Roland Barthes Le message photographique ln: Communications, 1, 1961. pp. 127-138. Citer ce document / Cite this document : Barthes Roland. Le message photographique. In: Communications, 1, 1961. pp. 127-138. doi : 10. 3406/comm. 1961. 921 http://www. persee. fr/web/revues/home/prescript/article/comm orn Roland Bar thes Sni* to View message photographique La photographie de presse est un message. Liensemble de ce est constitué par une source émettrice, un canal de transmission et un milieu récepteur.
La source émettrice, c’est la rédaction du journal, le groupe des techniciens dont certains prennent la photographie, dont ‘autres la choisissent, la composent, la traitent, et dont d’autres enfin la titrent, la légendent et la commentent. Le milieu récepteur, des groupes humains, de définir des mobiles, des attitudes, et d’essayer de lier le comportement de ces groupes à la société totale dont ils font partie.
Mais pour le message lui-même, la méthode ne peut être que différenteA: quelles que soient l’origine et la destination du message, la photographie n’est pas seulement un produit ou une voie, c’est aussi un objet, doué d’une autonomie structurelle ; sans prétendre nullement couper objet de son usage, il faut bien prévoir ici une méthode articulière, anté rieure à l’analyse sociologique elle-même, et qui ne peut
Naturellement, même au regard d’une analyse purement/ immanente, la structure de la photographie n’est pas une structure isolée ; elle com mumque au moins avec une autre structure, qui est le texte (titre, légende ou article) dont toute photographie de presse est accompagnée.
La total ité de l’information est donc supportée par deux structures différentes (dont l’une est linguistique) ; ces deux structures sont concurrentes, 127 ais comme leurs unités sont hétéro ènes, elles ne peuvent se mêler ; PAGF OF sans commentaire écrit, l’analyse doit porter d’abord sur chaque structure séparée ; ce n’est que lorsque l’on aura épuisé l’étude de chaque structure, que l’on pourra comprendre la façon dont elles se complètent.
De ces deux structures, l’une est déjà connue, celle de la langue (mais non pas, il est vrai, celle de la « littérature » que constitue la parole du journal : il reste sur ce point un immense travail à faire) ; l’autre, celle de la photographie proprement dite, est à peu près inconnue. On se bornera ici à définir les remeres difficultés d’une analyse structurale du message photographique. :le paradoxe photographique Quel est le contenu du message photographique ? Qu’est-ce que photographie transmet ?
Par définition, la scène elle-même, le réel littéral. De l’objet à son image, il y a certes une réduction : de proportion, de pers pective et de couleur. Mais cette réduction n’est à aucun moment une transformation (au sens mathématique du terme) ; pour passer du réel à sa photographie, il n’est nullement nécessaire de découper ce réel en unités et de constituer ces unités en signes différents substantiellement e l’objet qu’ils donnent à lire ; entre cet objet et son image, il n’est null ement nécessaire de disposer un relai, c! st-à-dire un code ; certes l’image PAGF suite dégager un corollaire important : le message photographique est un message continu. Existe-t-il d’autres messages sans code ? A première vue, oul : ce sont précisément toutes les reproductions analogiques de la réalité dessins, peintures, cinéma, théâtre.
Mais en fait, chacun de ces messages développe d’une façon immédiate et évidente, outre le contenu analogique lui-même (scène, objet, paysage), un message supplémentaire, qui est ce qu’on appelle ommunément le style de la reproduction ; il s’agit là d’un sens second, dont le signifiant est un certain traitement » de l’image sous l’action du •créateur, et dont le signifié, soit esthétique, soit idéologique, renvoie a une •certaine « culture » de la société qui reçoit le message.
En somme, tous ces 128 « arts » imitatifs comportent deux messages : un message dénoté, qui est Yanalogon lui-même, et un message connoté, qui est la façon dont la société donne à lire, dans une certaine mesure, ce qu’elle en pense.
Cette dualité des messages est évidente dans toutes les reproductions qui ne sont pas hotographiques : pas de dessin, si « exact » soit-il, dont l’exactitude même ne soit tournée en le « vériste ; pas de scène filmée, système connoté est vra isemblablement constitué soit par une symbolique universelle, soit pa une rhétorlque d’époque, bref par une réserve de stéréotypes (schemes, couleurs, graphismes, gestes, expressions, groupements d’éléments).
Or, en principe, pour la photographie, rien de tel, en tout cas pour photographie de presse, qui n’est jamais une photographie « artistique La photographie se donnant pour un analogue mécanique du réel, son message premier emplit en quelque sorte pleinement sa ubstance et ne laisse aucune place au développement d’un message second.
En somme, de toutes les structures d’information *, la photographie serait la seule à être exclusivement constituée et occupée par un message « dénoté qui epulserait complètement son être ; devant une photographie, le sent iment de « dénotation », ou si lion préfère, de plénitude analogique, est si fort, que la description d’une photographie est à la lettre impossible ; car décrire consiste précisément à adjoindre au message dénoté, un relai ou un message second, puisé dans un code qui est la langue, et qui cons itue fatalement, quelque soin qu’on prenne pour être exact, une conno tation par rapport à l’analogue photographique : décrire, ce n’est donc pas seulement être inexac t, c’est chaneer de PAGF s OF car en fait, il y a une forte probabilité (et ce sera là une hypothèse de travail) pour que le message photographiqe (du moins le message de presse) soit lui aussi connoté. La connotation ne se laisse pas forcément saisir tout de suite au niveau du message lui-même (elle 1. Il s’agit bien entendu de structures « culturelles », ou culturalisées, et non de structures opérationnelles : les mathématiques, par exemple, onstituent une structure dénotée, sans aucune connotation ; mais si la société de masse s’en empare et dispose par exemple une formule algébrique dans un article consacré ? Einstein, ce message, ? l’origine purement mathématique, se charge d’une connotation très lourde, puisqu’il signifie la science. 2.
Décrire un dessin est plus facile, puisqu’il s’agit en somme de décrire une structure déjà connotée, travaillée en vue d’une signification codée. C’est peut-être pour cela que les tests psychologiques utilisent beaucoup de dessins et très peu de photographies. 129 i l’on veut, à la fois invisible et active, claire et implicite), mais on peut déjà l’induire de certains phénomènes qui se passent au niveau de la production et de la réception du message : d’une part, une de presse est un objet travaillé, choisi, composé, construit, traité selon des normes professionnel s ou idéologiques, qui traditionnelle de signes ; or, tout signe suppose un code, et c’est ce code (de connotation) qu’il faudrait essayer d’établir.
Le paradoxe photographique, ce serait alors la coexistence de deux messages, l’un sans code (ce serait l’analogue photographique), et l’autre à code (ce serait 1′ « art ou le raitement ou 1′ « écriture ou la rhétorique de la photographie) ; structurellement, le paradoxe n’est évidemment pas la collusion d’un message dénoté et d’un message connoté : c’est là le statut probablement fatal de toutes les communications de masse ; c’est que le message connoté (ou codé) se développe ici à partir d’un message sans code. Ce paradoxe structurel coïncide avec un paradoxe éthique : lorsqu’on veut être « neutre, objectif on s’efforce de copier minutieusement le réel, comme si l’analogique était un facteur de résistance à l’investissement des valeurs (c’est du oins la définition du « réalisme » esthétique) : comment donc la photo graphie peut-elle être à la fois « objective » et « investie naturelle et culturelle ? Cest en saisissant le mode d’imbrication du message et du message connoté que l’on pourra peut-être un jour répondre à cette question.
Mais, pour entreprendre ce travail, il faut bien se rappeler que, dans la photographie, le messa e dénoté étant absolument analoeique, PAGF 7 OF des signifiés : il oblige donc à un véri table déchiffrement. Ce déchiffrement serait actuellement prématuré, car pour isoler les unités signifiantes et les thèmes (ou valeurs) ignifiés, il faudrait procéder (peut-être par tests) à des lectures dirigées, en faisant varier artificiellement certains éléments de la photographie pour observer si ces variations de formes entraînent des variations de sens. Du moins peut-on dès maintenant prévoir les principaux plans d’analyse de la conno tation photographique.
LES PROCÉDÉS DE CONNOTATION La connotation, c’est-à-dire l’imposition d’un sens second au photographique proprement dit, s’élabore aux différents niveaux de pro duction de la photographie (choix, traitement technique, cadrage, mise en 130 Le message photographiques age) : elle est en somme une mise en code de l’analogue photographique ; il est donc possible de dégager des procédés de connotation ; mais ces procédés, il faut bien le rappeler, n’ont rien à voir avec des unités de signification, telles qu’une analyse ultérieure de type sémantique permettra peut-être un jour de les définir : ils ne font pas à proprement parler partie de la structure photograp cédés sont connus ; on se PAGF 8 OF propre à la photographie) ; si on les inclut cependant dans les procédés de connotation photographique, c’est parce qu’ils bénéficient eux aussi du prestige de la énotation : la photographie permet au photographe d’esquiver la prépa ration qu’il fait subir à la scène qu’il va capter ; il n’en reste pas que, du point de vue d’une analyse structurale ultérieure, il n’est pas sûr que l’on puisse tenir compte du matériel qu’ils livrent. . Truquage. En 1951, une photographe largement diffusée dans la presse américaine coûtait son siège, dit-on, au sénateur Millard TYdings ; cette photographie représentait le sénateur conversant avec le leader communiste Earl Browder. Il s’agissait en fait d’une photographie truquée, constituée par le rapprochement artificiel des deux visages.
L’intérêt méthodique du truquage, c’est qu’il intervient à l’intérieur même du plan de dénotation, sans prévenir ; il utilise la crédibilité particulière de photographie, qui n’est, on l’a vu, que son pouvoir exceptionnel de déno ration, pour faire passer comme simplement dénoté un message qui est en fat fortement connoté ; dans aucun autre traitement, la ne prend aussi complètement le masque « objectif » de la dénotation. Natur ellement, la signification n’est possi mesure où il y a réserve de l’électorat américain qui fait du geste des interlocuteurs le signe d’une amiliarité reprehensible ; c’est dire que le code de connotation n’est ni artificiel (comme dans une langue véritable), ni naturel : il est historique. 2. Pose. Voici une photographie de presse largement diffusée lors des dernières élections américaines : c’est le buste du président Kennedy, vu de profil, les yeux au ciel, les mains jointes.
Ici, c’est la pose même du sujet qui prépare la lecture des signifiés de connotation : juvénilité, spiri tualité, pureté ; la photographie n’est évidemment signifiante que parce qu’il existe une réserve d’attitudes stéréotypées qui constituent ?léments tout faits de signification (regard au ciel, mains jointes) ; une 131 « grammaire historique » de la connotation iconographique devrait donc chercher ses matériaux dans la peinture, le théâtre, les associations d’idées, les métaphores courantes, etc. , c’est-à-dire précisément dans la « ture ». Comme on l’a dit, la pose n’est pas un procédé spécifiquement pho tographique, mais il est difficile de ne pas en parler, dans la mesure où elle tire son effet du principe analogique qui fonde la photographie : le message n’est pas ici « la Kennedy priant » : le