PRATIQUE DE CLASSE ET GESTION DES CONFLITS Michel FLORO IUFM d’Aix-MarseilIe Lionel LÉVÊQUE, Cécile RATET et Chantal ROSELLO professeurs des écoles dans le département des Bouches-du-Rhône Résumé. – Les conflits traversent la classe, comme ils traversent la vie. Le travail présenté ici les appréhende comme des situations d’interaction particulières, réfléchit à leurs caractéristiqu contexte de classe. Orso La perspective génér d,- • Sni* to View aussi jouer le rôle de levier du dévelop unique, individu social et personne humaine. ur gestion dans un Idérer qu’ils peuvent e, à la fois être Abstract. – Conflicts go through the class, as they go through the life. This paper want to think about caracteristics of these special interactive situations and define conditions of their management. The point of view IS to consider conflicts to be lever of the development of pupil, at the same time as an unique Child, a social being, and a human person. ous avons constitué en 1998 un groupe de recherche- formation initiale. Les travaux sur les experts montrent qu’il est très difficile de les faire parler de façon efficace de leur expertise.
Cependant, il existe une autre raison : les débutants nt plus que jamais des besoins en formation. Dans
Nous avons donc imaginé un travail d’aller-retour articulant les bservations de terrain rapportées par les enseignants et un ensemble de travaux théoriques explicatifs qui éclaire ces faits rapportés. Et réciproquement les événements rapportés vont dialoguer avec les modèles théoriques. Le souci d’être utile aux enseignants nous a conduit à cerner le conflit dans un cadre institutionnellement prescrit. De ce fait, nous avons abordé la question sous un angle ergonomique. L’école est un monde social et collectif chareé de PAGF 0 cadre de réflexion historique et culturel.
Freund définit les conflits comme l’opposition de la volonté subjective de ersonnes ou de groupes poursuivant la réalisation de leurs projets. Nous considérons qu’ils caractérisent aussi un affrontement qui a bien d’autres buts que celui de briser la résistance d’autrui. Cette position consiste à penser la classe comme créatrice d’interactions multiples, d’oppositions, par l’intermédiaire desquelles se confrontent des questlonnements, des recherches, et s’élaborent les connaissances.
L’accent est mis ici sur les activités professorales, leur organisation, et le repérage des conditions qui garantissent une issue constructrice à ces oppositions. 1. Le problème posé De façon générale, nous questionnons ces interactions dans un contexte de travail. Ce terme renvoie à l’organisation d’une situation traversée par divers flux, celui des prescriptions institutionnelles, celui de l’activité du professeur, celui du travail des élèves, celui issu des savoirs enseignés.
Ces pratiques de classe observées, Pont été dans le cadre d’une dispositif de travail mis en place par Lionel Lévêque sous forme de conseil de coopératlve. 1 . 1. une hypothèse le conflit comme situation d’interaction éducative Contrairement à une opinion courante, le conflit n’est pas systématiquement llons discuter dans cet article. Nous considérons le conflit comme une situation interactive particulière, une situa- Pratique de classe et gestion des conflits 161 tion éducative, qui favorise l’élaboration culturelle selon le modèle du « forum » défini par Jérôme Bruner.
II écrit que la culture est à la fois un « forum » et « un ensemble de règles et de spécifications permettant d’expliquer l’action telle qu’elle se réalise » Gérôme Bruner 2000). Cette élaboration transite par des affrontements des oppositions de négociations dans et hors de l’école. Ce qui s’y déroule n’est pas indépendant de ‘évolution historique des savoirs, des conceptions et des méthodes. Suivant le choix des professeurs en début de carrière, l’équipe travaille autour de pratiques liées à la gestion de ces situations d’affrontement.
La démarche questionne des façons de faire particulières, des attitudes, des gestes, la pertinence d’outils et d’éléments organisateurs des pratiques professionnelles quotidiennes. Nous posons le problème dans le cadre de l’activité professionnelle enseignante. Par rapport aux observation recueillies, la diversité des expériences de chacun a permis de bénéficier du discours décalé de l’ensemble es membres de l’équipe. Ce travail qui s’appuie sur l’évocation croisée des exper. nces individuelles, s’inscrit dans s général qui consiste ? première étape a été de préciser le problème en clarifiant des notions souvent amalgamées telles que celles d’agressivité, de violence, d’incivilité. Ce thème est justifié dans une perspective professionnelle, dabord par référence au métier de professeur des écoles. La définition de sa tâche lui demande de protéger l’intégrité physique de l’individu, renvoyant à l’éthique professionnelle et au rapport à la loi indiscutable qui garantit le espect de chacun.
Si les situations d’opposition sont essentielles pour apprendre, la déontologie du professeur le conduit à tout mettre en œuvre pour en assurer la sécurité. Ensuite, la gestion de cet affrontement renvoie aux questions de citoyenneté et de valeurs sociales. Ces situations permettent à la fois de « s’appuyer sur » et de « donner du sens à » la construction d’un rapport aux lois de la société, aux valeurs du groupe, aux normes et aux règles. Cette réflexion aborde la dimension politique du travail scolaire, la loi au sens juridique du terme et les valeurs de la République.
Dans notre approche, le conflit est considéré comme une situation interactive participant au développement de l’enfant. La dynamique d’affrontement, d’échange, de communication, qu’il crée, permet à l’individu de transformer ses points de vue ou de construire de nouvelles stratégies de résolution. 162 Michel Flora, Lionel Lévêque Cécile Ratet et Chantal Rosello PAGF S 0 connaissances. À la source des déséquilibres, ils permettent ? l’enfant de passer ? un stade de développement supérieur. une perspective de construction Pour Piaget le développement est lié à une interaction continuelle entre ‘enfant et son milieu.
L’intelligence associe construction et interaction. Le conflit représente donc la résistance du milieu à l’assimilation. II entraîne l’accommodation de l’apprenant. Cependant, pour Jean Piaget, il n’a qu’un rôle de déclencheur de déséqullibres qui « constituent le moteur de la recherche car, sans eux, la connaissance demeurerait statique » (Jean Piaget, 1967). Ily a développement de l’intelligence, quand le sujet devient sensible ? des contradictions. Ainsi s’amorce un processus d’équilibration qui permet ? l’individu de construire une structure en équilibre momentané.
Le processus sera à nouveau enclenché à l’occasion d’autres conflits. Dans cette perspective, l’intelligence est la manifestation d’une dynamique incessante liée au travail d’adaptation du sujet au milieu. Piaget évoque des situations de type conflictuel comme la situation expérimentale de la consentation des quantités. Pour lui, cette construction se fait à partir d’un processus d’assimilation qui résout le conflit par la création d’un nouveau concept synthétisant les éléments précédents et conduit l’enfant à transformer ses représentations anterieures en dissociant la forme et la masse.
Cette approche considère donc que le savoir se construit à la fois ar une action volontaire assimilatrice de l’individu , en retour, par des 6 0 l’individu sur le milieu et, en retour, par des mécanismes d’accommodation dus à la résistance que ce dernier oppose. En d’autres termes, l’apprentissage se fonde sur des mécanismes de reconstruction de ce qui a été assimilé grâce au conflit que crée le milieu qui s’oppose à la conception antérieure de l’individu.
Le conflit : perspective dialectique Pour Henri Wallon, les conflits ont un rôle fondamental dans le développement psychologique de renfant. II écrit : « Des conflits ponctuent donc la croissance, comme Sil y avait à choisir entre un ancien et un nouveau type dactivité. De ces conflits, certains ont été résolus par l’espèce, c’est-à-dire que le seul fait de sa croissance amène l’individu à les résoudre aussi » (Wallon, 1941). Mais Pespèce n’a pas tout résolu. La société s’occupe du reste. Cette position associe matérialisme historique et dialectique.
La pensée est une forme supérieure d’activité du système nerveux, donc liée à la matière vivante en devenir mais en étroite dépendance avec un mode de socialisation 63 qui donne sa spécificité au psychisme humain. L’homme est d’essence sociale : ‘espèce ne peut trouver sa raison d’être que dans le type adulte, et l’enfant tend vers l’adulte comme rs son équilibre. De même PAGF 7 0 bien ce qui distingue le plus assurément l’espèce humaine des espèces voisines, ce développement et cette configuration comme les poumons d’une espèce aérienne impliquent l’existence de l’atmosphère [.. a société est pour l’homme une nécessité, une réalité organique » (Wallon, 1941. ) Le conflit est donc un élément indispensable dans les processus de socialisation. Apprendre c’est aussi affronter autrui, afin que chacun se forge dans l’interaction une place reconnue, une identité sociale, un statut, pour que chacun puisse exister dans un monde « constitué de paradoxes ? résoudre et de conflits à surmonter » (Wallon, 1941). Le conflit prend raspect d’une situation problème, à l’occasion d’une confrontation entre les êtres.
Il renvoie alors à un travail essentiel de clarification des règles permettant aux rapports humains de se développer. Approche culturelle des conflits et notion de forum Dans la perspective d’une psychologie culturelle selon Jérôme Bruner, c’est la culture qui explique le développement. « La culture est en permanence l’objet d’un processus de re-création elle est sans cesse interprétée et renégociée par ceux qui y participent » (Bruner, 2002). Apprendre nécessite de partager la culture.
L’élève est lui-même intégré dans ces processus de négociation qui créent et interprètent les faits, il devient acteur de la fabrication du savoir en même temps qu’il est le réceptacle de sa transmssion. Pour cela, les matériaux de l’éducation doivent être ouverts à la transformation et présentés ous un jour qui invite à la né ociation et à la spéculation, dit Jérôme Bruner. PAGF 8 0 sous un jour qui invite à la négociation et à la spéculation, dit S’il s’agit d’introduire les enfants dans une culture au travers de l’éducation, cette conception de la culture a des conséquences immédiates . ‘éducation doit les amener à y participer dans l’esprit du forum, de la négociation et de la réorientation de la signification. Ici, deux notions sont à préciser : celle de culture et celle de signification. La signification des concepts enseignés, qui sont de nature sociale, ne se trouve ni dans la tête e celui qui y réfléchit, ni dans le monde mais dans la relation interpersonnelle. Car la signification se construit à partir d’un échange interindividuel. Elle représente ce sur quoi nous sommes d’accord, au minimum ce que nous acceptons comme base de travail pour parvenir à un accord sur un concept.
Le conflit a 164 Michel Floro, Lionel Lévêque, Cécile Ratet et Chantal Rosello toutes les caractéristiques des situations d’affrontement et d’opposition contrôlées par des règles qui permettent de négocier des savoirs. Le conflit comme situation de langage et de médiation Lev Semionovitch Vygotski s’inscrit dans l’idée de Bacon, qu’il cite d’ailleurs, selon laquelle la main et l’esprit seuls ne peuvent tout accomplir sans aide et sans outil qui le perfectionnent.
Il développe l’idée de l’importance de la construction de la pensée par la médiation. L’approche piagétienne ignore cette d prentissage est décrit q 0 individus sans histoire et un milieu qui en serait lui même dépouwu. CYautre part, la connaissance est le produit d’un développement prédéterminé. Dans la perspective de Vygotski, nous pensons que ces échanges ne peuvent se développer que s’ils ont médiatisés, dans des lieux culturels, par des outils symboliques et des signes.
Le langage est le médium par excellence de réchange, mais ces outils, produits d’une histoire et d’une culture en dynamique incessante, doivent être transmis par construction, reconstruction et négociation. Les situations elles- mêmes doivent être apprises pour être comprises. Les règles de fonctionnement d’une organisation, ses lois, ses contraintes, les objectifs à atteindre, eux-mêmes pour qu’ils soient compréhensibles, doivent être enseignés, c’est- à-dire étymologiquement, mis en « signe Les situations de onflits, pour devenir productives, sollicitent ces principes.
Le conflit socio-cognitif Gérard Mugny et Wilhem Doise élaborent le concept de conflit sociocognitif dans le cadre théorique précédent. Ils cherchent à rendre compte d’une interaction sociale dans laquelle deux systèmes de réponses antagonistes s’affrontent. Le dépassement de la situation impose une régulation cognitive dans la mesure où un des modèles contradictoires est justifié. L’enfant prend conscience d’approches possibles et différentes par des oppositions mais aussi par un questionnement Wilhem Daise et Gérard Mugny envisagent un