Comment le Français est devenu langue officielle (adapté de mon »lntroduction à l’histoire de la langue française », Armand colin). par Michèle Perret, Linguistique, samedi 11 septembre 2010, 00:31 1.
Vers un statut de I Langue officielle et la or 16 ue Les serments de Strasbourg (842) ont été le premier acte officiel qui reconnaisse la langue vernaculaire ( = dialectalee) du royaume de Charles le Chauve, cette langue était encore loin d’être la langue nationale du pays, aussi bien parce que le latin continuait à être utilisé dans toutes les formes de communication, orales u écrites, qui ne relevaient pas de la vie quotidienne que parce qu’il n’existait même pas, pour l’expression parlée ordinaire, une langue commune à tous les habitants du territoire.
On peut considérer que la France a connu, jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, une double situatlon de diglossie : selon les milieux. latin/ français standard ou français standard/dialectes. ‘extension du français eut donc à se faire à la fois au régulariser et à se figer – en un mot, à entrer dans un processus de standardisation (= régularisation). Elle devient alors mieux adaptée à l’intercompréhension et, de ce fait, elle a tendance ? ?tre adoptée comme seconde langue par des
On peut voir le processus en cours, à l’heure actuelle, dans certains pays africains : l’on y observe la montée d’une langue majoritaire, comme par exemple le wolof au Sénégal, alors que le français y demeure la langue officielle. Mais, par rapport à ces situations contemporaines, l’originalité de l’histoire de la langue française est qu’elle a acquis son statut de langue officielle – et en tout premier lieu de langue de l’administration – bien avant d’être langue majoritaire.
Le latin, langue officielle On peut considérer qu’une langue pleinement officielle est la langue qu’une nation utilise comme langue administrative et comme langue de son enseignement. Dans les régimes où il ny a pas de séparation entre la religion et l’état, ce qui est le cas aux origines du français, on peut aussi considérer comme langue officielle la langue du culte (voir, aujourd’hui, le statut de l’arabe classique dans les pays islamiques).
Enfin, on étendra encore cette notion à la langue de l’expression littéraire et scientifique, parce que c’est l’aptitude, pour une langue, à exprimer des otions complexes et abstraites qui permet son ascension. Or, dans les tout débuts de l’histoire du français, ce rôle était tenu par le latin qui s’était imposé comme langue officielle face au celte des Gaulois et s’était maintenu comme langue officielle malgré l’invasion germanique des Francs. Langue de l’administration (gallo-romaine 16 officielle malgré l’invasion germanique des Francs.
Langue de l’administration (gallo-romaine, puis franque), langue du culte chrétien, langue de l’enseignement et en particulier de la formation des ecclésiastiques (les clercs), le latin était aussi la angue de ce qui subsistait de littérature et de science. Ainsi, les premiers reculs du latin comme langue officielle, qui peuvent être datés du concile de Tours (813) et des Serments de Strasbourg, (842), sont loin d’officialiser complètement le proto-français ancêtre du français moderne) dont on peut se demander qui l’utilise, à l’époque, et à quoi il sert. 2.
Le français dans la littérature et dans les sciences. Emergence dune littérature en français Les premières Vies de saints, plus ou moins fictionnelles, avaient été écrites en ce latin appauvri de l’époque mérovingienne, ais, quelques temps après le concile de Tours, les clercs commencèrent à mettre par écrit en langue vernaculaire des textes religieux (fragment dit de la Cantilène de sainte Eulalie, passlon du Christ, Vie de saint Léger). L’utillsatlon de l’écriture pour transcrire un parler jusque- à oral se fit d’abord à des fins idéologiques, pour l’édification du public.
Mais très vite une importante production de fictions en ancien français a commencé : premières rédactions d’épopées (La chanson de Roland daterait de 1086) qui avaient sans doute circulé oralement uparavant, puis premiers « romans » et au milieu du siècle suivant, les romans dits « antiques », qui se donnent pour but de mettre en langue vernaculaire, en roman, les grands textes de la littérature ancienne accessibles jusque là aux seuls clercs, bientôt suivls par les romans dits « bretons » parce qu’ils font une large p jusque là aux seuls clercs, bientôt suivis par les romans dits « bretons » parce qu’ils font une large place à la légende du roi Arthur, roi mythique d’Outre-Manche.
Parallèlement se développait une poésie courtoise inspirée de celle des troubadours en langue d’oc. Enfin, on représenta les premières pièces de théâtre profane en ancien français. (Ecnre en roman ou écrire un roman Le mot « roman », dans les premiers temps, a désigné la langue maternelle, cette rustica romana lingua qui s’opposait au latin des clercs. Quand, vers le milieu du XIIe siècle, des érudits s’avisèrent d’adapter, à l’intention d’un public éclairé, mais ignorant le latin, les grands textes de fiction de la littérature antique, ils parlèrent de les « mettre en roman », c’est-à-dire de les traduire en langue vernaculaire.
Plus tard, d’autres lettrés commencerent à mettre n écrit et à arranger à leur manière des éléments tirés de la littérature orale et du folklore celte : ils parlèrent aussi de les « mettre en roman », mais le mot commençait à changer de sens et certains disaient déjà qu’ils faisaient un « roman » à partir d’un conte (peut-être entendaient-ils par là ‘faire oeuvre littéraire ? partir d’éléments oraux’). Et c’est ainsi que le mot roman prit le sens que nous lui connaissons actuellement d’œuvre de fiction longue et complexe. ) Cependant, le XIO et le XII• siècle ont aussi connu une importante ittérature latine poétique (les Goliards), didactique, cientifique et fictionnelle, en vers et en prose. On peut par exemple citer les noms d’Alain de Lille, de Gautier de Châtillon et d’André le Chapelain, le théoricien de l’amour courtois. courtois.
Généralisation de la prose en français Si, au XIIO siècle, les fictions se rédigent encore uniquement en vers, la prose apparaît dans quelques très rares textes didactiques, des traités de pierres précieuses (Lapidaires) ou des descriptions de tous les animaux connus ou imaginaires (Bestiaires, plutôt au XIIIO siècle) ; elle est aussi utilisée dans la traduction de quelques textes religieux. Il faut attendre le XIIIa siècle pour voir la forme prose se répandre dans l’écriture de l’histoire et dans celle de la fiction. Cette apparition de la langue française d’abord très majo itairement en vers (bien entendu, les Serments de Strasbourg font exception) n’a rien d’exceptionnel pour une première transcription de langues orales, du fait du caractère très Olthmique de la littérature orale, dont l’écrit est long ? s ‘émanciper.
Textes non littéraires en français Cest fin XIII’ et surtout aux XIV a et XV 0 siècles que commencent vraiment à paraître des textes non littéraires en angue vernaculaire, l’histoire et les chroniques (Villehardouin, Joinville, Froissart, Commynes), les recueils juridiques, comme les Coutumes du Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir, les textes techniques comme la Chirurgie d’Henri de Mondeville. Cest aussi alors que commencent les traductions des textes importants de l’antiquité, en particulier sous l’influence de Charles V : Bersuire traduit Tite-Live, Oresme traduit Aristote (dont le traité des Météores avait été mis en français bien plus tôt). On traduit aussi en français le code Justinien. Aussi y a-t-il à cette é o ue un important travail de réation lexicale, de nomb ants empruntés au latin, création lexicale, de nombreux mots savants empruntés au latin, comme spéculation, limitation, existence, évidence, attribution entrent dans la langue.
Ces néologismes apparaissent sous la plume des premiers humanistes qui transfèrent ainsi dans la langue française des concepts et des mots qu’ils trouvent dans les textes qu’ils pratiquent. Premières réflexions linguistiques sur le français Au XVIa siècle, le mouvement se précipite : manuels de chirurgie (la chirurgie n’était pas considérée comme une science oble), mais aussi de médecine : Ambroise Paré (1517-1590) écrit tous ses livres en français. On continue aussl à tradulre les grandes oeuvres de l’antiquité : Charles Estienne traduit Térence et Hugues Salel, Homère. Tandis que la culture humaniste s’approfondit, on commence à dire qu’aucun genre n’est interdit à la langue française.
Cest l’un des thèmes de la Défense et illustration de la langue française de Du Bellay, ouvrage moins original que l’on a voulu le croire, mais qui, comme la préface de la Franciade de Ronsard, se fait le défenseur de la littérature en rançais. Cest surtout au XVI’ siècle que commencent à paraître les premières réflexions sur la langue française, avec des grammairiens comme Jacques Dubois, Meigret (raisonnement normatif sur le bon et le mauvais usage, tentative de réforme de l’orthographe – déjà ! – en proposant une orthographe phonétique), Ramuz ou les Estienne qui font paraître les premiers dictionnaires (latin/français en 1532, français/latin en 1539).
Les toutes premières descriptions de la langue française sont cependant un peu plus anciennes (fin du XIIIe siècle) : elles ont vu e jour en Angleterre, et étaient destinées à la formation d 6 6 siècle) : elles ont vu le jour en Angleterre, et étaient destinées ? la formation des Anglais. La plus connue de ces grammaires est l’Eclaircissement de la langue française de Palsgrave (1530). Visée internationale du français scientifique A partir du XVIIO siècle, le latin cesse d’être utilisé dans la littérature, mais reste la langue internationale dans laquelle les scientifiques qui veulent être lus de leurs pairs à travers toute l’Europe se doivent d’écrire (disons qu’il a un peu le statut de ‘anglo-américain pour les publications scientifiques actuelles).
Ainsi, Descartes écrit ses premiers ouvrages en latin et si le Discours de la méthode (1637) est en français, une traduction latine en est vite donnée sept ans plus tard. Descartes se justifie en ces termes d’avoir écrit un ouvrage philosophique en français : « Si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens. ( Descartes, Discours de la méthode, Vrin, 1966, p. 144-145) A la fin du XVIIID siècle, le botaniste Jussieu écrit encore en latin son ouvrage le plus important : Genera plantarum secundum ordines naturales (1637).
Cependant, de grandes oeuvres de vulgarisation scientifique se font en français, enrichissant ainsi considérablement la terminologie scientifique : on peut citer Réaumur (Histoire naturelle des insectes), Fontenelle et ses Entretiens sur la pluralité des mondes, et surtout l’Encyclopédie (8 volumes) qui commence à paraître en 1751. Au XIXO siècle, seuls quelques discours ac 7 6 Au XIXO siècle, seuls quelques discours académiques se font encore en latin. 3. Le français dans l’administration Bien que le latin ait d’abord été perçu comme la langue universelle et stable dont le droit a besoin, la progression de l’enquête judiciaire au cours du XIIIe siècle a entraîne, à terme, le passage au français dans les actes administratifs.
Dans l’administration locale, l’essor du français date du dernier tiers du XIIIe siècle (les premières chartes en français apparaissent dans les villes du Nord début XIIIe, le premier document original daterait même de la fin du XIIe). Dans les actes émanant directement du pouvoir royal, le latin, plus solennel, est seul utilisé presque jusqu’à la fin du XIIIe siècle et la première avancée spectaculaire date du règne de Charles IV (1322-1328), mais la progression n’a pas été constante et a dépendu de la politique linguistique des rois au pouvoir ainsi que de la nature des actes. Enfin, à partir de la fin du XIVe siècle, le français a commencé à être perçu par les théoriciens du pouvoir royal comme langue identitaire du roi et de la France.
La victoire du français comme langue officielle sera onsacrée le 15 août 1539 par François Ier, lors de l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui stipule que désormais tous les actes administratifs seront passés en français : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrests, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et escrits si clairement, qu’il n’y ait ne puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude, ne lieu à demander interprétation. interprétation. Et pour ce que de telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus esdits arrests, ensemble toutes autres procédures, soient prononcez, enregistrez t delivrez aux parties en langaige maternel françois et non autrement. (Ordonnance de Villers-Cotterêts, articles 110 et 1 1 1) Cette mesure, prise autant pour faciliter le travail de l’administration, dont certains membres ignoraient le latin, que pour imposer la langue du roi dans les provinces, fit du français la langue de l’état. Ces prescriptions ont ensuite été étendues, au cours du XVIIO siècle, à la justice ecclésiastique et aux provinces limitrophes : Béarn (1621), Flandre (1684), Alsace (1685), Roussillon (1700 et 1753). Puis la Révolution reprend et renforce es décisions de l’Ancien Régime en stipulant qu’aucun acte, public ou passé sous seing privé, ne pourrait, dans quelque partie du territoire de a République, être écrit autrement qu’en langue française (loi du 2 thermidor an Il). 4.
Le français dans le culte Cest dans le culte catholique que le français a le plus longtemps été concurrencé par le latin, puisqu’il a fallu attendre la seconde moitié du XX’ siècle pour que la messe ne soit plus dite en latin. En effet, si, dès 813, le concile de Tours avait permis aux prêtres de faire leurs sermons et d’ex liquer le dogme en langue uleaire, le reste des offic tration des sacrements se PAGF 400, par saint Jérôme. L’Eglise s’était opposée à toute traduction en langue vulgaire, par crainte d’hérésie. Il existait cependant au Moyen Age des écrits religieux en français et le catéchisme se faisait aussl en françals.
Cest au XVIO siècle que le français fit vraiment son apparition dans la langue religieuse. Ceux qui voulaient une réforme de l’Église préconisèrent, dans un premier temps, un retour aux Ecritures en grec et en hébreu, dans un second temps, la traduction de ces textes dans les langues parlées par le peuple, e façon à permettre à tous d’y avoir accès. Ainsi, en Allemagne, Luther donnait une version allemande de la Bible. En France, en 1523, Lefèvre d’Etaples tradulsit le Nouveau Testament en français, traduction bientôt suivie de celle de la Bible. Un certain intérêt pour des lectures de l’Evangile en langue vulgaire se fit jour.
Mais c’est chez les partisans de la Réforme que le mouvement prit toute son ampleur : en 1 535, Olivetan, cousin de Calvin, donne une traduction calviniste de la Bible, en 1 541 Calvin traduit en français son Institution de la religion chrétienne d’abord ?crite en latin (1536). A partir de 1 550, le français est la langue de l’église protestante dans tous les pays de langue française. Du côté catholique, la résistance au français comme langue religieuse devient alors acharnée : condamnation de l’usage de la langue vulgaire par la Sorbonne en 1 527, arrestations (dont Lefevre d’Etaples) et persécutions – il y eut même, en 1 533, un curé de Condé sur Sarthe brûlé. Cependant, le français apparut dans la théologie car pour répondre à Calvin, des livres de théologie furent écrits en français. Ce n’est que vers la fin du XVIIO siècle, v