442-454. http://vww. persee. fr 0035-2969 1978 nu Les limites de l’indivi A propos des Effets p par Philippe PERRENOUD 03 Premium gy Rabii-AIIouaddi vapTa II, 2015 31 pages Philippe Perrenoud Les limites de l’individualisme méthodologique. A propos des Effets pervers et ordre social de Raymond Boudon ln: Revue française de sociologie. 1978, 19-3. pp. 442-454. Citer ce document / Cite this document : Perrenoud Philippe. Les limites de l’individualisme méthodologique.
A propos des Effets pervers et ordre social de Raymond Boudon. ln: Revue française de sociologie. 1978, 19-3. pp. Sni* to View ript/article/rfsoc R. Boudon * Le livre se compose d’un ensemble de textes déjà publiés ou présentés dans des cadres divers. Chacun peut se lire séparément, et mériterait un compterendu et une discussion spécifiques. On s’en tiendra ici à ce qul fait l’unité indéniable de l’ouvrage, et lui donne son titre.
Les effets pervers sont définis comme les effets individuels ou collectifs qui résultent de la juxtaposition de comportements individuels sans être inclus dans les objectifs recherchés par les acteurs » (p. 10). Appelés aussi effets de composition ou d’agrégation, ils sont ndividuelles pour la bonne raison que ces actions apparaissent étroitement déterminées par l’organisation sociale, qu’elle soit conçue en termes de
Or pour Boudon, « la sociologie rencontre fréquemment pour sa part des situations où les phénomènes macrosociaux qu’elle étudie sont le résultat de la composition d’actions se manifestant dans un contexte d « état de nature c’est-à-dire dans un contexte où chaque individu est placé par les institutions dans une situation telle qu’il peut se déterminer ndépendamment de toute entente avec autrui et de toute approbation de la part d’autrui, et plus généralement sans risquer de sanction (morale ou légale) pour les effets que ses actions pour raient entrainer sur le bien-être d’autrui» (p. 25). Ainsi, chez Marx, la baisse tendancielle du taux de profit résulte non pas d’une polltique mais de l’agrégation des décisions d’investissement prises isolément par chaque capitaliste. Chez Tocqueville, le faible développement de l’agriculture et du commerce en France, sous l’Ancien Régime, par rapport à l’Angleterre s’explique par la ropension des propriétaires terriens ou des commerçants à convertir leur bien en une charge publique.
Les effets de composition sont loin d’ailleurs de procéder uniquement d’ac tions non liées : « des effets de composition peuvent apparaître dans le cas de toutes les structures d’int elles-ci soient PAGF 7 1 concertées, liées par un système de rôles complémen* Boudon (Raymond) : Effets pervers et ordre social. Paris, Presses Universi442 taires de France, 1977, 287 p. , tabl„ index. 69 F (Sociologies). Notes critiques taires ou de règles convenues, elles peuvent, outre les effets oulus ou prévus par les acteurs, en produire d’autres, inattendus, et parfois susceptibles d’entrer en contradiction avec les premiers.
Boudon, sans affirmer que tous les phénomènes macro-sociaux résultent de la composition d’actions individuelles non concertées, plaide cependant pour le recours plus fréquent, en sociologie, à ce quH appellera le « paradigme des effets pervers Estimant qu’il est peu utile de discourir de façon abs traite d’un paradigme, et que la meilleure façon de le défendre est d’en présenter de nombreux exemples, Boudon s’y appliquera tout au long de ‘ouvrage, en empruntant à ses propres travaux sur l’éducation et la mobilité, mais aussi à la littérature économique, politologique ou sociologique nombre d’illustrations convaincantes.
Si le lecteur reste un peu sur sa faim en ce qui concerne la construction du concept d’effets pervers, la typologie des effets de composition, l’idée même de perversité, il achèvera en revanche la lecture persuadé, au PAGF 3 1 d’un paradigme. Boudon part en guerre contre le sociologisme et ses variantes . « hyperfonctionnalisme, l’hyperculturalisme, le réalisme totalitaire.
La société n’est pas une vaste organisation régie par des règles et des rôles, n’est pas un ensemble d’individus programmés par leur socialisation, n’est pas une formation sociale gérée sans partage par une classe dominante à travers les rapports de product et l’appareil d’Etat. Par certains aspects, l’entreprise de Boudon n’est pas sans rappeler, non sans paradoxe, celle de Touraine. Du moins dans le refus d’une image simplificatrice de l’ordre social. Mais Boudon ne proposera pas une image alternative, sinon en creux, par la distance prise ? l’égard des théo ries qui ont cours.
Il s’attachera en revanche à l’image d’un homo sociologicus auquel serait rendue la liberté que lui dénie le sociologisme. Boudon définit Vhomo sociologicus comme « un acteur intentionnel doté d’un ensemble de préférences, cherchant les moyens acceptables de réaliser ses objectifs, plus ou moins conscient du degré de contrôle dont A dispose sur les éléments de la situation (conscient en d’autres termes des contraintes structu rellesqui limitent ses possibilités d’action) , aglssant en fonction d’une information limitée et dans une situation d’incertitude » (p. 4). Cette image e Ihomme est très proche de celle que ro ose la psychologie piagétienne, et le m’y rallie 1 Boudon sur cette image de l’acteur va largement au-delà du minimum requis par la défense et Illustration du paradigme des effets pervers. C’est à une théorie générale de l’action individuelle dans ses rapports à l’ordre social que Boudon entend contribuer. Le problème n’est pas neuf, mas il n’est pas résolu.
On ne peut attendre d’un seul livre une solution définitive. Les thèses de Boudon ont le mérite de provoquer la discussion. Je regretterai seulement qu’elles se définissent souvent par pposition à des courants de pensées présentés de façon schématique, sinon caricaturale. En désignant plus explicitement et en déformant moins les idées qu’il entend réfuter, pour ne pas dire disqualifier, Boudon se serait obligé à davantage de nuances.
En outre, dans le mouvement de balancier entre le réalisme totalitaire et l’atomisme, peut-être par réaction contre la soclologie qui lui semble dominante en France, Boudon me paraît fort proche de l’individualisme, ou de ce que 443 Revue française de sociologie François Bourricaud nomme le « néo-individualisme », et u’illustrent les travaux récents de Downs, Hirschmann ou Oison (1 Faut-il rappeler que si Piaget dénonce le réalisme totalitaire, il ne plaide pas pour l’individualisme, fûtil méthodologique, mais pour une solution médiane : la totalité sociale est con ue comme « un système de r hacun engendre, en tant PAGF s 1 les lois de composition qui sont de l’ordre de la juxtaposition involontaire plus que de la coordination déli bérée, par le fait même que le paradigme des effets pervers éclaire des phéno mènes d’autant plus significatifs sociologiquement que les effets des actions ndividuelles sont réellement pervers, autrement dit indésirables, parasites, con traires aux intentions des acteurs. Mals l’enjeu théorlque n’est pas tant le paradlgme des effets pervers comme tel, même s’il appelle certaines clarifications typologiques. Nul sociologue ne niera le fait que certains phénomènes macrosociaux, en particulier d’ordre économique ou démographique, résultent de la composition d’actions individuelles non concertées. Nul ne contestera à Boudon le droit de s’intéresser particull èrement aux effets de composition.
Le débat s’engagera dès lors que l’individua isme méthodologique, parfaitement justifié à propos des effets pervers, paraît devenir le modèle privilégié d’intelligibilité de l’ordre social. Cest à ce niveau que je situerai la présente discussion, en ayant bien conscience de ne pas rendre justice à la diversité et à la finesse des analyses développées dans les chapitres consacrés aux institutions universitaires après 1968, aux Instituts Unive hnoloeie et à leur public, ? PAGF 1 dernier chapitres. Les effets pervers générateurs de changement social Boudon ne propose ni une théorie globale du changement social, ni une xplication du changement par les seuls effets pervers. Avec beaucoup d’autres, il est convaincu que la recherche de lois de l’histoire ou de facteurs dominants du changement constitue une impasse.
Il y a au contraire une pluralité de méca nismes : « selon les cas, le changement social peut donc être dû ? des conflits ou oppositions d’intérêt, à des décalages ou conflits (conflits ayant ici le sens de contradiction) entre institutions, à des changements localisés ayant des effets d’irradiation» (p. 20). Les effets pervers constituent un mécanisme générateur de changement parmi d’autres, mais omniprésent ans les sociétés industrielles complexes. Les effets pervers peuvent par exemple entrainer l’échec d’une politique, donc les contestations, les désillusions, les crises de confiance qui peuvent transformer les équilibres ou même les régimes politiques.
Ainsi de la relative démocratisation de l’enseignement qui, en raison d’effets pervers analysés ai ‘leurs (3) , n’a pas entrainé d’accroissement de la mobilité sociale ou de diminution des inégalités de revenus. Ces effets pervers sont peut-être « la cause profonde (1 ) François Bourricaud, « Contre le sociologisme : une critiqu ans les sociétés industrielles. Parce qu’inat tendus, us ont provoqué un immense désenchantement sur les vertus sociales et politiques de l’éducation. parce que pervers ils ont provoqué un sentiment de doute sur les finalités des systèmes d’éducation et d’impuissance sur la ma mere de les gérer » (p. 38).
On peut évidemment diverger d’opinion quant ? l’ampleur et aux causes de la crise ou du désenchantement. L hypothèse a le mérite de mettre en évidence l’un des mécanismes par lesquels les effets pervers peuvent engendrer le changement social. Il y en a d’autres, otamment ceux qui résultent de la prise de conscience des effets pervers et de la volonté de les neutraliser. Boudon se référera souvent, dans ce chapitre comme dans l’ensemble de l’ouvrage, au livre de Mancur Oison, The Logic of Collective Action, et aux diverses situations dans lesquelles, en raison d’effets pervers, les membres d’un groupe inorganisé supportent tous des inconvénients qu’une action collective parviendrait à supprimer.
L’opportunité d’entreprendre une telle action et d’en assumer le coût social (contraintes nouvelles, organisation) divisera d’ailleurs les acteurs, t deviendra l’enjeu d’un conflit. Mais Boudon note que, de façon générale, les effets pervers engendrent des conflits non seulement à propos de leur neutralisation, mais parce qu’ils induisent des uilibre ou de tension. PAGF E 1 sociétés comme programmées ou programmables. En bref, les contradictions ne débouchent sur aucune synthèse et les conflits chroniques me paraissent devoir être beaucoup plus caractéristiques des sociétés industrielles que la programmation souhaitée par certains et redoutée par d’autres » (p. 13).
LJne telle conception explique l’atten tion rivfiégiée portée par Boudon aux effets pervers dans la dynamique macros octale, par opposition à la planification conduite par l’appareil d’Etat ou à la production de la société par elle-même, à travers les mouvements sociaux ou l’appropriation de l’historicité par une classe dominante. On saisit chez Boudon l’image d’un ordre social sans cesse défait et refait au gré ou collectives dont les acteurs ne maîtrisent pas tous les effets, tant sont nombreuses les structures d’interdépendance. On conçoit qu’une telle image n’incline pas à une théorie de l’équilibre ou de la reproduction. Avec le chapitre suivant « Après 1968 nous ne quittons pas la problématique du changement, mais il s’agit cette fois des effets, voulus ou non, positifs ou négatifs, des réformes du système universitaire français après 1968.
L’article est, avec le suivant, lui aussi consacré à la sociologie de l’enseignement supé rieur, placé sous le titre commun « Institutions scolaires et effets pervers Ces deux textes visent à c nalyse des relations entre PAGF 31 d’action et de décision des individus » (p. 59) . L’analyse des effets du changement passe donc par l’étude des modifications qu’il a apportées aux champs ‘action et de décisions des individus. pour Boudon, « une donnée institutionnelle de base domine la vie universit aire française avant et après 1968 : la structure quantitative et qualitative des flux est le résultat de l’agrégation des décisions scolaires individuelles. En raison du prlncipe du libre accès à l’université, la régulation de ces flux ne peut être obtenue par une intervention directe sur ces flux, mais seulement par la création d’incitations adventices » (p. 62).
Ce qui signifie que l’accroissement des taux de scolarisation secondaire se répercute très largement sur la emande de for445 mation universitaire ; dans la mesure où la structure des emplois ne se trans forme pas au même rythme, on assiste au processus connu de surqualification des jeunes et de dévalorisation des diplômes. A ces effets pervers s’en ajoutent d’autres. Ainsi par exemple la multiplication des formations universitaires ne semble-t-elle pas exercer l’effet attendu sur le développement économique, en particulier parce que l’extension du public passe par sa féminisation et une relative démocratisation de son recrutement. Ce qui conduit ? une orientation