilite », « la comprehension ». On retrouve donc une opposition entre la guerre, la force et la production d’un cote et le foyer de l’autre.
En ce qui concerne le partage des taches menageres vu par des lyceens de terminale, certaines taches sont considerees comme pouvant etre partagees (courses, factures, vaisselle) alors que d’autres son considerees comme relevant du domaine exclusivement feminin (menage et lessive) ou du domaine masculin (entretien de la voiture, bricolage). « Mathematiques, l’egalite des competences » Cette discipline occupe une place symbolique fondamentale dans l’univers scolaire car elle est souvent consideree comme celle qui permet de selectionner les esprits les plus intelligents.
Le fait de decouvrir une capacite moindre des filles dans cette discipline permettrait de justifier une perpetuation du sexisme. C. Baudelot et R. Establet vont donc, en s’appuyant sur des etudes quantitatives, renverser une idee recue, encore trop repandue, de l’inferiorite des filles en mathematiques. Ils se basent sur les evaluations organisees en CE2 et en sixieme par la DEP (Direction de l’evaluation et de la prospective). Il en ressort differentes observations : les filles s’en sortent mieux en francais que ce soit en primaire ou au college (ecart net entre les resultats) _ l’ecart de resultats pour les mathematiques est bien mois significatif. En CE2 les garcons ont l’avantage puis ce sont les filles en sixieme puis de nouveau les garcons en troisieme. _la variable de l’origine sociale est plus importante pour comprendre les ecarts entre les resultats que celle du sexe, qui n’apparait qu’en deuxieme position. _Suivant les exercices demandes, l’un des deux sexes a de meilleurs resultats : les exercices qui demandent une maitrise de la ision en trois dimensions des figures spatiales reussissent mieux aux garcons et les exercices qui demandent une maitrise efficace de la lecture de donnees –tableaux, statistiques- reussissent mieux aux filles. « Francais, la suprematie precoce des filles » Lorsque l’on observe les taux de reussite pour chaque exercice de francais de ces memes evaluations de la DEP, la suprematie des filles est incontestable. En CE2 leur taux de reussite est superieur 88 fois sur 88 exercices, en sixieme 101 sur 107 et en troisieme 86 fois sur 91.
Comment expliquer ces ecarts de taux de reussite ? Certains exercices clivent car ils sont mieux reussis par les filles : ceux qui consistent a respecter des regles formelles (respect de la ponctuation, orthographe, conjugaison, faire les accords …). D’autres exercices ne clivent pas c’est a dire qu’ils sont aussi bien reussis par les filles que par les garcons : ceux qui consistent a evaluer la comprehension et la communication du sens (comprendre un mot grace au contexte, tirer des informations d’un tableau de donnees, distinguer les differents sens du mot saisir etc…)
Quelle est l’explication donnee par le sociologue ? Malgre la mixite a l’ecole, les filles et les garcons se constituent un « capital d’experiences, d’interets et d’orientations » different. Autrement dit cette superiorite des filles n’est pas due a une difference de competences innees mais plutot a une difference de socialisation, d’orientations (les preceptes inculques plus particulierement aux filles : attention aux autres, respect des regles etablies). Maths au lycee, egalite des competences, divergence des orientations » Un paradoxe apparait au lycee alors que les eleves doivent choisir leur filiere. Filles et garcons atteignent le meme niveau en mathematiques et pourtant une proportion bien plus faible de filles que de garcons s’engage dans la voie scientifique comme s’il y avait une aversion des filles pour ces disciplines. Or la voie scientifique est le lieu de formation de l’elite scolaire. Cette situation montre le maintien des modeles traditionnels de sexe.
On peut expliquer cette contradiction par trois points qui caracterisent le modele traditionnel qu’on leur assigne: _moindre interet pour ce qui touche a la science, au rationnel : elles sont moins nombreuses que les hommes a considerer les maths comme leur matiere preferee (39 % contre 46 %) et sont encore moins a mettre la physique au premier plan (6%) _ moindre interet pour la competition : les garcons ont tendance a surestimer leurs competences en mathematiques contrairement aux filles.
La majorite des filles ayant des difficultes en maths disent ne pas aimer cette matiere alors que les garcons sont plus nombreux a dire aimer les maths malgre leurs problemes. La socialisation des garcons est differente et les pousse a aimer les maths pour etre vraiment considere comme un homme. _moindre investissement strictement professionnel : les anticipations masculines et feminines de la vie professionnelle sont differentes du fait des previsions des roles familiaux qu’ils vont devoir assumer conformement a leurs representations.
Ainsi les garcons considerent comme essentiel de gagner de l’argent (pour subvenir aux besoins du foyer) alors que le souhait essentiel des filles est de trouver un emploi qui laisse du temps libre (anticipation de l’education des enfants). « Sexe et origine sociale : deux regimes distincts d’inegalites » Les deux auteurs apres avoir observe les inegalites scolaires dues au sexe veulent regarder le lien entre trois variables : origine sociale, sexe et scolarite. Ils font quelques constats : _L’origine sociale est la premiere variable pour comprendre les inegalites scolaires, le sexe la deuxieme. Les inegalites sociales chez les filles sont moins pregnantes que chez les garcons. _ Plus l’origine sociale est elevee, plus l’ecart de sexe au sein de cette categorie sociale est faible. _ Les filles ont l’avantage en ce qui concerne leur socialisation scolaire : dans l’education traditionnelle des filles on accorde le primat a la presentation : proprete, image exterieure, soin et rangement. Ainsi elle s’integrent plus facilement au systeme scolaire : interiorisation des normes scolaires respect de leur statut d’eleve, cahier bien tenu, rangement du casier etc.. les garcons ont l’avantage en ce qui concerne la competition scolaire : dans les jeux pratiques par ceux-ci, ils doivent mettre leur fierte, leur ego, se transformer en heros (lutte contre les autres). Ainsi ils sont moins integres que les filles au cadre scolaire (anti-scolaire, bruyants) mais cela leur permet de prendre plus de distance avec les notes, de garder confiance en eux et de se surestimer, ce qui est tres utile pour la decision du passage en S par exemple. « Enseignement professionnel »
Les auteurs tentent ensuite de relever les differences entre lycee professionnel et lycee general. Les eleves ont une conception plus traditionnelle de la vie domestique (l’homme est le pourvoyeur, le producteur, la femme s’occupe prioritairement de sa famille). Pourtant plus on va vers les BEP les opinions traditionnelles se rapprochent de celles des lycees generaux. Or la reussite scolaire generalisee des femmes permet a ces dernieres d’acceder aux sections BEP en plus grand nombre que les hommes. « L’ecole en avance sur la famille et l’entreprise »
Le but des auteurs est ici de determiner d’ou vient la progression des scolarites feminines d’une part et comment elle est accueillie par la societe d’autre part. Certaines variables qu’implique le developpement economique aident a la progression de la scolarite et de l’emploi feminin. L’urbanisation a entraine la quasi-disparition de la famille productive autosuffisante (production de ses aliments, vetements). L’electromenager a reduit les taches domestiques ce qui a diminue le travail domestique et permis a la femme de rentrer sur le marche du travail.
La mecanisation a transforme les emplois au profit des femmes puisque la force physique requise pour ces emplois d’ordinaire masculins a diminue. La tertiarisation des societes a egalement cree de nouveaux emplois accessibles aux femmes. La progression des emplois et de la scolarite feminine ne se traduit pas necessairement par une egalite des sexes dans l’entreprise et la famille. Il existe une segregation du marche du travail entre emplois purement masculins (industrie) et des emplois purement feminins (secteur non marchand, tertiaire).
Malgre les progres de la technique dans la sphere privee, le travail domestique perdure et la repartition des taches entre les sexes n’a pas beaucoup change (dans 84% des cas la cuisine est faite par la femme, dans 90 % des cas le lavage du linge est effectue par les femmes). Enfin a qualification egale et dans tous les secteurs le salaire feminin est toujours inferieur au salaire masculin. Donc l’essor des scolarites feminines ne s’est pas repercute totalement dans la sphere familiale et professionnelle. « Ecole famille et profession quel arbitrage »
En fin d’ouvrage, C. Baudelot et R. Establet font la synthese des rapprochements qui se sont produits entre les sexes : la medecine s’est ouverte aux femmes, la vie professionnelle est maintenant une valeur pour les deux sexes, la presentation de soi est semblable entre hommes et femmes (jeans pour les femmes, hommes qui prennent soin de leur apparence), l’education des enfants est un domaine de plus en plus partage. Puis ils donnent les domaines dans lesquels filles et garcons restent fideles aux comportements qu’on leur a inculques.
Dans le domaine des loisirs, le sport et la competition qui l’accompagne est plutot pratique par les hommes alors que les femmes preferent le domaine de l’intime (loisirs interieurs, lecture de romans). Le taux de suicide reste bien superieur pour les hommes que pour les femmes malgre l’emploi plus important des femmes. L’automobile met en evidence les differences entre deux modes de conduites. Les hommes s’en sortent mieux dans les manoeuvres en ville car ils conduisent depuis plus longtemps mais ils conduisent plus vite, recoltent plus de contraventions et provoquent plus d’accidents que les femmes.
Enfin ils tentent de prevoir les scenarios envisageables dans l’avenir (apres 1992). La progression scolaire des filles ne s’arretera pas mais la crainte des sociologues se porte sur les changements de la societe civile qu’implique cet essor scolaire : changement dans la famille et dans l’entreprise. Pour la famille ils preconisent une politique de l’enfance (investissement dans le capital humain) tandis que pour l’entreprise la priorite est, selon eux, a une modification structurelle des rapports de travail (penibilite, horaires, modeles hierarchiques).
IV Les methodes sociologiques utilisees Il convient tout d’abord de preciser la methode generale utilisee par les sociologues. L’ouvrage s’articule sur une methode quantitative dans le sens ou il s’appuie sur des etudes chiffrees comme celle de la DEP (direction de l’evaluation et de la prospective de l’education nationale p. 95) qui mesure les connaissances acquises en CE2 puis en 6eme. Ils tentent de decouvrir de grandes tendances a partir de donnees. Par exemple ils etudient les donnees de l’UNESCO pour evaluer le nombre de personnes accedant aux etudes superieures.
Les auteurs ont souvent recours a des graphiques, des tableaux, des digrammes en barres, des schemas, des regressions lineaires pour appuyer leurs travaux sur des outils statistiques. Donnons quelques exemples. Le graphique page 248 montre l’evolution globale du taux de feminisation du corps medical entre 1980 et 2005. Avec une croissance reguliere et constante, le taux de feminisation est passe de 20% a 40 % en 2005. Ce graphique rend donc bien visible l’insertion des femmes dans un secteur d’emploi jusqu’alors reserve aux hommes.
Le tableau a double entree page 148 presente la proportion de filles et de garcons qui declarent que les maths ou la physique sont leur matiere preferee selon leur niveau en maths. On observe premierement que, plus le niveau en maths est eleve plus l’eleve fille ou garcon se declarera aimer les maths. Ce gout pour les maths chez les garcons de bon niveau se reporte sur la physique alors que ce n’est pas le cas chez les filles qui peuvent aimer les maths sans aimer la physique.
Ce constat permet aux auteurs de donner une explication aux divergences d’orientations pour les filles et les garcons a partir de la seconde. Les filles meme lorsqu’elles aiment les maths ne s’interessent peu a la connaissance rationnelle de la nature (exemple la physique) ce qui les pousse a s’eloigner des filieres scientifiques. Le diagramme en barre page 152 montre la proportion d’eleves (filles puis garcons) envisageant de faire une premiere S selon leur niveau reel et le niveau qu’ils estiment avoir. La tendance la plus evidente est que les garcons ont plus confiance en leurs capacites.
Parmi les eleves reellement bons, 90 % des garcons se considerent bons alors que ce n’est le cas seulement pour 55% des filles. La regression lineaire page 37 montre l’evolution de l’acces des filles et des garcons au bac L en 2000 en fonction du pourcentage de bac generaux et ce pour differentes villes francaises. On obtient ainsi deux nuages de points, un pour les filles et un pour les garcons. Les droites obtenues a partir des points montrent que le taux d’acces au bac L est bien plus eleve pour les filles et que son evolution croissante est soutenue a l’inverse des garcons.
Les filles se dirigent donc bien plus massivement que les garcons vers les baccalaureats L. Ces donnees, quelle que soit la maniere de les presenter, permettent au lecteur de suivre la demarche d’analyse du sociologue et parfois meme de tirer ses propres conclusions. De plus la presentation des donnees en tableau ou en graphique permet de donner au lecteur une vision d’ensemble du phenomene, ce qui est justement l’objectif de la sociologie du moins la sociologie durkheimienne : mettre en evidence des regularites sociales.
Or Christian Baudelot s’inscrit souvent dans une sociologie Durkheimienne comme en temoigne la reflexion, dans le dernier chapitre, sur le taux de suicide. Celui-ci reste plus eleve chez les hommes. L’attachement a la sociologie Durkheimienne se laisse egalement observer par la reference a Durkheim a la page 168 pour rappeler les fonctions que Durkheim rattache a l’ecole. Mais si globalement la methode est quantitative, des etudes plus qualitatives sont cependant presentes dans la demarche des deux sociologues.
Ces etudes « qualitatives » sont plus pertinentes pour percevoir des changements plus diffus comme les representations, les conceptions, les mentalites des individus. Ainsi les auteurs reprennent une etude de G. Felouzis dans Filles et garcons au college : comportements, dispositions et reussite scolaire en sixieme et cinquieme ou l’on demande a des eleves d’ecrire un texte dans lequel ils expriment ce que serait l’ecole qui leur plairait le plus.
Le lecteur peut donc lire quelques un de ces textes pour se rendre compte de la difference de conception entre filles et garcons. Il ne s’agit la pas d’une etude qui permet de mesurer quantitativement les representations des collegiens mais d’une etude qui permet de degager qualitativement les grandes tendances dans les differences de mentalites des filles et des garcons. C’est une methode qualitative en tant qu’elle consiste a analyser les discours de collegiens vis-a-vis de l’ecole.
Ainsi les auteurs remarquent souvent chez les garcons des conceptions anti-scolaires, des descriptions ou l’on tourne en derision l’ecole alors que chez les filles les descriptions sont plus realistes, elles proposent des ameliorations concretes pour l’ecole (plus d’arbres, plus de fenetres, de bons aliments a la cantine etc…). Une autre etude plus analytique et descriptive que quantitative est mise a profit par C. Baudelot et R. Establet : celle realisee en 1989-1990 par 40 etudiants en DEUG de sociologie a l’universite de Nantes.
On demande alors a des lyceens s’ils aiment beaucoup, bien, peu ou pas du tout les maths et pourquoi. Les reponses concernant le gout pour les maths donnent des resultats chiffres. En revanche l’explication fournie par les eleves donnent lieu a des analyses plus qualitatives. On en conclut que les filles s’expriment en privilegiant la subjectivite et l’affectivite (« j’aime parce que cela m’apporte ») alors que les garcons montrent une certaine objectivite et une distanciation par rapport a la discipline (« j’aime car c’est une matiere logique et precise »).
Ensuite, les auteurs privilegient une analyse meso-sociologique puisqu’ils se concentrent sur les relations qu’entretiennent les individus avec une institution : l’ecole, l’entreprise ou la famille. Les auteurs adoptent une demarche inductive dans la plupart des cas puisqu’ils partent de l’observation des donnees recensees dans des cartes de la France par regions, des graphiques, des tableaux pour en tirer de grandes tendances. Le but est ensuite d’expliquer la raison de ces tendances pour etablir une conclusion, voire une theorie.
L’analyse du bac 2000 au premier chapitre en est un bel exemple : les auteurs observent les resultats au baccalaureat puis en tirent les principales tendances. Ils remarquent notamment la surrepresentation des filles dans les filieres litteraires et la surrepresentation des hommes dans les filieres scientifiques. Ils expliquent dans, les chapitres suivants, les raisons des tendances observees en montrant la persistance des representations et stereotypes traditionnels. Le schema de l’analyse est donc le suivant : observation / degagement de grandes tendances / hypotheses pouvant expliquer ces tendances / theorie, conclusion.
Enfin, les auteurs nous confient leur reflexion quant a la demarche sociologique qu’ils utilisent. Ainsi a la page 22 ils expliquent l’utilisation du raisonnement toutes choses egales par ailleurs. La croissance des scolarites feminines peut etre biaisee par l’augmentation de la population ou par l’augmentation des etablissements secondaires. Par le raisonnement toutes choses etant egales par ailleurs, les auteurs en concluent que l’augmentation des scolarites feminines n’est pas due uniquement a des facteurs demographiques et sociaux mais aussi a la propre « energie scolaire » des filles.
En effet 90 400 diplomes ont ete obtenus grace aux evolutions sociales mais il reste 21 200 diplomes qui ne peuvent etre expliques par ces donnees et qui sont donc par consequent les resultats de l’energie scolaire des filles. Au deuxieme chapitre ils nous expliquent la raison d’une analyse centree sur la France. Ils cherchent les grandes tendances concernant le systeme scolaire au niveau international. Meme si bien sur des nuances entre les pays sont visibles, les auteurs concluent sur l’absence d’un systeme scolaire particulierement original sur les rapports hommes/femmes et sur une « monotonie » des systemes scolaires.
Le tour du monde effectue au chapitre 2 leur prouve qu’il n’y a pas de grandes differences entre les pays, ce qui leur permet de justifier une analyse strictement francaise. Ils partent du principe que cette analyse sera facilement generalisable. C’est ce qu’ils expriment avec cette formulation de phrase : « l’avantage de notre tour du monde, on pourra le faire en restant chez soi. » Parfois ils vont jusqu’a nous donner des methodes pour ne pas se laisser tromper par des chiffres.
Les auteurs constatent des resultats superieurs pour les garcons aux epreuves de mathematiques de la DEP en 3eme. Mais nous disent-ils cela ne correspond pas a une baisse de niveau des filles. En effet, en 3eme, une partie des eleves, garcons pour la plupart, ont ete reorientes vers la filiere professionnelle. Donc les garcons de 3eme sont le resultat d’une selection (les meilleurs en mathematiques sont restes) contrairement aux filles. Cette situation peut expliquer les ecarts de niveau entre filles et garcons. IV Commentaire, critiques, discussions
Premierement, on pourrait s’interroger sur la pertinence des etudes utilisees dans cet ouvrage par C. Baudelot et R. Establet. Expliquons. L’experience de Georges Felouzis realisee dans la region d’Aix Marseille consistait a proposer aux eleves une serie d’adjectifs qu’il fallait associer soit aux hommes soit aux femmes. Les auteurs en concluent une persistance des stereotypes de sexe. Or le simple acte du sociologue de selectionner certains adjectifs plutot que d’autres laisse peu de liberte de choix aux eleves.
La question est de savoir si instinctivement et individuellement les eleves auraient choisi les adjectifs « faible, charmeuse, caressante » pour les filles ou si le sociologue en choisissant ces adjectifs qui renvoient aux stereotypes incite les eleves a rester dans les conceptions traditionnelles de sexe. Deuxiemement, une question essentielle doit se poser, a savoir : Les femmes subissent-elles la segregation des filieres et de l’emploi et les stereotypes traditionnels ou sont-elles tout de meme actrices dans l’orientation de leurs etudes et de leur carriere professionnelle ?
C’est-a-dire, les femmes ne regardent-elles pas leur propre interet en preferant une filiere plutot qu’une autre ? La these des auteurs est plutot de dire que la socialisation, l’education, la societe construisent les representations feminines incitant ainsi les filles en seconde a choisir plutot la voie litteraire que scientifique. Mais est-ce a dire que les filles ne sont pas libres de choisir, qu’elles sont conditionnees par la societe ou ne font-elles parfois qu’exprimer un gout pour telle ou telle matiere ?
En effet, une des grandes questions qui emerge a la lecture de ce livre est de savoir si le gout des femmes pour telle ou telle filiere est librement consenti ou s’il n’est que le reflet de ce que la societe souhaite imposer aux femmes. Les auteurs penchent plutot pour cette deuxieme proposition. Ils expliquent a juste titre que les filieres purement scientifiques (premiere scientifique, prepas scientifiques, ecoles d’ingenieurs) se caracterisent par une plus grande competition, ce qui incite les femmes a eviter ces filieres pourtant porteuses de pouvoir, d’argent et de responsabilites.
La raison invoquee est que, dans leur education, les jeux pratiques, les valeurs inculquees ne les entrainent pas a la competition. Le « progres » pour les auteurs semble etre dans l’entree massive des filles dans les filieres scientifiques et competitives. Mais les femmes preferent peut etre les filieres des relations humaines (education, sante) car elles correspondent mieux aux objectifs qu’elles se sont fixees ou a un calcul rationnel : « la competition ne me convient pas, je serai plus epanouie dans un metier ou je me sens utile et au service des autres. Tout ceci n’est que supposition mais permet d’ouvrir la lecture que nous proposent C. Baudelot et R. Establet vers d’autres horizons qui ressemblent etrangement a une vieille opposition entre lecture holiste ou individualiste, entre une vision deterministe ou une vision qui laisse a l’individu le choix et la possibilite des raisonnements. ‘et