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Politique africaine no 90 – juin 2003 127 Roger Botte Le droit contre l’esclavage au Niger* Contre ceux qui pensaient l’esclavage révolu sous sa forme [email protected] ou canonique – un pouvoir exercé par une personne sur une autre et des relations maître/esclave fondées sur l’exploitation directe du second par le premier -r une enqu 11 001 esclaves, par Timidria met en évid l’esclavage existe dan sociales génèrent to bien actuels. L’esclavage ga or27 Sv. vx to près de giste estables : ents Au Niger, plus d’un siècle après son abolition formelle par la colonisation, l’esclavage résiste toujours à facte jurldique et politique qui, en rincipe, devait conduire à sa suppression. Chez les populations arabes, peuls, toubous et touaregs, des maîtres continuent de disposer à leur guise d’esclaves, de leur travail, de leurs enfants et de leurs biens. En outre, partout, y compris au sein des populations zerma-songhays et haoussas, des contributions de Kadir Abdelkader Galy et de Mahaman Laouali Dandah qui nourrissent ce dossier.

Je tiens à les en remercier très vivement. Enfin, j’ai condult divers entretiens pour vérifier et préciser de nombreux points. 1. En 2002, un officier supérieur des forces armées publie et distribue les cartons d’invitation à son ariage

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avec une femme, médecin de son état. Les invités présents à la cérémonie religieuse s’entendent annoncer que le mariage n’aura pas lieu. La raison, chuchote-t-on, en serait l’origine servile de la femme médecin. 28 CONJONCTURE dans l’existence quotidienne, comme le fait d’interdire l’accès ? l’eau potable à certaines personnes en raison de leur origine sociale 2. Que l’esclave quitte son maitre pour exploiter une parcelle, commercer ou travailler dans l’administration et ce dernier, une fois l’an, fera le tour de ceux qu’il considère comme « ses esclaves pour récupérer ce qu’il nomme le « droit d’absence sous contrôle irect » (susey). Quant à ceux qui réussissent à échapper à leur destin, le stigmate originel, même post mortem, continue de les poursuivre.

Voyez Boubou Hama, premier instituteur du Niger sous la colonisation, l’un des pères de l’indépendance, président de PAssemblée nationale (1960-1974), grande figure de la littérature d’expression française : aucun lieu mémoriel, aucune école, aucune rue, aucune référence ubli ue ne consacre le souvenir de celui qui, PAGF OF Insidieux et omniprésent, l’esclavage fait aussi partie du débat politique ou, plus exactement, tient lieu d’argumentaire politique peu ragoûtant.

Lors es campagnes électorales, des rumeurs malveillantes circulent sur l’origine de tel ou tel. Ainsi dit-on du père du président de la République – Mauritanien d’origine et ancien militaire dans l’armée française – qu’il est un Hartani (descendant d’esclaves) ; ou encore, récemment, un journaliste 4 qui accusait le premier ministre de vouloir corrompre le président de l’Assemblée nationale pour conserver sa fonction a cru bon de Paffubler faussement d’une origine servile, pensant ainsi le déconsidérer définitivement.

Au demeurant, l’origine sociale servile représente toujours un obstacle sérieux pour ceux des citoyens igériens qui briguent des postes de responsabilité ou électifs. Cet ostracisme, quels que soient d’ailleurs les partis politiques 5, se manifeste systématiquement à l’occasion des candidatures aux élections générales. À Bankilaré et ? Abalak, aux dernières législatives, des Iklan (descendants d’esclaves ou esclaves affranchis), pourtant choisis à l’unanimité par la base de leur parti ont vu leur candidature rejetée par le chef de groupement qui Pestimait inadmissible.

En 1995, lors de l’élection du responsable de l’antenne de la Croix- Rouge ? Tchintabaraden, le scrutin fut remporté à une écrasante majorité ar Indika Yacouba, un Touaree d’asc ile, au détriment de Ikoum PAGF s’opposa à cette désignation, déclarant : « Jamais un Noir esclave n’occupera un tel poste de responsabilité ? Tchintabaraden 6. » Bref, la marche vers un État de drolt à partir de 1 991, après la Conférence nationale, n’a pas sensiblement amélioré le statut des personnes d’origine servile : mieux vaut toujours être fils de chef que descendant d’esclaves.

Ce sont là les contradictions du processus démocratique et du multipartisme au sein desquels perdurent les vieilles logiques sociales et culturelles ancrées dans la coutume , Politique africaine 129 Le droit contre l’esclavage au Niger elles s’accommodent de systèmes fondés sur l’inégalité des êtres humains et, assez souvent, produisent un nouveau type d’homme : ‘« esclavagiste démocrate démocrate à la ville, esclavagiste aux champs.

De fait, la Conférence nationale, dont l’ordre du jour a été la chasse gardée des élites urbaines, n’a mis au centre de ses préoccupations ni la nature prédatrice et autoritaire de l’État, ni surtout l’exclusion des débats de la majorité sociologique du pays (le monde agro-pastoral) 7 et des groupes sociaux subordonnés ou assujettis.

André Salifou l’a bien noté, la Conférence nationale, moment fort du processus de démocratisation, n’a rien dit sur le fait que « la valeur de l’homme et sa place [dans la société] rocéderaient essentiellement de ses qualités 2003), deux événements extraordinaires se sont produits. D’une part, « Assemblée nationale a voté, le 5 mai, à l’unanimité des présents, l’inscrption dans le code pénal nigérien des incriminations de « crime d’esclavage » et de « délit d’esclavage » (voir annexe 1).

La « personne de condition servile » est définie comme celle qui « est placée dans le statut ou la condition qui résulte otamment, de pratiques telles que la « servitude ou toute autre forme de soumission ou de dépendance absolue à un maître » ; et l’esclavage comme 1’« état ou la condltlon d’un indivldu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux À l’incrimination spécifique à l’esclavage s’ajoute celle d’une incrimination relative au servage qui est la pratique analogue à l’esclavage la plus répandue au Niger, en particulier dans la partie ouest du pays.

La criminalisation de l’esclavage devrait ainsi lever, au moins en partie, la crainte des représailles, la peur du lendemain, le fatalisme ou la éférence à des 2. Cest le cas à Bankilaré où les Iklan sont interdits d’accès au forage, réservé aux « nobles » ; ils doivent se contenter de l’eau d’une mare contaminée par le parasite de l’onchocercose. 3. Dans la société zerma-songhal, on utilise le chiffre « neuf » (yegha) pour désigner l’esclave, « dix » caractérisant l’homme complet. Seul un pavillon du Musée national porte le nom de Boubou Hama qui y avait fait don de ses collections personnelles. . Il s’agit d’Abdoulaye imogo, de l’hebdomadaire satirique Le Canard déchaîné, condamné le 28 2002, pour l’asserti ion, à huit mois PAGF s OF échaîné, condamné le 28 juin 2002, pour l’assertion de corruption, à huit mois d’emprisonnement ferme et à 50 000 francs CFA d’amende à la suite de la plainte du premier ministre, Hama Amadou, pour « injures et diffamations ». Il n’existait pas à l’époque de « délit d’esclavage » (voir annexe 1, art. 270-3, point 5). 5. Ainsi de l’ANDP à Loga, du PNDS à Tchintabaraden, du MNSD ? Abalak, etc. lors des élections de 1999. 6. Rapport annuel de l’Association nigérienne pour la défense des droits de l’homme (ANDDH), 1995. 7. Sur ce point, voir A. Niandou Souley, « La démocratisation au Niger : bilan critique », in K. Idrissa (dir. ), Le Niger : État et démocratie, paris, L’Harmattan, 2001, p. 308. 8. A. Salifou, La Question touarègue au Niger, Paris, Karthala, 1993, p. 66. 130 CONJONCTURE interprétations erronées des préceptes islamiques chez certains esclaves qui, par aliénation, refoulent jusqu’au désir de briser leurs chaînes.

D’autre part, l’association antiesclavagiste Timidria a rendu publics le IO mai dernier les résultats d’une enquête, réalisée avec le concours de AntiSlavery International, auprès de 11 001 (onze mille un ! ) esclaves, dénombrant (chiffre provisoire) 870 363 esclaves pour les six régions retenues Agadez, Dosso, Maradi, Tahoua, Tillabéry, Zinder) sur les huit que compte le pays. Contre ceux qui pensaient l’esclavage révolu sous sa forme archaïque ou canonique – un ouvair exercé par une personne sur une autre et des relati met en évidence des données incontestables. L’esclavage existe bien.

Ses structures sociales déterminent toujours des rapports sociaux actuels : l’esclave travaille pour un autre sans bénéficier d’un salaire ; il n’a pas la propriété de sa descendance, qui appartient à un autre ; il ne peut se marier qu’à une personne de même statut ; il ne se nourrit que de ce que l’autre ‘autorise à consommer, car il n’a aucun regard sur sa propre alimentation ; sa liberté de mouvement dépend de la permission de l’autre, comme son temps, dont il ne dispose pas à son gré ; il n’est pas autorisé ? adresser la parole à une personne considérée comme noble, etc.

Ainsi, l’esclavage en tant que négation de la personnalité juridique constitue une violation grave et répétée des droits de la personne (droit au travail, à la sécurité sociale, au repos, aux lolsirs, à un niveau de vie suffisant pour assurer la santé et le bienêtre, droit à l’éducation, etc. ) et, pour cette raison, on éradication reste un enjeu déterminant de la démocratisation.

C’est d’ailleurs pourquoi, lors d’un Forum sur le travail forcé qui s’est tenu à Niamey du 13 au 15 novembre 2001, organisé par le Bureau international du travail (BIT) en partenariat avec le gouvernement et l’Association des chefs traditionnels du Niger (ACITN), les chefs s’étaient engagés solennellement, au terme de débats parfois houleux, « à œuvrer pour l’éradication du travail forcé et des pratiques escl s que définies par les travaux, la quasi-totalité des chefs présents (71), rassemblés en raison de leur poids et de eur emprise sur la société nigérienne, commença par nier l’existence de l’esclavage.

Il fallut que certains chefs (haoussas) accusent ouvertement d’autres (touaregs et arabes) de perpétuer cette pratique pour déclencher enfin un âpre débat. Cependant, plusieurs participants tentèrent jusqu’au bout de minimiser le phénomène, limité selon eux à « quelques poches de résistance D’autres jouèrent avec cynisme les candides : « Nous avons bien des esclaves hérités de nos parents, mais je ne savais pas que c’est de resclavage. Ce sont des victimes qui ne veulent plus nous quitter 10 ! ».

En définitive, l’Association 131 Le droit contre l’esclavage au Niger traditionnels du Niger, restée muette lors de la Conférence nationale sur la question de la démocratie mais se réclamant lors du Forum sur le travail forcé de douze considérants (dont celui-ci : « Soucieux de la poursuite de l’engagement de la Chefferie Traditionnelle aux côtés de la société civile pour la consolidation de la démocratie, le renforcement de l’État de droit, le progrès économique et social »), n’a finalement jamais tenu aucune de ses promesses.

Les chefs, interpellés un an après le forum par imidria quant ? eurs engagements, n’ont pas réa i invités le 10 mai dernier à la présentation de l’enquête PAGF BOF par le ministre de la Justice et garde des Sceaux Maty Elhadj Moussa. État de drolt En reconnaissant la réalité de Vesclavage au Niger et en introduisant aujourd’hui dans le code pénal sa criminalisation, les autorités nigériennes ont fait montre de courage.

Certes, il s’agissait de manifester la volonté de l’État d’aligner la législation nationale sur les dispositions des instruments internationaux, mais, en même temps, la reconnaissance du fait esclavagiste pouvait inciter les allleurs à retirer leurs financements au prétexte de « mauvaise gouvernance Quoi qu’il en soit, le Niger se trouve désormais à l’avant-garde du combat antiesclavagiste en Afrique où, pour ne prendre qu’un exemple, l’abolition de l’esclavage en Mauritanie en 1981 n’a toujours pas été suivie d’effets : ni dispositif juridique réprimant les contrevenants ni même décret d’application.

Mais pas seulement en Afrlque. Ainsi la France (à la différence de la Belgique et de l’Italie qui reconnaissent désormais dans leurs codes Pesclavage) se refuse ? légiférer pour combler le vide dû au fait que l’esclavage ayant été boli en 1848, il n’existe pas de cadre juridique adéquat permettant d’appréhender efficacement les diverses formes de l’esclavage dit « moderne » Au Niger, la genèse de la loi débute avec la seconde transition (9 avril 19996 janvier 2000).

En 1 999, dans un climat politique confus et délétère, le président Baré Mainassara Ibrahim est assassiné par sa garde présidentielle dont le chef, Daouda Malam Wanké dirige un Conseil de réconciliation nationale (C ainsi, ipso facto, chef de PAGF g OF nationale (CRN) devenant ainsi, ipso facto, chef de l’État le temps d’une transition olitique qui verra la tenue d’élections présidentielle (Tandja Mamadou est élu 9. Forum sur le travail forcé, acte final. 10.

Dépêche AFP, Niamey, 15 novembre, 19 h 10. 11 . Entretien avec Ilguilas Weila, président de Timidria, La lettre d’afrik. com, 14 mai 2003. 132 CONJONCTURE président de la Ve République) et législatives. L’équipe de la transition, isolée sur le plan international (suppression des aides) après l’assassinat de Baré, se réfère aux valeurs fondamentales et prône la réconciliation. L’objectif est de donner des signes forts à une opinion internationale qui a condamné l’assassinat.

C’est dans ce contexte que le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Dandah Mahaman Laouali, s’attelle à un projet de modification du code pénal. À l’époque, ce code est pour l’essentiel celui légué par la France : il s’agit de le dépoussiérer et d’introduire des incriminations nouvelles portant sur Pesclavage, le harcèlement sexuel et les mutilations génitales, les entraves à l’exécution des décisions de justice, et de permettre aux avocats d’intervenir dès la phase de l’enquête de police. e projet de modification du code se heurte d’abord à des résis s militaires craignant en