Pouvoir Catégorie centrale de la pensée politique moderne, la notion de pouvoir hérite d’une histoire complexe où la tradition de la philosophie antique (des sophistes à Aristote) se croise avec des représentations Issues du christianisme.
Les conflits d’attribution entre autorités temporelles (l’empereur et les princes) et spirituelles (le pape et l’Église) ont marqué tout le Moyen Âge européen, et si la fin des guerres de Religion (traités de Westphalie, 1648) a tranché la question du pouvoir politique au bénéfice des premières (les princes), la conception séculière du pouvoir ainsi que les structures de son organisation l’État) reconduisent antérieurement élab institutions ecclésiale La notion politique d d’agir », mais cette fa Sni* to View es structures glise et dans les énéral de « faculté dre d’un rapport avec d’autres hommes.
Elle voisine avec toute une série de notions apparentées dont elle se laisse parfois difficilement distinguer : force, puissance, domination, autorité, violence. La situation se retrouve dans toutes les grandes langues dans lesquelles la question du pouvoir a été problématisée en liaison avec la formation de la souveraineté de l’État moderne, et elle st démultipliée du fait que les découpages sémantiques ne sont pas homologues d’une langue à l’autre. Ainsi le terme allemand Macht
L’allemand Gewalt est généralement rendu par « violence n, mais il est aussi le terme qui équivaut au français « pouvoir » dans des expr Swlpe to vlew next page expressions telles que pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire. I – Pouvoir et domination Une tendance forte de la tradition politique des Modernes tend à identifier le « pouvoir » à l’État souverain. Abordé sous cet angle, le pouvoir apparaît indissociable de la domination, c’est- à-dire d’une relation dissymétrique entre des individus qui sont en position de commander et d’autres qui leur doivent obéissance.
Cette relation, dans laquelle la domination des uns a pour contrepartie la sujétion des autres, peut être mise en question quant à sa source, à sa légitimité, à son mode d’exercice. Les théories du pouvoir souverain divergent avant tout dans l’identification des sources d’où ce pouvoir tire son autorité (la volonté divine, la tradition, la volonté du peuple). Les conditions e la légitimité du pouvoir sont généralement déduites de ses sources, et les modalités souhaitables de son exercice sont à leur tour commandées par le type de légitimité retenu.
En dép•t de ces divergences, qui constituent un spectre allant des partisans de l’absolutisme royal jusqu’aux apôtres de la démocratie, les théories qui identifient pouvoir et souveraineté partagent une conception commune de la nature du pouvoir. On inscrira dans cette tradition aussi bien l’inventeur de la notion moderne de souveraineté, Jean Bodin (auteur des SIX Livres de la République, 1576), que les théoriciens contractualistes, e Thomas Hobbes à Jean-Jacques Rousseau.
On y inscrira également, pour l’époque contemporaine, Max Weber dont la célèbre définition de l’État L’État est cette communauté humaine qui, à l’intérieur d’un territoire déterminé revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence légitime ») est 9 revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence légitime ») est une formulation sociologique de ce que les théories juridiques nomment l’indivisibilité du pouvoir souverain.
La définition wébérienne souligne en outre a connivence entre pouvoir et violence, que les théories contractualistes de la souveraineté tendent au contraire ? refouler. La légitimité garantie par les conditions d’un contrat social originel (fiction par laquelle est établie l’obligation d’obéissance du sujet au souverain) est en effet supposée permettre de distinguer entre la contrainte exercée par le pouvoir et la simple violence.
En vérité, toutes les théories qui conçoivent le pouvoir comme domination doivent admettre l’éventualité d’une imposition violente de la loi du souverain dans le cas où le sujet ne s’y soumet pas de son plein gré. Il importe seulement que cette violence s’exerce dans des formes juridiquement codifiées. La juridification du pouvoir ouvre certes la possibilité d’une régulation de ses modalités d’exercice, mais elle ne peut éliminer la contrainte virtuellement impliquée dans l’identification du pouvoir et de la domination.
Aussi Michel Foucault est- il justifié à voir dans le pouvoir la réalité de la domination, et dans la « théorie du droit c’est-à-dire dans ses interprétations juridiques (contractualistes ou autres), un discours qui a pour fonction de masquer cette réalité (Il faut défendre la société, ours prononcé au Collège de France en 1976).
Il Le pouvoir sans la domination ? Prenant résolument le contre-pied de la logique des théories de l’État souverain, Hannah Arendt a proposé une conception du pouvoir qui l’oppose à la violence dans la mesure où elle le dissocie de la do proposé une conception du pouvoir qui l’oppose à la violence dans la mesure où elle le dissocie de la domination (On Violence, 1970).
Invoquant la distinction aristotélicienne entre le pouvoir despotique (celui du maitre sur l’esclave) et le pouvolr politlque proprement dit (celui qui lie entre eux des hommes libres, ?galement aptes à commander et à obéir), elle dénonce la réduction funeste du politique au domaine de la domination et elle propose de chercher dans l’isonomie, c’est-à-dire dans une organisation des égaux dans le cadre de la loi, le fondement d’un pouvoir ignorant la relation d’obédience hiérarchique.
Liant le pouvoir à l’action du groupe, c’est-à-dire d’un collectif dans lequel les individus sont librement engagés, elle reproche à Max Weber d’avoir fait de la violence la pré-condition du pouvoir et de n’avoir voulu voir dans celui-ci qu’une façade derrière laquelle se cacherait la violence. ? l’opposé, elle soutient que pouvoir et violence s’excluent mutuellement : l’absoluité de l’un implique l’inexistence de l’autre.
Malgré la différence apparemment insurmontable des deux conceptions, Arendt comme Weber reconnaissent dans la domination impersonnelle exercée par la bureaucratie administrative des États modernes le plus grave danger auquel soit exposé le pouvoir (et la liberté) à l’époque contemporaine. Cette convergence inattendue de leurs diagnostics enregistre le développement, dans l’histoire récente des sociétés modernes, de formes nouvelles de pouvoir qui ne se laissent penser ni dans es catégories du commandement et de l’obéissance, ni dans celles de l’action collective librement consentie.
Le pouvoir du marché de même que le pouvoir bureaucratique constituent des contraintes ano 2 pouvoir du marché de même que le pouvoir bureaucratique constituent des contraintes anonymes qui limitent les capacités d’intervention du pouvoir politique, que celui-ci soit identifié au pouvoir de l’État souverain ou à la pulssance d’un collectif consensuel. L’importance grandissante que ces contraintes anonymes acquièrent dans les formes contemporaines de la socialité est un spect de ce que lion nomme aujourd’hui « mondialisation » et elle s’accompagne d’une érosion tendancielle de la souveraineté étatique.
En réaction s’esquissent de nouvelles formes de problématisation du pouvoir qui vont de pair avec des manières nouvelles de concevoir le politique. Foucault suggère de cesser de parler du « pouvolr» au singulier et de s’intéresser plutôt au mode de fonctionnement concret des multiples relations de pouvoir qui coexistent à l’intérieur du corps social. Toni Negri invite à chercher du côté de la « multitude » un pouvoir riginel, dynamique, qui fonde, en même temps qu’il les déborde toujours, ses formes provisoires d’institutionnalisation (Le Pouvoir constituant, 1997).
De façon générale, la pluralisation des instances de pouvoir intervenant dans les processus de socialisation, pour autant qu’elle signifie la fin du « monopole de la violence légitime ouvre à l’action politique des espaces nouveaux, et elle suscite de ce fait des modes d’organisation inédits adaptés aux différents niveaux de la vie collective, du local jusqu’au global. Bibliographie R. Aron, Dix-Huit Leçons sur la société industrielle, coll. Idées, Gallimard, Paris, 1962 ; « Macht, power, puissance in Arch. urop. de sociol. , vol. V, no 1, 1964 G. Balandier, « L’Anthropologie africaniste et la question du pouvoir », in Cahiers i PAGF s 9 no 1, 1964 pouvoir », in Cahiers internat. de sociol. , t. LW, juill. -déc. 1978 p. Birnbaum, Dimensions du pouvoir, P. I_J. F. , pans, 1984 J. Bodin, Les Six Livres de la République, rev. par C. Frémont et al. , 6 vol. , in Corpus des œuvres de philosophie en langue française, Fayard, paris, 1986 F. Bourricaud, Esquisse d’une théorie de l’autorité, P. LJF. , 1961 M.
Crozier & J. -C. Thoeniga « La Régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif en France in Rev. franç. de sociol„ t. XVI, janv. -mars 1975 R. A. Dahl, Modern Political Analysis, Englewood Cliffs (N. J. ), 1963 R. Dahrendorf, Class and Class Conflict in Industrial Society, Stanford IJniversity Press, Stanford, 1959 j. Freund, L Essence du politique, Sirey, paris, 1965 P. Grémion, Le Pouvoir périphérique, Seuil, Paris, 1976 T. Hobbes, Léviathan, 1651, trad.
F. Tricaud, Sirey, Paris, 1971 B. de Jouvenel, Du pouvoir, rééd. Hachette, Paris, 1972 L. Moreau de Bellaing, LlÉtat et son autorité. L’idéologie paternaliste, thèse, Anthropos, Paris, 1976 J. -J. Rousseau, Œuvres complètes, B. Gagnebin et M. Raymond éd. , coll. La Pléiade, 5 vol. , paris, 1959-1995 M. Weber, Économie et société (Wirtschaft und Gesellschaft), trad. franç_ collective, t. l, Plon, 1971 C. Wright Mills, L ‘Élite du pouvoir, trad. franc. A. Chassigneux, Maspero, Paris, 1969.
Le pouvoir politique La lutte pour le pouvoir est au centre de la vie politique : selon les sociétés et les régimes, des partls, des factions, des clans ou des familles se battent pour prendre le pouvoir ou s’y maintenir. La réflexion sur le pouvoir est au centre de la philosophie politique : depuis Platon, elle 6 9 maintenir. La réflexion sur le pouvoir est au centre de la philosophie politique : depuis Platon, elle ne cesse de se demander comment et à quelles conditions un ou plusieurs hommes peuvent gouverner toute une cité.
Du procès de Socrate à l’affaire Dreyfus et aux purges staliniennes, des tueries de César Borgia aux camps de concentration hitlériens, le scandale de l’abus de pouvoir renouvelle toujours l’interrogation sur ce qui justifie le pouvoir politique et sur ce qui pousse tant d’hommes ? isquer leur vie ou à l’user pour conquérir le pouvoir et l’exercer. Si l’on en croit Alain, les hommes libres « savent bien que tout pouvoir abuse et abusera » (politique, LXVII). Et pourtant, même si l’on en rêve parfois, on ne conçoit pas de société humaine sans pouvoir.
Nombre de spécialistes contemporains définissent la science politique comme l’étude du pouvoir. Cette définition a été récemment contestée. Ainsi, James G. March trouve « décevant » le concept de pouvoir. Et Gérard Bergeron lui découvre trois tares qui le rendraient impropre à tout usage scientifique : il st trop vague ; il est ambigu ; il est chargé de toutes sortes de préjugés et de passions idéologiques (Fonctionnement de l’État). Mais que gagnerait-on à le remplacer, comme le propose cet auteur, par la notion de « contrôle » ?
Celle-ci n’est ni plus précise, ni moins équivoque : Bergeron ne lui reconnaît pas moins de six significations. En outre, elle n’est qu’apparemment neutre par rapport aux idéologies. En détournant l’attention des phénomènes de lutte et de domination, elle privilégie l’une des deux faces que Maurice Duverger distingue dans la politique : ‘une part, celle-ci manifeste les antagonismes sociaux ; d’autre part, elle produ 7 9 politique : d’une part, celle-ci manifeste les antagonismes sociaux ; d’autre part, elle produit « une certaine intégration de tous à la collectivité » (Introduction à la politique).
Or l’idéologie consiste à cacher l’un de ces deux aspects de la polltique pour ne montrer que l’autre. L’ambiguïté de l’idée de pouvoir exprime donc bien la réalité ambivalente qu’elle désigne. Comme le dit Georges Balandier, l’ambiguité est « un attribut fondamental du pouvoir ». II est « en même temps accepté (en tant que arant de l’ordre et de la sécurité), révéré (en raison de ses implications sacrées) et contesté (puisqu’il justifie et entretient l’inégalité) » (Anthropologie politique). ? cause de cette ambiguité, le pouvoir politique est l’objet de discussions dans lesquelles il n’est pas facile de faire la part du débat scientifique, qui vise à une connaissance plus exacte, et de la controverse idéologique, qui cherche à faire prévaloir des opinions et des intérêts précisément liés aux conflits politiques.
Chercher ? savoir clairement ce qu’est le pouvoir politique n’est donc pas eulement le souci et l’affaire des spécialistes philosophes, sociologues ou « politicologues » ; c’est aussi, pour tout citoyen qui s’intéresse quelque peu à la vie politique, le moyen de mieux comprendre ce qu’il vit et ce qu’il falt. Car il ne s’agit pas seulement de l’objet de la science politique ; il s’agit surtout de l’enjeu de l’action politique.
En comparant systématiquement des sociétés à la fois très différentes les unes des autres et très différentes de la nôtre, ce qui permet de prendre du recul à l’égard de nos engagements et convictions, la sociologie t l’anthropologie politiques nous aident à penser moins confusément cet Ob convictions, la sociologie et l’anthropologie politiques nous aident à penser moins confusément cet objet ambigu, cet enjeu âprement disputé. I – Nature et caractéristiques Pouvoir, puissance, influence un groupe est un ensemble de personnes qui ont entre elles des rapports réglés, relatifs à une ou plusieurs activités communes.
Les actions collectives et la coordination des conduites individuelles qu’elles impliquent, l’établissement et l’application des règles exigent que des décisions soient prises et exécutées. Le pouvoir est l’ensemble des processus et des rôles sociaux par lesquels sont effectivement prises et exécutées ces décisions qui engagent et obligent tout le groupe. Selon les groupes, les sociétés et les cultures (et parfois, pour un même groupe, selon le genre d’activité), la manière de décider varie, ainsi que les voies et moyens d’exécution.
Dans un campement de Tehuelche, Indiens nomades de Patagonie (Argentine), composé de cinq à trente familles (soixante à neuf cents personnes), le chef décidait seul des déplacements du camp et dirigeait la chasse : le soir, pour le lendemain, il communiquait es décisions par un discours à voix haute prononcé de l’intérieur de sa tente. Il était écouté en silence, et obéi sans discusslon. Mais pour la guerre, il devait réunir le conseil des guerriers et obtenir leur consentement unanime à tous les détails des opérations projetées.
Les débats duraient parfois plusieurs jours et il arrivait que les propositions du chef fussent rejetées. Dans la plupart des sociétés lignagères, en Afrique et en Océanie, les décisions sont prises à l’unanimité par les anciens. Dans la familia romaine, dans la seigneurie ou le monastère du Moyen Âge, dans a guild PAGF 9 familia romaine, dans la seigneurie ou le monastère du Moyen Âge, dans la guilde de marchands européens au xiie siècle ou japonais au début du xixe dans les grandes firmes industrielles modernes, les modalités du processus de décision sont bien différentes.
Mais il y a toujours un pouvoir qui décide, règle, commande et sanctionne. Ainsi défini, le pouvoir ne peut être confondu ni avec l’influence, ni avec la puissance sociale. L’influence est une relation sociale dans laquelle une personne (ou un groupe) modifie le comportement d’une autre personne (ou d’un autre groupe) par n simple processus de communication. La puissance sociale est une relation dans laquelle la modification de la conduite d’autrui est obtenue grâce aux sanctlons (positives ou négatives, avantages ou privations) que l’on est capable de lui appliquer (R.
A. Dahl, Modern Political Analysis). Les sanctions peuvent être économiques (biens et services), « morales » (honneur ou infamie, approbation ou réprobation), physiques (plaisir ou douleur), etc. Dans un camp de Tehuelche, il se peut que certains guerriers, fameux par leurs exploits, aient plus d’influence que d’autres dans e conseil quand on y discute d’un projet d’expédition militaire.
Les sophistes et rhéteurs du temps de Socrate prétendaient bien apprendre à leurs discples à influer par l’art oratoire sur les décisions de l’assemblée du peuple athénien. L’ethnologue R. Barton raconte que, chez les montagnards Ifugao du nord de Luçon (Philippines), qui n’ont pas de juges pour régler leurs querelles mais seulement des médiateurs choisis par les familles adverses, ceux-ci ne réussissent dans leurs laborieuses négociations que grâce à leur puissance, elle-même liée à leur richesse