André Breton, surréalisme et psychanalyse Rêve, écriture du rêve, écriture automatique autant de termes qui reviennent dès que l’on parle de surréalisme. Et comme le nom de Paul Éluard est attaché ? l’esthétique surréaliste, qu’il a écrit plusieurs œuvres en collaboration avec André Breton, l’amalgame peut aller très vite, or les deux hommes n’ont pas toujours eu les mêmes idées. Il ne s’agit pas ici de refaire une analyse de ces concepts dans l’œuvre d’André Breton… ais de donner brièvement une chronologie des principales étapes de ses rapports avec la psychanalyse et avec Freud en particulier. Nous utilisons pour c « André Breton, la ps 1 rêve »1 et quelques a Swip next page présentation. Première idée reçue Sarane Alexandrian citerons au fil de la distance : André Breton n’a pas eu autant besoin des travaux de Freud que ce qui est resté dans l’imaginaire collectif.
En effet Breton découvrira les travaux de Freud des années après ses premiers écrits sur l’écriture automatique ou sur le rêve quand déjà il avait la volonté d’allier science, politique et poésie. Découverte de l’inconscient et de la « parole automatique » 1916 : étudiant en médecine, Breton fut l’interne du Dr Babinsky t pendant l’été, l’assistant du
Avec le Dr Leroy, il découvrit la méthode de la « parole automatique » exposée par Charcot et put expérimenter « sur les malades des méthodes d’investigations de la psychanalyse, e en particulier l’enregistrement, aux fins d’interprétation, des rêves des associations d’idées incontrôlées2 Cette expérience a eu « sans doute une influence décisive sur le déroulement de [s]a pensée3 Breton avait connaissance des travaux d’Alfred Maury (datant de 1848) et du phénomène de demi-sommeil écrit par celui-ci : en réalité, le surréalisme ne part pas du rêve mais de « Phallucination hypnagogique », c’est à-dire d’images visuelles ou auditives qui apparaissent fugitivement au moment de l’endormissement.
Breton était sujet à ces hallucinations – c’est ce qu’il rappelle dans le Manifeste de 1924, citant ce qu’il avait écrit dans Les pas perdus • J’avais été amené à « fixer mon attention sur des phrases plus ou moins partielles qui, en pleine solitude, à rapproche du sommeil, deviennent perceptibles pour l’esprit sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination réalable ». 4 Il cherche une méthode pour les capter et va recourir à celle qu’il avait expérimentée avec le Dr Leroy Je résolus d’obtenir de moi ce qu’on cherche à obtenir d’eux [les soldats aliénés], soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l’esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s’embarrasse, par suite, d’aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. Breton se dit « tout occupé encore de Freud et familiarisé avec ses méthodes d’examen qu[‘il] avai[t] eu quelque peu l’occasion de pratiquer sur des malades endant la guerre », pourtant ce ne sont pas les méthodes de Freud qui sont utilisées à cette époque… et lui Breton ne connaît les théorie Il pas Breton ne connaît les théories de Freud que par les résumés qu’il lit dans le Précis de psychiatrie du Dr. Régis ou dans La psychoanalyse des névroses et des psychoses des Dr Régis et Hesnard. Il n’en reste pas moins qu’il se passionne pour cette notion d’inconscient qui lui permet d’élargir la représentation de la mentalité humaine.
Les premiers textes de Sarane Alexandrian, « André Breton, la psychanalyse et le rêve » in André Breton ou le surréalisme, même, textes réunis par André Saporta avec le concours d’Henri Behar, 1990, Bibliothèque Mélusine, L’âge d’homme, p. 154-162 2 André Breton, Entretiens (avec André Parinaud), 1952, N. R. F. , cité par Yvon Belaval in Poésie et Psychanalyse in Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1955, N07. p. 7. url : http://www. persee. frmeb/revues/home/prescrpt/article _ 2063 3 4 André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924, Gallimard, NRF collection Idées édition de 1966, p. 29 5 bid. p. 4 Freud traduits en français ne paraîtront qu’à partir de 1921, Clnterprétation des rêves en 1925, et Breton pratiquait déjà récriture automatique. Fin avril 1919 : Les Champs ma néti ues avec Philippe Soupault il transcrit sur le papier l’é Manifeste de 1924, « selon lui l’inconscient est en perpétuel mouvement, traversé par un courant vital continu charriant des images verbales plutôt que des images visuelles. Il existe un arrière-langage, qui correspond à nos arrière-pensées [… ]. 6 » Deuxième étape : le rêve Lundi 10 novembre 1921 : rencontre de Breton et de Freud ? Vienne. C’est la désillusion, le désappointement…
Breton rêvait d’une rencontre entre la science t la poésie mais Freud ne pa pas véritablement pris au sérieux et Breton en ressent une violente frustration qui ne le quittera pas. La compétition s’engage : Breton veut montrer que les poètes sont aussi compétents, voire plus compétents, que les savants pour traiter du rêve. Il décide que lui-même et ses amis noteront leurs rêves et qu’il les publiera : les trois récits de rêve parus dans Littérature de 1922 sont le sien et ceux de Picabia et Robert Desnos car il n’est suivi ni d’Aragon, ni de Soupault ni de Péret. Les divergences entre les amis surréalistes commencent déjà là. 924 : Breton va exploiter les théories de Freud sur le rêve et l’inconscient, c’est à cette époque qu’il écrit dans le Manifeste la définition fameuse . Surréalisme, n. m.
Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. 7 tout en reconnaissant la difficulté de transcrire les « récits de rêve J’avais été conduit à donner toutes mes préférences à des récits e rêves que, p 4 OF Il de rêves que, pour leur épargner semblable stylisation, je voulais sténographiques. Le malheur était que cette nouvelle épreuve réclamât le secours de la mémoire, celle-ci profondément défaillante et, d’une façon générale, sujette à caution. C’est aussi à cette époque qu’éclate la polémique entre les deux tendances du surréalisme, Yvan Goll faisant paraître son Manifeste du surréalisme la même année que celui d’André Breton. Yvan Goll s’indigne en ces termes : Et cette contrefaçon du surréalisme, que quelques ex-dadas ont inventée pour ontinuer à épater les bourgeois sera vite mise hors de la circulation. Ils affirment la « toute-puissance du rêve » et font de Freud une muse nouvelle. Que le docteur Freud se serve du rêve pour guérir des troubles trop terrestres, fort bien ! Mais de là à faire de sa doctrine une application dans le monde poétique, n’est-ce pas confondre art et psychiatrie ? Dans son Manifeste, André Breton va défendre l’écriture automatique, le rêve, le somnambulisme lucide pour saisir « le fonctionnement réel de la pensée Et ce fut le surréalisme prônant la « toute-puissance du rêve » qui l’emporta. Mais loin d’une allégeance aux théories de Freud, Breton développe une démarche qui va dans une direction opposée, il trace une activité spécifiquement poétique : son objectif est tout autre que celui du savant. Si Freud veut établir les fondements d’une théorie scientifique qui permette une 6 Breton, Op. cit. p. 37 8 André Breton, Les Pas perdus, Œuvres complètes, 1992, Gallimard, Édition de la Pléiade, tome 1, p. 275 9 Yvan Goll, « Manifeste du surréalisme » in Surréalisme na 1 , octobre 1964. Pour lire l’intégralité du Manifeste : http://www. lettresvolees. fr/eluard/surrealisme. tml 7 hérapeutique, Breton, lui, volt dans l’inconscient « le réservoir sans fond d’une imagination créatrice, peuplée des désirs de l’homme, et où celui-ci puise les forces nécessaires à l’élargissement poétique – et pratique – des bornes du réel. »10 On volt bien là la différence fondamentale : Breton cherche à libérer le langage, à en exalter la valeur, en le faisant surgir des profondeurs de l’inconscient : c’est une volonté à la fois poétique et révolutionnaire qui le met en action. Le détournement de ces découvertes, outre l’objectif poétique pur et absolu, met aussi en avant la portée évolutionnaire de l’inconscient « en tant qu’il est potentiellement porteur d’une subversion radicale de l’intellect et même des valeurs sociales.
Breton a sans doute puisé dans la psychanalyse une véritable méthode d’investigation des couches les plus profondes du mental, où s’exprime une contestation radicale de l’homme envers les codes et les règles qui l’aliènent dans la vie courante : il ne s’agit plus pour ce dernier de soumettre les désirs à l’autorité d’un quelconque principe de réalité, mais d’ouvrir la voie à la construction d’un monde nouveau où ces désirs pourraient enfin ?tre satisfaits, c’est-à-dire où l’homme luimême serait enfin en harmonie avec lui-même. 1 en harmonie avec lui-même. 1 1 Sarane Alexandrian retrouve aussi chez Breton l’influence de Hegel et déclare avec force : « C’est donc une aberration de penser que le surréalisme, entreprise complexe, dérive simplement de la psychanalyse. »12 À l’influence de Hegel, on peut ajouter des lectures éclectiques, dont parle Breton dans ses Entretiens avec André Parinaud, La personnalité humaine de Myers, des chapitres du Traité de métapsychique de Charles Richet, entre autres. 13 1928 Nadja
Certes Breton cite Freud comme référence et « ouvrages ? consulter » mais, poursuit Sarane Alexandrian, Nadja marque la distance entre les deux hommes quand Breton y établit sa théorie des « faits-glissades » contre celle des « actes manqués » de Freud. « Il s’agit de faits qui, fussentils de l’ordre de la constatation pure, présentent chaque fois toutes les apparences d’un signal, sans qu’on puisse dire au juste de quel signal h. Cela va d’un objet, d’un lieu qui nous inspirent la sensation que notre destin en dépend, à des concours de circonstances produisant en nous un égarement inexplicable (il les appelle alors es « faits-précipices h).
II affirme que la psychanalyse « n’est pas en état de s’attaquer à de tels phénomènes » ; seul le surréalisme est capable de les mesurer, d’en évaluer les effets dont la part d’incommunicabilité même est une source de plaisirs inégalables 1930 Second Manifeste du surréalisme L’immaculée conception : cette œuvre écrite en collaboration avec Paul Éluard montre c 1 est mse au service d’une écriture : il ne s’agit plus d’une image de la pensée surréaliste mais de la pensée en images qui produit sa théorie. La connaissance parfaite que nous avions Fun de l’autre nous a acilité ce travail. Mais elle nous incita surtout à l’organiser de telle façon qu’il s’en dégageât une philosophie poétique qui, sans jamais mettre le langage à la raison, conduise pourtant un jour à l’élaboration d’une véritable philosophie de la poésie. 5 10 Philippe Sabot, Pratiques d’écritures, Pratiques de pensée Figures du sujet chez Breton/Éluard, Bataille et Leiris, 2001, Presses Universitaires du Septentrion, p. 39 11 Philippe Sabot, Op. cit. , p. 38 12 Sarane Alexandrian, Op. cit. p. 159 13 Cet éclectisme est analysé par Jean Starobinski dans le chapitre e La relation critique (Œil vivant, 2) qu’il a consacré à « Freud, Breton et Myers » (Pans, Gallimard, 1970). Note de Philippe Sabot, Op. cit. p. 39 14 bid. p. 159. Citations de Nadja 15 André Breton et Paul Éluard, « Note à propos d’une collaboration » [préface à l’édition en langue japonaise de L’Immaculée conception], Cahiers d’art, 1935 na5-6, p. 37. Cité dans la note de l’édition de la Pléiade des œuvres de Paul Éluard, tome 1 p. 428 Il avait déjà écrit en 1920 t » des Champs ne prend guère au sérieux la recherche surréaliste et Breton ne cesse de vouloir prouver que la éthode surréaliste d’analyse de rêves est supérieure à celle de la psychanalyse. 1932 c’est la rupture du dialogue Parution de Les Vases communicants où Breton développe le processus du rêve éveillé. Freud écrit à André Breton . Un aveu que vous devez accueillir avec tolérance ! Bien que je reçoive tant de témoignages de l’intérêt que vous et vos amis portez à mes recherches, moi- même je ne suis pas en état de me rendre clair ce qu’est et ce que veut le surréalisme. Peut-être ne suis-je en rien fait pour le comprendre, moi qui suis éloigné de l’art. 17 À quoi Breton répond dans Les Vases communicants
Tout ce qu’il me paraît nécessaire de retenir de l’œuvre de Freud est la méthode d’interprétation des rêves Il n’est aucunement nécessaire, pour vérifier sa valeur, de faire siennes les généralisations hâtives auxquelles Hauteur de cette proposition, esprit philosophiquement assez inculte, nous a accoutumés par la suite. 18 puis en 1935 dans Notes sur la poésie, texte repris en 1938 dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, à l’article FREUD Le surréalisme a été amené à attacher une importance particulière à la psychologie des processus du rêve chez Freud, et, d’une manière générale, chez et auteur, à tout ce qui est l’élucidation, fondée sur l’exploration clinique, de la vie inconsciente. Nous n’en rejetons pas moins la plus grande partie de la hilosophie de Freud comme métaphysique. 9 pratique que garde Breton et sa préoccupation fondamentale, « dans la réalité comme dans le rêve, l’esprit doit passer outre au contenu manifeste » des événements pour s’élever à la conscience du « contenu latent ». 20 » Pour autant les méthodes ne vont pas nécessairement se confondre, leurs finalités non plus puisque les psychanalystes ne considèrent l’écriture automatique que omme moyen d’accéder à l’inconscient sans prendre en considération le texte produit. Malgré cette rupture, Breton garde une certaine admiration pour Freud, il est d’ailleurs le seul homme de gauche à le défendre contre les attaques marxistes et il lancera un appel afin de le sauver de la persécution nazie. présent document se voulant une chronologie des rapports entre Breton et Freud s’arrête à cette rupture mais dans les années qui suivent, André Breton enrichit sa théorie du murmure, ne cessant de chercher à rénover la poésie et pour cela, à exploiter au maximum la « science poétique du rêve La ittérature – la poésie en particulier – n’est pas la seule concernée, les autres arts auront aussi leur part dans cette aventure, plus encore peut-être que la littérature. Le dictionnaire abrégé du surréalisme paru en 1938 est la dernière collaboration entre Breton et Éluard, leurs différends d’ordre esthétique avaient déjà fait jour en 1934 au point que Breton avait cherché – en 16 André Breton, Œuvres complètes Op. cit. , tome 1, p. 620 Lettre de Freud que l’on trouve dans les Entretiens de Breton avec André Parinaud, op. cit. , p. 294. Cité par Yvon Belaval, Op. cit. p. 8 0 1